Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE AUX PORTES MOUVANTES
LA PIÈCE AUX PORTES MOUVANTES

LA PIÈCE AUX PORTES MOUVANTES

curcuma as curcuma

J’ouvre une énième porte, bien décidée à trouver cette fameuse pièce. Depuis des heures que je ne compte même plus, je vois, devant mes yeux fatigués par l’obscurité persistante, des portes, des portes par centaines et par milliers, se succédant avec monotonie. Je cherche cette pièce si mystérieuse, cette pièce qu’une seule et unique porte de bois dissimule mais qui en comporte une infinité, cette pièce dont les portes se meuvent, tels des fantômes égarés…
Devant moi, encore une salle, encore des portes.
Je ne leur prête aucune attention et continue mon chemin. Je m’apprête à m’engager dans un escalier de bois sombre veiné de trainées claires, lorsqu’ un étrange pressentiment me pousse à me retourner.
Je scrute avec attention toutes les portes, toutes ces portes presque identiques les unes aux autres.
Presque identiques… Un détail retient mon attention.
Je retiens mon souffle, et là, mon regard d’émeraude s’arrête, comme attiré par une force imaginaire.
Une des portes retient mon attention. Un fin liseré lumineux émane du cadran, diffusant une lumière bleutée sur mon visage.
J’avance d’un pas, puis d’un autre, et me retrouve bientôt la main posée sur la poignée d’obsidienne.
J’enclenche la poignée et pousse doucement le battant de bois.
Une porte manque de peu de m’éborgner, me forçant à reculer d’un bond. Elle s’éloigne.
Je passe prudemment la tête par l’ouverture de la porte.
Et là, je reste bouche bée d’émerveillement, de stupeur, de…
Du coin de l’œil, j’aperçois une nouvelle porte se dirigeant vers moi.
Cette fois-ci, pas question de me laisser surprendre !
D’un habile coup de reins, je l’évite, et jette un coup d’œil circulaire à cette étrange pièce.
Fabriquée en une pierre blanche que je ne reconnais pas, elle est très vaste et comporte un bassin, empli à moitié d’eau et abritant quelques grenouilles et des algues ondulantes. Un creux sur le rebord permet à l’eau de s’écouler, créant une petite cascade et un doux clapotis résonnant dans la salle.
La cascade tombe dans une petite vasque transparente, puis dans une autre et encore dans une dizaine d’autres, formant ainsi un long ruban d’eau convergeant vers une plus grande vasque. L’eau continue son chemin et disparait à travers un des murs par un petit orifice caché par une fine branche de lierre.
Une vaste voute s’élève sur quelques mètres puis laisse place à une immense plaque de verre transparente et circulaire laissant filtrer la lumière et la diffractant dans la salle, teintant les murs de couleurs oniriques.
Des branches de lierre s’enroulent autour du bassin et quelques pétales de fleur mauves papillonnent doucement, donnant une petite note de douceur à la salle.
Autour du bassin, des portes se glissent l’une contre l’autre avec fluidité, ne s’effleurant qu’à peine. Comme réunies en pensée, elles se meuvent comme une seule et unique porte, sachant chacune où aller sans butter contre le bassin ou une autre porte.
Une fraiche brise provenant du plafond me fait lever la tête : un ruban de soie ondule doucement devant moi, frôle ma longue chevelure rousse, remonte d’une pirouette ahurissante jusqu’à la voute de verre et finit sa série d’acrobaties aériennes d’un piqué tourbillonnant avant de se calmer et de se laisser entrainer par le léger souffle de vent qu’il a créé.
– « Bonjour, Mademoiselle, cette magnifique démonstration vous a-t-elle permis de deviner qui je suis ? »
Son air hautain m’exaspère, c’est pourquoi je lui réponds, avouons-le, assez méchamment.
–  » CE QUE tu es, plutôt, pas qui tu es, espèce de ruban fou ! »
Le ruban prend un air très contrarié, et me répond de manière dédaigneuse :
–  » Sachez, Mademoiselle, que je ne suis pas un vulgaire ruban, ni un ruban fou mais un esprit du vent, et également le gardien de cette pièce !
-Sachez, Mondemoiseau, que je suis la Reine d’Angleterre et également le Pharaon Toutankhamon ! »
Je réponds sur le même ton que lui, et cela lui tire une grimace de mécontentement. Je retiens un rire devant la tête qu’il me fait. Le petit ruban se retourne, et commence à bouder, ce qui m’arrange bien puisque je n’ai pas de temps à perdre. Je dois explorer la pièce.
Je m’approche prudemment de la porte la plus proche, et pose délicatement la paume de ma main gauche sur la poignée. La porte s’immobilise d’un coup, imitée par ses consœurs. Mon cœur bat la chamade, et je me force à inspirer un grand coup pour me calmer.
Lorsque j’ouvre la porte, je suis stupéfaite :
Un doux parfum fleuri m’envahit.
Ce qui signifie que cette porte mène ailleurs.
Ailleurs alors qu’il y a quelques minutes, cette porte se promenait dans la salle.
Ailleurs alors que la porte est épaisse d’à peine cinq centimètres.
Je repousse les pensées interrogatives qui se pressent dans mon esprit et me dis que si je veux y voir plus clair dans cette histoire, il faut que je voie où elle mène.
Attrapant la bretelle de mon sac à dos, j’enjambe l’encadrement de la porte.
Une sensation d’aspiration me fait mal au cœur, puis j’ai l’impression de flotter, comme si un duvet de plumes d’oies me soutenait, effaçant mon mal de cœur comme l’on efface le souvenir d’un mauvais rêve.
Je perds connaissance…
Plus tard, bien plus tard, je reprends mes esprits.
Une douleur aigüe me transperce le dos.
Je me relève, tire mon sac coincé sous mon corps, faisant disparaître la douleur comme par magie. C’est mon sac qui me faisait mal, coincé sous mon dos puisque je l’avais remis sur mes épaules lorsque j’ai passé la porte.
La porte. Mes souvenirs affluent, envahissant mon esprit.
Un seul en particulier retient mon attention.
Que fait cette salle ici, dans ce château ?
Si chaque porte conduit à un endroit différent, combien y-a-t-il de pièces accessibles depuis cette salle, sans compter les cent mille autres ?
Je regarde autour de moi…
Je ne suis plus dans la salle aux portes mouvantes !

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