Le bulldozer à bottes bleues as Le bulldozer à bottes bleues
Il est très aisé de se perdre dans le Château, d’ailleurs se perdre n’est pas un problème en soi. Loin de là. C’est la magnifique angoisse, l’adrénaline déferlante et le souffle frissonnant de la chasse.
Pour chaque explorateur, pour chaque aventurier qui se respecte c’est la douce drogue du quotidien, et rien n’est plus normal ni plus beau que de se perdre.
En tout cas quand cet état ne dure pas trop longtemps. Parce qu’on se lasse rapidement dans le monde des émotions.
Parce que surtout ce couloir-tunnel, ce goulot, ce tuyau… bref cet endroit commençait sérieusement à me taper sur les nerfs. C’était bien beau de dégoter un passage à demi secret, et de se faufiler dans la mince ouverture, tout comme il était aisé de tremper sa lame curviligne de myriades de luisantes toiles d’araignées argentées, mais quand ça fait deux jours, deux jours et donc deux, voire trois nuits – logique – qu’on marche sans voir le bout de ce boyau reptilien, la fièvre d’être perdu baisse quelque peu. Carrément en fait.
Surtout qu’il n’y fait pas vraiment chaud. Les parois suintent de larmes gluantes. J’ai beau remonter le large col de mon manteau bleu de nuit, mon soit disant long corps reste agité de frissons secs. Quant à ma dite lame curviligne, elle ne ressemble plus qu’a une barbe-à-papa sale.
Quel ennui.
Ennuyeux.
Ennuyeux.
Ennuyeux.
ENNUYEUX.
EN-NU-YEEEEEEEEEEEEEEUUUUUUUUUUUX .
C’est à se demander s’il ne faudrait pas mieux rebrousser chemin, ou mon cadavre n’aura jamais aucunes chances d’être retrouvé. Quitte à mourir d’ennui autant avoir une sépulture un peu moins barbante qu’un tunnel qui a un jour cru que ressembler à une cave-boite de nuit était la quintessence de la mode.
Fantastique. Ca s’arrête sur un cul de sac en plus. En plus. Incroyable, je doit être maudit, je suis maudit! Alors quoi? Dieu avait perdu ses cheveux et jaloux de mes épaisses boucles encres, plutôt humides d’ailleurs à l’heure actuelle, je doit avoir l’air d’un caniche mouillé maintenant , mais quelle baaaarbe !, il m’avait maudit. C’est la seule explication possible. Une fois l’impossible éliminé, ce qu’il reste, aussi improbable que cela soit, doit être la vérité.
J’abandonne. M’affalant contre le mur, je renversais ma tête en arrière en gémissant. Un peu trop fort, et me pris une poignée dans le crâne.
Aucun intérêt.
Non ! Intéressant. Une poignée. Une poignée !
Finalement Dieu s’était rendu compte de l’enfer que constituaient des boucles. Trop dur à coiffer.
Parce qu’une poignée, ça veut dire une porte. Et une porte ça veut dire, quelque chose derrière. Mon système endocrin émergea de sa léthargie. Et mon trousseau de ma poche. Car qui dit porte, dit souvent serrure, et donc matériel de crochetage.
Héhé.
Après moult efforts, la serrure craqua et la porte hurla sur ses gonds. Bonjour la discrétion.
Derrière. Seconde porte. Seconde serrure.
Derrière. Troisième porte. Troisième serrure.
Je commençais à penser que ce trou à rat serait à l’avenir le seul témoin d’une véritable mort d’ennui. Quel beau mort je ferai pourquoi donc ne pas en faire profiter les générations futures?
Derrière. Quatrième porte. Quatrième serrure.
Mais pourquoi s’embêter plus que nécessaire quand un simple coup de pied suffit à faire tomber la vielle cloison de sa chambranle.
Une large pièce sombre s’ouvre devant moi. Sur les tables, sur les dossiers humides entreposés sur des étagères vermoulues, sur les ordinateurs fêlés par le temps, les tisserandes du tunnel avaient établis leurs nids luminescents, jusqu’aux différents fauteuils éparpillés.
Peut-être éparpillées mais pleins ! Des Hommes étaient endormis dans ces fauteuils, enveloppés dans ces draps arachnéens. Morts ? Non ils respiraient encore. Faiblement. Sorte de coma peut-être alors…
Une seule machine projetait une faible lumière. Emprisonné dans sa gangue de poussière, l’ordinateur affichait une page bleutée éclairant faiblement le visage paisible d’un certain…Emmanuel au vu de la carte de presse accroché à la poche de sa chemise défraichie par le temps.
Un message était affiché et clignotaient doucement, à un rythme régulier berçant les secondes.
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