Ephémère as Ephémère
Je me glissai dans la faille qui déchirait le ventre du mur, la tête la première et le reste du corps suivant péniblement la dirigeante. La peau de mes genoux et de mes coudes s’éraflait sur la pierre grossièrement taillée. Fichtre ! Ma souplesse laissait à désirer. Mes mains crochetèrent une anfractuosité qui me permit de tirer ma chiffe molle de corps hors de mon trou. Un souffle d’air glacé mordit la peau nue de mes pieds. Je redoublai d’efforts et finis par m’extirper tout à fait de cette fissure. Je me redressai et balayai d’un revers de main la poussière de ma robe déchirée. Quelle aventure ! J’eus l’intuition que celle-ci était loin d’être terminée.
La pièce dans laquelle je me trouvai était singulière. Des dizaines de draps blancs troués par les mites, tachés et reliés entre eux par de fines toiles d’araignées couvraient des formes élancées et pointues. Cette quantité de silhouettes fantomatiques effrayantes me mit mal à l’aise. On m’avait pourtant assurée que je rejoindrai très vite les cuisines ! Il ne faisait pas l’ombre d’un doute que cette pièce-là ne ressemblait en rien aux cuisines que l’on m’avait indiquées. En parlant d’ombre, je la trouvai fort présente en ce lieu. Un peu trop présente à mon goût. Elle engloutissait les recoins, effaçait les contours des hautes formes drapées et m’empêchait d’évaluer la grandeur de cet espace.
J’attendis un peu. Assurée de ma solitude – ou du moins, c’est ce que je crus au silence parfait qui régnait dans la pièce – je m’accroupis. Mes articulations émirent un craquement douloureux. J’effleurai le sol du bout des doigts. Le contact avec la dalle froide me fit frissonner. Une couche poudreuse de poussière couvrait le sol. Je demeurai immobile un instant encore et me redressai.
J’entrepris d’explorer la pièce que j’arpentais de long en large, m’effaçant derrière chaque silhouette drapée pour reparaître derrière sa voisine. Je pris goût à ce jeu de cache-cache avec moi-même et accélérait le pas, courant presque entre les fantômes immobiles.
Soudain, je perçus un mouvement derrière moi. Un souffle rapide qui m’avait caressé le dos. Mon sourire s’estompa. Une peur vague me prit au ventre. N’étais-je donc pas seule ? Je cessai mon jeu de slalom effréné et m’immobilisai contre l’une des hautes formes blanches, le dos collé au drap frais. De nouveau, le silence fut troublé par un mouvement d’air. Je m’écartai sur le côté et examinai les tissus de plus près. Des sourires semblaient se dessiner sur la blancheur des étoffes. Ma curiosité me hurlait de tirer sur le drap afin de découvrir ce qu’ils dissimulaient à mon regard et protégeaient de la morsure du temps.
Je tendis une main en avant, et d’un geste sec, faisait choir le long drap sur le sol. Un nuage de poussière s’éleva et me fit tousser. Lorsque les particules se dissipèrent, je pus constater que les hautes silhouettes étaient en fait celles de miroirs en pied comme faites pour des géants. Des plaques sans tain émaillaient la surface de la glace enchâssée dans un cadre de bois ouvragé. Les autres draps couvraient-ils de semblables miroirs ? Dans ma rage de vouloir tout découvrir de ma nouvelle cachette, je repris ma course en tirant cette fois sur un pan de drap à chaque passage. Mes mains accrochaient les étoffes et les jetaient à terre en un mouvement. D’autres miroirs, tous identiques, surgissaient du blanc terne des tissus et reflétaient une ombre traversée de mon image chaque fois que je passais devant. Je m’arrêtai brusquement devant l’un d’eux, le souffle étrange ayant repris.
Je me rendis alors compte que le miroir devant lequel j’étais pétrifiée ne reflétait pas mon image. Une autre personne apparaissait à sa surface et me regardait avec des yeux aussi stupéfaits.