Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE HORLOGE
LA PIÈCE HORLOGE

LA PIÈCE HORLOGE

la p’tite moustache as la p’tite moustache ♥

Quelle idiote ! Partir, sur un coup de tête, et décider de rejoindre les explorateurs du Château des Cent Mille Pièces, en voilà bien une idée stupide ! Et pour cause, depuis mon arrivée au Château, je n’ai croisé personne…
En plus, je me suis déjà perdue… Moi une aventurière ? Haha, non sûrement pas ! Au fond, j’aurais mieux fait de rester chez moi, à vivre ma vie banale et monotone plutôt que d’être coincée comme je le suis maintenant dans cette maudite pièce horloge !
Située au premier étage, la pièce horloge est sans doute l’une des pires pièces de cette demeure… Enfin, je l’espère car, si ce n’est pas le cas, je n’ose pas imaginer comment sont les autres !
Cette pièce, pour le peu que j’en sais, est d’une décoration assez sommaire. En effet, elle est composée en tout et pour tout de quatre murs. Sur celui du fond sont accrochés deux grandes barres de fer se croisant comme les aiguilles d’une montre et indiquant l’heure et sur le mur de devant, un pendule géant se balance sans fin en provocant un tic-tac infernal. Sur le mur de droite, se trouve la porte par laquelle je suis entrée et le mur de gauche est vide.
A mon arrivée dans la salle, mon premier réflexe fut d’en chercher la sortie. Mais au bout de deux minutes, j’avais examiné plus de trois fois chaque recoin de la pièce. Sans trouver de passage. Résignée, j’avais voulu revenir sur mes pas, hélas la porte d’entrée demeurait close.
Désespérée, je m’étais allongée sur le parquet, dur et froid. Les motifs du plafond quadrillé dansaient devant mes yeux tandis que je me répétais inlassablement que ce n’était pas possible, que « toute pièce avait une issue » comme me disait mon grand-père… Curieusement, j’étais épuisée et ce tic-tac régulier me donnait un de ces mal de tête !
Soudain, une idée horrible m’effleure : Et si… et si la pièce horloge était la seule pièce de ce Château et tuait ses visiteurs au fur et à mesure ? Ce serait la raison pour laquelle tout m’aie semblé si vide…
A cette pensée, je me mets à trembler. « Non, reprends-toi Orianne et cesse de penser à ce genre de choses. » m’ordonne la petite voix qui habite dans ma tête. Nous avons tous une petite voix dans notre tête. Et la laisser nous parler ou lieu de l’ignorer peut être très utile parfois. La mienne en tout cas est de bon conseil. « Secoues-toi un peu ! Tu ne vas pas rester allongée là éternellement ! »
Un gros effort me permets de m’asseoir. Impossible de rater l’heure affichée en énorme sur le mur en face de moi. 15H25. D’après mes souvenirs je suis arrivée dans cette pièce vers 15H05. Mon dieu, que le temps passe lentement ! Combien de temps vais-je rester bouclée dans cette pièce ?
Je n’en ai aucune idée. Je me lève et, pour la énième fois, essaye d’ouvrir cette satanée porte. Et sans surprise, elle reste toujours fermée.
« Qu’il se passe quelque chose, vite ! Ou je vais finir par mourir d’ennui ! »
Au moment où je me surprend à penser cela, un gong retentit pour me prévenir qu’il est 15H30 pile. Et une seconde après, je vois s’ouvrir sous mon nez, le mur de gauche, celui à nu. Un tunnel s’élargit face à moi, noir et béant. Ma main s’est crispée sur la poignée de la porte et j’écarquille les yeux de stupeur.
La première sensation que j’éprouve est une vive douleur à ma main droite, que je retire brusquement de la poignée car celle-ci est devenue brûlante, comme du métal chauffé à blanc. Je regarde ma paume et lâche un sanglot : la peau est toute rouge et des cloques commencent à apparaître…
« Calme-toi. Relativises . Essaies de tirer le meilleur partit de la situation présente. »
De rage, des larmes me montent aux yeux. Ah cette voix ! Si seulement elle pouvait se taire ! A l’intérieur de mes chaussures, mes pieds chauffent eux aussi. La température ne fait que monter. La salle est devenue un véritable four. Hystérique, je cours dans tous les sens, cherchant un endroit qui ne serait pas brûlant mais rien y fait : la chaleur passe par mes semelles trop fines. Je hurle, je n’en peux plus. Tout me brûle : le sol autant que les murs. Finalement, mourir d’ennui serait préférable à mourir grillée ! Ce sont les minutes les plus longues de ma vie… Et la température augmente, augmente…
Enfin, à 15H35, tout s’arrête. Le mur se referme et tout redevient normal. Normal… si l’on veut…
Secouée de tremblements incontrôlables, je m’adosse contre le mur, délicieusement frais. Je reste ainsi les yeux fermés durant plusieurs minutes. Les battements de mon cœur finissent par se calmer. Puis, lentement, j’évalue mes brûlures. Une sur chaque paume, une sur chaque plante des pieds, une sur l’épaule et une autre sur la cuisse. Je me mord la lèvre de douleur.
« Regardes-toi. Te voilà dans un beau pétrin maintenant ! Mais qu’est ce qui t’as pris de venir ici ? Qu’est ce qui a bien pu te passer par la tête ? »
– Toi dégage ! Je crie dans le vide. Sors de ma tête, je ne veux plus jamais t’entendre, compris ?
Mais au fond de moi, je me dis qu’elle a raison. Et si je suis ici c’est entièrement de ma faute.
Que va-t-il se passe maintenant ? Quand aurais-je encore à souffrir de la chaleur ou d’autre chose ?
C’est sur ces questions que je m’endors, écrasée de fatigue.
Je suis réveillée en sursaut par le gong de 16H00. Mon cœur se remet à cogner furieusement dans ma poitrine. « Oh non… je murmure en voyant le mur s’ouvrir en deux pour la seconde fois, oh non… »
Je me tiens à nouveau devant le tunnel, redoutant le prochain danger. Au début je ne sens rien. Pas le moindre changement.
En fait… Mais si… L’air commence à se raréfier ! Je tousse puis je lâche une exclamation de terreur en voyant que les murs de la salle se resserrent. La pièce rétrécit ! Et, à cette vitesse là et sans issue, je vais finir broyée ! L’air va bientôt me manquer. Je me plaque contre le mur. Mon cœur bat beaucoup trop vite, il faut que je respire plus lentement, il le faut… Mais c’est difficile lorsqu’on a sans cesse des poussés d’adrénaline !
L’espace devient de plus en plus petit, mais quand cela va-t-il s’arrêter ? Le balancier se rapproche de plus en plus de moi. Mais il va me percuter ! Et à cette vitesse là, au mieux je serais assommée ! Au pire… mais vaut mieux ne pas y penser…
Je tousse à nouveau. Je voie trouble. Je… je dois tenir…
Je suis si proche du pendule que je le sens passer tout près de moi. Roulée en boule dans cet espace devenu si étroit, j’attends. Ma respiration est plus proche du râle à présent. De l’air vite !
Soudain, lorsque je ne peux vraiment plus tenir, les murs s’écartent, cessent de faire pression et le tunnel disparaît. Le mur redevient blanc comme neige. C’est fini. Pour le moment.
A genoux, je respire bruyamment. J’avale de longues bouffés d’air. Pus d’un coup, je fond en larmes. Pleurer ne sert à rien mais je ne peux plus m’arrêter. Je voudrais tant que l’on vienne me consoler, que l’on me prenne dans les bras, comme quand j’étais petite. Oui c’est ce que je veux. Mais je veux aussi quitter cette salle, qui cherche à me tuer mais qui pour l’instant me rend folle. Je ne comprend plus rien… Quelque chose m’échappe… Et je me sens si seule ! Abandonnée. Un peu de compagnie ne serait pas de refus. Tiens ! Ma petite voix ! Où est elle passée ? J’ai été odieuse avec elle, m’a-t-elle laissée tomber ? On dirait… Là pour le coup je suis vraiment seule.
« Oh bon sang ! Mais si je suis là grosse nouille ! »
De soulagement, j’éclate de rire. Ou se sont peut être mes nerfs qui vont finir par lâcher.
– Merci… je souffle à ma voix.
Mais celle-ci semble avoir envie de râler car elle me répond sur un ton exaspéré :
« Ne me remercies pas ! Tu as de la chance que je sois toujours là ! Et maintenant tu vas me faire le plaisir d’arrêter de pleurnicher pour m’écouter ! Car j’ai réfléchi à quelque chose ! »
– Ah oui ? Je répond la voix pâteuse.
« Et oui ! Continue-t-elle triomphante, je sais comment fonctionne cette pièce ! C’est très simple : chaque personne se trouvant dans cette pièce est obligé d’y rester jusqu’à minuit. Mais comme tu as pu le constater, toutes les demi-heures, un événement différent se produit durant cinq minutes. Il est annoncé par un gong et provient du tunnel, tunnel par lequel tu sortiras. »
– A minuit ?
« A minuit. »
Voyant mon air soupçonneux, elle ajoute : « J’ai trouvé ses renseignements dans le bestiaire du Château. Où croyais-tu que j’étais durant tout ce temps ? »
Soulagement ou déception ? Je ne saurais le dire.. Minuit est dans longtemps mais au moins, j’ai quelque chose en lequel croire, sur quoi m’appuyer. Je reste accrochée à l’heure comme l’on s’accroche à une bouée de sauvetage. Chaque demi-heure, j’endure un nouveau supplice. J’ai droit à un froid glacial, un courant électrique, une rencontre avec des chats sauvages pas très amicaux (qui m’ont laissé plusieurs griffures) et j’en passe… Mais, chaque nouveau danger me rapproche de ce que j’attends le plus : minuit.
« Oh-oh » souffle ma petite voix à minuit moins deux.
Enfin ! Rampant à moitié, je me rapproche du mur et attends avec impatience qu’il s’ouvre. « Allez ! Allez, ouvres-toi et fait moi sortir, je pense de toutes mes forces. Tu m’as assez fait souffrir tu vois, alors laisses moi partir… »
Puis, tout doucement, avec une lenteur exagérée, le mur se sépare en deux, je suis devant le tunnel. Mais là, au lieu d’être tout noir comme à son habitude, une lumière dorée émane de l’intérieur. La sortie ! Elle est là ! Devant moi !
« Cours ! Dépêche-toi ! » me presse ma voix.
Hélas, je suis incapable de me relever. La fatigue, que dis-je, l’épuisement et mes blessures ont fini par avoir eu raison de moi.
Soudain, une silhouette se détache et avance vers moi dans la lumière. C’est un homme. Avec un air qui ne me plaît pas. Mais alors pas du tout. Il me sourit. Ça y est, je le déteste. C’est de sa faute si je suis là, j’en suis certaine.
Mais une violente bourrasque me soulève du sol ce qui met fin à mes préoccupations. Elle me projette hors de la salle, tout droit dans le tunnel.
« Pas trop tôt » remarque ma petite voix. Et, pour une fois, je trouve qu’elle a entièrement raison.

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