Pièce n°589
Ephémère as Ephémère
Après m’être épuisée à courir pieds nus dans la pièce aux silhouettes drapées et m’être fondue dans la surface élastique d’un miroir qui m’avait engloutie, je me réveillai d’un sommeil qui me parut s’être prolongé trop longtemps à mon goût. Je me redressai et réalisai que je me trouvais face à une scène dont j’étais séparée par un écran translucide et souple comme la surface du miroir qui m’avait avalée. Un homme était dans la même pièce que moi mais ne semblait pas percevoir ma présence..
Le parquet craqua sous son pas. Un tapis bariolé était jeté au milieu de la pièce circulaire. Face à lui, une lucarne. La vitre était couverte de carrés de tissus assemblés en un patchwork coloré duquel filtraient les rayons du soleil lointain. Une coiffeuse en acajou se trouvait juste en dessous de l’ouverture collée de couleurs passées, vieillies, habitées du pâle fantôme de leur éclat d’antan. La pellicule de poussière qui couvrait la surface boisée et les taches foncées sur le miroir témoignaient du Temps qui avait effleuré de son doigt ce meuble abandonné à sa caresse destructrice. Des flacons de verre étaient disposés soigneusement sous le miroir, l’un d’eux renversé sur un paquet de lettres. L’homme s’approcha du tas de papier et suivit de l’index le tracé des mots presque effacés, fleurs d’encre entrelacées. Les larmes de l’auteur de ces lettres avaient gondolé le bas de la page du dessus. Une goutte s’ajouta à ces spectres humides, larme arrachée par les souvenirs aux yeux de l’homme penché. Une brosse attira son regard, posée en équilibre sur le bord. Quelques cheveux blonds y étaient encore, enroulés tels de minces serpents d’or autour des poils de sanglier dont était hérissé le pommeau. Dans un mouvement brusque de la tête, il se tourna vers moi. Son regard me pétrifia, mais il ne me vit pas..