Le changement était brutal.
La pièce devait être plutôt grande. Des deux côtés, quelques fauteuils étaient calés contre des murs blancs sans fenêtre, tous bien remplis de personnes en tout genre. D’autres moins chanceux étaient assis à même le sol, éparpillés un peu partout dans la pièce.
Je remarquais vite un regroupement autour d’une personne allongée par terre, qui n’avait pas l’air de donner de signe de vie. Ça me colla des frissons dans le dos.
Très vite Orianne réagit :
– Ok, on s’éparpille pas. C’est un peu louche tous ces gens. Voyons ce qu’il en est, pour l’instant on reste en groupe. Ça vous va ?
– Moi ça me va.
Quelques personnes nous remarquèrent et levèrent la tête vers nous, mais il n’y eut pas beaucoup de réactions autres.
Deux garçons se levèrent et vinrent à notre rencontre. Le premier était blond, plutôt beau, et semblait n’avoir que quelques années de plus que moi, mais le deuxième était beaucoup plus grand, au visage pas très amical et aux muscles de fer.
Je dégainais mon épée par réflexe et fus rejointe par Yashim qui lui aussi avait sorti son arme.
Le blond esquissa un mouvement de recul avant de sortir lui aussi une grande épée, dissimulée auparavant dans son dos.
Derrière nous, Orianne et Marine sortirent également leurs armes, et le muscle-man qui accompagnait le blond se mit en position de combat.
Cette fois toute la salle nous regardait.
Au bout quelques secondes immobiles à nous foudroyer du regard, le blond baissa sa lame avec précaution.
– Bon. Je pense qu’aucun de nous ne veut cette bataille. On en a déjà assez, on n’a pas non plus besoin de s’entretuer.
– Je ne pense pas non plus qu’on ait besoin de se battre, dis-je en me détendant un peu.
– Super ! Cool ! Ok !…
Il avait l’air réellement soulagé. En y regardant de plus près, malgré ses traits harmonieux ses yeux étaient profondément cernés.
A côté de lui, le grand fit une grimace d’incompréhension et baissa ses poings.
– Dans ce cas je vais vous faire visiter, dit-il d’une voix rocailleuse.
– Visiter quoi ? le coupa Orianne. Minute, il n’y a que des explorateurs ici ?
Marine se rapprocha de moi.
– Des explorateurs ? Si par explorateurs vous entendez des personnes coincées dans ce putain de château, oui, c’est ça.
Le coup de la surprise me fit chanceler une seconde, et Marine s’emporta :
– Mais c’est trop bien ! Des gens comme nous ! Ça faisait si longtemps ! Et s’il y avait Romain ?
Ce simple nom, comme à son habitude, jeta un blanc. Les épaules de ma sœur s’affaissèrent.
– Marine, dis-je en prenant le temps de bien articuler chaque syllabe. Nous ne connaissons pas. Ces. Gens. Qu’est-ce qui te dit que ce n’est pas un piège ?
Son regard m’évita.
– Quant à Romain, s’il avait été là, il nous aurait déjà rejoint.
Je sentais la colère monter en moi, et fis tous les efforts possibles pour la contenir.
– Oui… Désolée…
En face de nous, le blond regardait ses pieds comme s’il ne se sentait pas à sa place. Je sentais qu’il lui brûlait de dire quelque chose. Son… Ami ? – lui, avait repris sa pose sévère.
– Si j’peux me permettre… finit par dire le blond, pas mal de personnes en arrivant ici ont peur que ce soit un piège ou quoi que ce soit… Mais il finissent par comprendre. En général ce sont des personnes qui ont rencontrés de graves problèmes pendant leur visite. Comme ces gens là-bas.
Il désigna la personne allongée par terre que j’avais repéré tout-à-l ’heure.
– Et…
Il mourrait d’envie de rajouter autre chose.
– …Sachez juste, qu’ici, on a tous les mêmes problèmes… On s’entraide.
Un nouveau blanc.
– Tu parlais de faire visiter ? demanda Yashim au grand musclé pour briser la glace.
– Oui. Suivez-moi.
Il nous guida à travers les gens qui nous saluaient à notre passage. Tous étaient sales et paraissaient fatigués. Je remarquai aussi que la plupart étaient plutôt jeunes, il n’y avait que très peu de personnes de plus de trente ou quarante ans. Aucune, en fait.
Il s’arrêta brusquement.
– J’avais oublié : Matt, et vous ?
– Et moi c’est Quentin, rajouta le blond.
Yashim fit les présentations.
– Je connaissais quelqu’un qui s’appelait Marine, aussi… Mais bon aucune importance, se dépêcha de se reprendre Quentin.
– On arrive au premier endroit que je voulais vous montrer, fit Matt, en ignorant la remarque de l’autre.
Il se posta fièrement devant un grand présentoir remplit de nourriture de toutes les sortes.
– Ça, c’est le coin bouffe. Il y avait déjà des choses dessus au début, mais les gens qui ont eu de la chance en trouvant de la nourriture et en avaient assez en ont rajouté après. D’autres choses apparaissent mystérieusement tous les deux jours, donc on arrive à manger un peu près convenablement.
– Attends. Tous les deux jours ? Mais ça fait combien de temps que vous êtes ici ?
– Quelques semaines peut-être ? Un peu plus d’un mois… Peut-être deux. En ce qui me concerne.
– Ah…
Il continua d’avancer pour s’arrêter un peu plus loin. Toujours suivi de près par Quentin. Il y avait un passage dans le mur qui devait donner à une autre partie de la pièce.
– Ici, c’est le coin… Hygiène. Douches et toilettes. C’est pas hyper clean, mais il y a toujours des gens sympas qui se proposent pour nettoyer un peu tout ça.
Une pensée stupide me traversa. Ça me faisait penser à un camping que j’avais fait quand j’étais petite.
– Et enfin là-bas – il désigna une porte on ne peut plus basique au fond de la pièce – c’est la sortie. Finalement tout ce qui nous manque c’est une infirmerie et quelques ouvertures.
Il eut un sourire blasé.
J’étais stupéfaite et ravie à la fois : une pièce avec ce qu’il faut pour vivre, remplie de gens comme nous ? Je n’aurais pu espérer mieux.
– Il y a souvent des nouveaux ? demanda Orianne.
– De temps en temps. Je vous laisse, installez vous quelque part, faites connaissances, je dois aller voir quelque chose.
Et il nous laissa.
– Je vais y aller aussi, continua le blond. Salut !
Il s’en alla d’un autre côté.
Nous nous installâmes quelques pas plus loin, près d’un groupe formé d’un couple d’une vingtaine d’années, d’une femme à piercings et d’une ado qui devait être un tout petit peu plus jeune que moi.
La femme à piercings s’avança aussitôt vers nous.
– Moi c’est Estelle. Ravie de vous rencontrer. Je suis désolée de vous demander ça d’une façon aussi abrupte, mais vous n’auriez pas de quoi soigner quelqu’un ?
Elle avait un fort accent… allemand ?
– Astrid. Je suis sincèrement désolée mais je ne crois pas pouvoir vous aider… Quoique…
Une idée folle me traversa la tête.
– Non, désolée. C’est pour la personne là-bas ? Qui est-ce ?
– Un enfant… C’est le blessé le plus important en ce moment. Ça fait plusieurs jours qu’il oscille entre vie et mort dans une sorte de coma… Pauvre enfant…
Quelle horreur.
– Je peux permettre une question ?
Elle hocha la tête.
– D’où vient votre accent ?
– Je suis Allemande. Il y a quelques nationalités différentes ici. Moi j’ai la chance de très bien maîtriser le Français, c’est tout.
Il ne m’était jamais passé à l’esprit que les explorateurs puissent être de nationalités différentes.
Je déposais mon sac à dos, et sortis quelques affaires propres.
– Je vais aller me prendre une douche, ça ne me fera pas de mal, informai-je les autres. Je ne serai pas longue.
Marine dormait déjà, la tête posée sur son sac.
En effet, les douches n’étaient pas d’une propreté optimale mais je n’allais pas chipoter pour si peu. Devant moi, des dizaines de cabines bleues, séparées en deux parties – filles-garçon – s’alignaient. À ce moment il n’y avait personne.
Le contact avec l’eau chaude me détendit, et quand je sortis de la douche, je me sentais beaucoup mieux.
A mon retour, Orianne et Yashim étaient en pleine discussion avec le couple du groupe d’Estelle.
– Mais notre plus grande surprise à quand même été de rencontrer Tlisia, était en train s’enthousiasmer la femme. En fait, ce n’est même pas son vrai nom, mais il est impossible à prononcer pour nous.
Elle rigola discrètement.
– Tlisia ? lui demandais-je en m’asseyant près d’eux. Pardon, moi c’est Astrid.
– Salut, moi c’est Tatiana. Tlisia, c’est elle, là-bas. C’est une fée.
En scrutant bien la foule, je distinguais en effet une grand paire d’ailes.
– Une fée ? Ca existe ?
J’avais appris à connaître plus ou moins la magie au cours de mon exploration mais jamais je ne m’étais imaginé que les fées puissent exister.
Je vis subitement le monde d’une toute autre manière, en même temps qu’une foule de questions me traversait l’esprit.
– Eh bien apparemment oui. Elle est très sympathique, d’ailleurs. Extrêmement intelligente aussi, je n’ai jamais vu ça. Très différente de la manière dont je m’imaginais une fée, en tous cas.
La discussion continua, au fil des rencontres – beaucoup de personnes vinrent nous saluer-, et j’appris que le petit ami de Tatiana s’appelait François. Elle était beaucoup plus extravertie et sociable, alors que lui était un peu plus timide, mais tout aussi sympathique en apprenant à le connaître.
La nuit arriva – ou en tout cas on le supposa, puisqu’on avait aucune ouverture nous permettant de le confirmer. Peu à peu, la pièce se modifia, les gens sortant des matelas fins, des sacs de couchages et des couvertures, le volume sonore diminuant. D’un seul coup les lumières s’éteignirent.
Je ne mis pas très longtemps à m’endormir, fatiguée et bercée par les quelques chuchotements et les présences rassurantes autour de moi.
Au milieu de la nuit, une main me secoua gentiment l’épaule.
Un bâillement m’échappa, et le blond que nous avions rencontré à l’entrée de la pièce me fit signe de me taire. Je mis quelques secondes à me souvenir de son nom. Quentin.
En un geste, il me demanda de le suivre, et je vis seulement Orianne entrouvrir les yeux et froncer les sourcils d’un air réprobateur tandis que je m’extirpai du duvet.
Quentin m’entraîna sans me faire marcher sur les gens dans un coin un peu à l’écart, entre deux fauteuils, ou personne ne s’était installé.
– Qu’est-ce que tu veux ? lui chuchotai-je, un peu agacée par son comportement.
– Pas grand-chose. Parler.
Je soupirai un grand coup puis me calais contre le fauteuil.
– Très bien, on peut parler, mais pourquoi maintenant ?
– Je ne sais pas, comme ça. Tout est plus calme la nuit, j’en apprends plus des gens que quand je leur parle la journée.
– Pourquoi ?
Il se tut. Dans le pénombre, ses yeux me parurent inquiétants, comme s’il était un peu fou.
-Tu voulais me parler de quelque chose en particulier ? finis-je par lui demander, consciente qu’il se retenait de parler.
– Non.
Il mentait très mal.
– Parle-moi un peu de ta vie avant le château.
Je lui racontai. Après tout, pourquoi refuser ? J’en avais assez de devoir me méfier de tout, tout le temps. Je lui en demandai de même, après avoir fini ma petite histoire.
– J’avais une vie un peu banale.
Là aussi je sentis qu’il ne me disait pas tout.
– Je suis rentré dans le château avec des amis, pour m’amuser.
Ca crevait les yeux qu’il n’était pas sincère.
– J’ai fait des rencontres, perdu des gens, atterri dans cette pièce, et maintenant, je n’ose plus en ressortir.
Il me scruta droit dans les yeux, et me força à détourner le regard, un peu gênée.
Il s’arrêta subitement de bouger, puis me fit pivoter et me chuchota :
– C’est là que ça devient amusant, regarde elle là-bas.
Une femme se levait. Elle s’était présentée, tout-à-l’heure, elle était plutôt sympa.
– Oui, et bien ?
– Elle est somnambule. J’ai remarqué que toutes les nuits, elle reprend le même rêve, et continue de faire ce qu’elle faisait la nuit dernière. C’est assez amusant. Régulièrement, je me réveille juste pour l’observer. On en apprend beaucoup des gens quand ils dorment. Ils sont plus naturels.
Je visualisais très bien ce qu’il me disait. Il était décidément un peu étrange, mais sympathique.
Je n’arrivais pas bien à voir ce que faisait la femme dans son songe, mais ce n’avait pas l’air de tout repos.
On continua à parler un bout de temps, puis je retournai me coucher, pas mécontente quand même de pouvoir dormir.
Je me réveillai comme d’habitude après tout le monde, mais toujours fatiguée. Le petit déjeuner fut léger mais me suffit.
De toute la journée je ne réussis pas à m’ennuyer. Faire connaissance avec les gens, discuter, donner un coup de main pour le rafistolage de ceci ou cela, me suffisait amplement. Je fis connaissance avec la fée, qui, en effet, était très différente de ce que je m’étais imaginé. Elle avait un caractère assez marqué, une volonté incroyable à aider et une intelligence remarquable. Son visage était beau sans être incroyable, mais ses ailes étaient plus petites que dans le conte de fées et paraissaient moins fragiles.
Marine quant à elle s’était faite une amie avec qui elle était beaucoup, une petite blonde nommée Lisa, tandis que Yashim était occupé à rencontrer des gens, et Orianne à aider quelques personnes.
Je me sentis subitement un peu seule, surtout sachant que Quentin était occupé autre part et qu’une timidité nouvelle m’empêchait de le rejoindre.
J’aurais sûrement dû rejoindre Orianne mais une étrange fatigue me découragea.
Je rencontrai également la mère de l’enfant blessé, un peu plus tard. Elle était épuisée, semblait constamment sur le point de pleurer, et cela m’entraîna un coup de déprime qui me suivit tout au long de la journée.
Je m’en voulais d’avoir entraîné ma sœur par inadvertance au château. Et d’ailleurs si le seul moyen d’en ressortir était la mort ? Si c’était le seul moyen pour moi d’arrêter toute cette horreur ? Je préférais mourir que de vivre le restant de ma vie ici. J’en avais assez.
Mais non. Non, je ne pouvais pas me permettre ça. Pour Marine, justement, mais aussi pour Orianne Yashim et même Romain si on le retrouvait.
Que se passerait-il si quelqu’un du groupe mourait ? Cela entraînerait une démoralisation, sans aucun doute. Il nous suffisait de comparer ça au fait que Romain ait disparu.
Et si je n’étais pas la seule à avoir pensé à ça ? Et s’ils y avaient pensé aussi ? Je ne voulais pas qu’ils me laissent. Aucun d’eux.
La peur me saisit. Mon ventre me fit grimacer de douleur.
Je me précipitai aux toilettes pour vomir un bon coup. J’avais besoin de me vider. Pendant de longues minutes, j’y restai, jusqu’à ce que je réussisse enfin à reprendre une respiration normale.
Orianne Yashim et Marine étaient déjà en train de dîner quand j’arrivai.
– Strid ! T’étais où ? s’exclama Marine. Je t’ai cherchée partout !
Mon esprit patina pour trouver un excuse.
– J’étais… Je m’étais endormie dans un coin, au fait. J’étais vraiment crevée.
Orianne fronça de nouveau les sourcils. Elle n’y croyait pas une seconde, ça se voyait. Je devais sûrement mentir très mal moi aussi.
– Bref, vous vous avez fait quoi vous ?
– J’étais avec Lisa, elle est vraiment super cool. Elle a traversé des choses dures, elle aussi. Mais elle est super sympa, on discute vachement, répondit Marine.
– Moi j’ai donné un coup de main à soigner Sam, continua Orianne.
– Sam ?
– Le petit blessé. Tu sais bien, il est aux portes de la mort, et son état va encore empirer si on ne fait rien.
Le garçon dont j’avais rencontré la mère tout-à-l’ heure.
– Et moi j’ai rencontré des gens, notamment eux là-bas, finit Yashim.
Il désigna un duo composé d’une grand brun de notre âge, accompagné de son amie blonde. Il y avait décidément beaucoup d’adolescents.
– Ce sont John et Hannah. Ils sont super sympas aussi, mais ils ne sont pas dans le château depuis trop longtemps, ils ne savent pas vraiment ce qui les attend. Ce sont des Anglais, rajouta-t-il avec un petit sourire.
John… Et Hannah… Je me perdais déjà dans les noms. Trop de gens. Je n’avais qu’à retenir d’eux que c’étaient des Anglais. Ça suffirait.
La discussion continua, puis la nuit arriva, ou en tout cas la lumière s’éteint. En quelques minutes, tout le monde s’était déjà couché.
Le matin, pour une des premières fois, je n’étais pas la dernière à me lever, Marine dormait encore.
La journée passa assez vite, Yashim de son côté avec ses fameux amis anglais qu’il avait rencontré, Marine un peu plus avec moi ce jour là, et Orianne avec nous également .
Quentin vint me voir en vitesse le midi, papota un peu puis s’empressa de repartir.
Le lendemain, ce fut le bruit qui me réveilla.
J’entendais une femme pleurer à la limite du hurlement, des gens qui criaient dans tous les sens.
Orianne était déjà debout, tandis qu’à côté de moi Marine se réveillait tout juste.
– Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda cette dernière .
– C’est Sam, le petit blessé. Je crois…
Elle poussa un soupir angoissé, une petite larme perla au coin de son œil .
– Il n’a jamais été aussi proche de la fin, finit-elle par dire avec difficulté.
Pendant une instant, la surprise ajoutée à la fatigue me cloua sur place. Puis, une force incontrôlable me poussa à prendre mon sac à dos, et à me précipiter vers le petit.
La mère était en pleurs, assise à côté de son enfant qui était un peu bleu.
Une homme qui était en train de prendre son pouls se releva avec une mine triste. Malgré les regards insistants, il ne dit pas un mot.
J’attrapai le poignet de la mère, qui sursauta et leva sur moi un regard baigné de larmes.
Je sortis de mon sac à dos la boîte. La fameuse boîte de perles, cadeau du château, les fameuses qui m’avaient permis de parler à Romain. Pourquoi ne m’étais-je pas posé plus de questions sur ces perles ? Pourquoi ne voulaient-elles plus me laisser parler à Romain ? Et qu’est-ce qui me poussait maintenant à les sortir ?
J’ouvris la boîte, en pris une et la déposai dans la main de la femme.
Son regard triste se transforma en un visage dévoré par la colère.
– C’est une blague ? Une perle bleue ? Que veux-tu que j’ai à faire d’une perle bleue ? Idiote !
Mais, de son poing serré dans lequel elle tenait la perle, une fumée s’échappa, et, en quelques secondes, enveloppa son fils.
Je fixais la scène, complètement dépassée.
On pouvait à peine distinguer l’enfant tant la fumée était épaisse, et se mouvait de manière étrange. Quelques secondes plus tard, elle se dissipa pour nous laisser observer Sam, qui était méconnaissable.
Il était toujours inconscient, mais sa peau avait retrouvé sa couleur normale, ses égratignures et sa plaie géante à la côte avaient disparues, et surtout, son ventre se soulevait au rythme de sa respiration.
Mes souvenirs de la suite sont un peu altérés.
La mère pleura. Encore plus qu’avant . N’aurait-elle pas dû avoir la réaction inverse ?
Orianne me fit pivoter par l’épaule.
Elle avait les yeux agrandis par la surprise
– Qu’est-ce qui s’est passé ??
– Je… J’en sais rien…
Elle fonça vers la mère.
Je n’entendais plus rien.
C’était une bonne question : Qu’est-ce qui s’était passé ? Ces billes ne me servaient donc pas juste à communiquer ? Mais à quoi alors ? Et quel était ce pressentiment qui m’avait poussé à faire ça ?
Ma tête devint lancinante. Arrêter de penser. Voilà qui me ferait du bien. Comment, de toute manière, pouvait-on comprendre le château ?
Je sentis des bras me serrer. C’était la mère.
– Merci… me souffla-t-elle à l’oreille. Merci…
Puis elle me tourna le dos, et retourna voir son fils.
Toute la journée tourna autour de cet événement. Il était le centre de toutes les discussions. Très vite un bruit courut. J’entendais partout des voix le chuchoter dans mon dos, des gens me fixer quand je passais.
Pourquoi devrais-je garder ces perles, aux deux sens du terme, pour moi seule ?
Je me mis à emporter mon sac partout avec moi, de peur qu’on ne me les prenne. Peut être était-ce égoïste, mais un pressentiment me criait de les surveiller.
– Astrid ?
– Oui Marine ?
– Il y a des gens qui ne te croient pas, mais c’est bien vrai que tu ne connaissais pas le pouvoir de ces perles ?
Mon cœur se serra.
– Bien sûr, que je ne le savais pas. Je vous l’aurais dit !
Elle hocha vigoureusement la tête
– Marine ?
– Quoi ?
– Tu me crois, n’est-ce pas ? Tu sais que tu peux me faire confiance ?
– Bien sûr, tu sais bien que Yashim, Orianne et moi, on te croit sur parole ? Tu sais que tu peux nous faire confiance aussi ?
Bien heureusement, personne ne vint me demander directement de donner les perles. Je n’aurais su quoi répondre.
L’après-midi, l’état du petit était mieux encore que le matin. Il semblait reprendre des couleurs de minutes en minutes, bien qu’il ne soit toujours pas réveillé
Quelques jours plus tard, j’eus une discussion avec Quentin.
– Astrid ! Souris ! Tu me fais de la peine ! Oublie ce qui s’est passé, la réaction des gens. Tu as sauvé un vie.
– Quentin… Je crois que je veux partir. J’étouffe.
Il me regarda d’un air entendu que je compris pas.
– J’étouffe…
– Eh bien, pars. Qu’est-ce qui t’en empêche ?
– Je ne vais pas laisser tout le monde en plan !
– Tu devrais en parler avec tes amis.
Et lui ? Faillis-je lui demander. Malgré tout, je l’appréciais bien, ça me ferai mal de le laisser.
Pour manger, nous nous retrouvâmes pour la première fois depuis quelques temps tous ensemble, Marine, Yashim, Orianne et moi.
Entre temps, quelqu’un pour la première fois était venu me demander directement une perle. Un garçon auquel j’avais très peu parlé. Il avait inventé quelques raisons pour lesquelles il devait en obtenir, et quand j’avais refusé, il avait juré quelques instants avant de murmurer en tournant le dos qu’il finirait par me les voler dans mon sommeil et que c’était pas possible d’être égoïste comme ça.
Je leur racontai l’événement, avant de déglutir péniblement :
– Je suis vraiment sincèrement désolée, mais… Je ne supporte plus d’être ici. Je pensais être au près de personnes qui nous ressemblent, rassurantes mais… Je me sens juste oppressée. J’aimerais… Partir.
Tout le monde se tut.
– Astrid… Tu peux pas me faire ça… articula difficilement Yashim. Tu ne peux pas tenir ? Il y a tout ce dont on a besoin ici… Tout pour vivre ! C’est… Je ne peux pas partir… On est en sécurité ici.
– Mais il y a autre chose, n’est-ce pas ? Autre chose que la sécurité qui te retient ici.
Je maudissais chaque mot que je prononçais. Ceux-ci m’avaient échappés, dévoilant une vérité que je ne voulais pas m’avouer. Je sentais déjà les larmes me monter aux yeux.
– Oui… Je suis amoureux d’Hannah, murmura Yashim. Je l’aime. Elle m’aime. C’est tout. Je ne me sens plus de la quitter. Ni son ami. Il est vraiment gentil, lui aussi.
Hannah… L’anglaise…
Orianne me jeta un regard affolé.
– Mais le garçon avec elle, ce n’est pas son petit ami ? s’empressa de demander Orianne.
– C’est son frère, jeta-t-il d’un ton blasé.
Je me surpris à me pincer la main pour m’empêcher de pleurer. L’air commençait à me manquer.
Évidemment que Yashim ne s’était jamais intéressé à moi. J’avais été stupide aussi. Je ne lui avais jamais rien dit.
Mon cœur se serra atrocement.
Je me pinçai la main un peu plus fort encore.
– Astrid… me dit Marine. Je voudrais que tu saches que moi, je te suivrai n’importe où. Si tu veux partir, j’irai aussi. D’ailleurs comment faire pour sortir du château si on ne l’explore pas ?
Orianne me regardait toujours sans trop savoir quoi faire. Elle savait ce que je ressentais pour Yashim.
Je chuchotai un « merci »étouffé à Marine et partis me réfugier de nouveau dans les salles de bain, où je pus laisser rouler mes larmes.
J’avais été stupide et bien trop fleur bleue avec Yashim. J’avais maintenant intérêt à l’oublier au plus vite. Oublier. Yashim.
Il fallait à tout prix que je retrouve ma respiration.
Quand je sortis de nouveau, me pris l’envie oppressante de voir Quentin. Et besoin d’éviter le contact de toute personne trop proche.
Je ne mis pas longtemps à le retrouver, il triait quelques affaires tout seul dans son coin.
Quand il me vit un petit sourire éclaira son visage.
– Astrid ! Alors ? Vous partez ?
Un sanglot m’échappa, que je m’efforçai d’étouffer pour ne pas enclencher une réaction en chaîne.
– Ça va être compliqué pour le moment, je crois.
Je me rendis compte à ce moment que je n’envisageais pas un seul instant de partir avec un membre du groupe en moins.
Il posa ses affaires et me pris dans ses bras un instant. Je respirai un bon coup.
– Merci.
– Courage !
Il leva ses deux pouces en l’air et prit un expression un peu enfantine.
Les jours qui suivirent furent un enfer. J’évitai Yashim et Orianne qui me servait un regard désolé chaque fois que je la croisais, ainsi qu’un peu près tout le monde excepté Marine et Quentin car personne n’avait oublié mes perles.
Ce dernier était presque devenu une drogue. Toujours tout sourire, prêt à m’écouter et à me changer les idées. Sa présence seule suffisait à me rassurer.
Marine elle était beaucoup moins avec son amie, et plus avec moi. On faisait pas mal de tâches ménagères en reparlant de notre vie d’avant comme si de rien n’était.
Je croisai un jour mon reflet dans un des miroirs des salles de bains, et me reconnus à peine. Mon teint était terne et j’avais des cernes comme je n’en n’avais jamais eues, mais ce qui me marqua le plus fut de voir à quel point j’avais maigri. En me regardant dans le miroir, je réalisai que je flottais dans tous mes vêtements.
Je détournai le regard aussi vite que je le pus.
J’essayais d’oublier ma propre présence. D’oublier les gens. Et Yashim. D’oublier cette douleur incroyable.
Un jour où Marine était finalement partie voir son amie et Quentin était occupé, je me retrouvai à laver le sol de la salle de bain seule. Ma tête me lancinait. Sans que je ne m’en rende compte, je sombrai dans le sommeil, en tombant allongée au beau milieu de sol à moitié lavé de la salle de bain.
Ce fut Yashim qui me réveilla. On m’avait ramenée à mon sac de couchage. Je ne voulais pas le voir, mais je n’avais pas la force de partir.
Il m’attrapa par les deux poignets et me força à me relever.
– J’ai changé d’avis Astrid. Je veux bien partir.
– C’est… C’est vrai ? Mais… Mais Pourquoi ? lui demandai-je en me forçant à rester éveillée.
Il eu un mouvement de tête agacé.
– J’ai réfléchi. Partons. Tout de suite.
– Quoi ? Mais ? Et Hannah ?
– C’est… J’adore Hannah. Mais c’est avec vous que j’explore le château. Pas avec elle. En plus l’ambiance commence à être étrange, avec cette histoire de perles.
– Alors, on part ?
– Oui, on part.
Orianne arriva, sûrement alertée par nos airs sérieux. Elle me jeta un coup d’œil, conclut sûrement que je n’étais pas en train de faire une crise de nerfs, et se tourna vers Yashim.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– J’ai changé d’avis. Je veux partir.
Elle lui lança un regard étonné qui en disait long, sembla perdre ses mots un instant, puis demanda :
– Quand ?
– Ce soir, de nuit.
– On s’enfuit comme des voleurs, ne pus-je m’empêcher de souffler.
La décision était donc prise. On partait, de nuit. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il fallait au moins que je prévienne Quentin.
Je mis quelques secondes à peine à le trouver.
– Quentin !
Il se retourna.
– Quentin ! Il faut que je te parle. On part.
– Vous partez ? Quand ?
– De nuit. Ce soir.
– Vous fuyez plus que vous ne partez, non ? me demanda-t-il en levant un sourcil.
Je ne relevai pas la remarque, étrangement semblable à la mienne.
– Je voulais juste… Te prévenir.
Contre toute attente, il me serra – peut-être un peu trop fort – dans ses bras, puis me regarda droit dans les yeux.
– Tu vas me manquer.
Ce fut à mon tour de le serrer dans mes bras.
– Merci… Toi aussi.
– Je te souhaite bonne route, me chuchota-t-il.
Il remplaça une mèche de mes cheveux derrière mon oreille puis me tourna le dos.
Mon cœur se serra de nouveau douloureusement.
Quand tout le monde fut couché, je commençai à ranger mes affaires. Marine avait également déjà dit au revoir à son amie, Orianne avait fini d’organiser ce qu’elle avait commencé, n’ayant pas rencontré de gens aussi proches mais connaissant un peu tout le monde, et enfin je n’avais pas trop de nouvelles de Yashim.
J’essayais de faire le moins de bruit possible, et chacun de son côté faisait de même. Un sentiment bizarre me traversa. Comme de la nostalgie.
Je fermai mon sac, dont la fermeture éclaire me parut dix fois plus bruyante qu’à l’ordinaire.
Je balayai du regard la salle silencieuse de corps allongés par terre. Tous… Ou presque. Une personne était assise et semblait, dans l’obscurité, tournée vers nous.
Je la fixais un instant. Elle se leva.
– Marine, lui chuchotai-je. Y’a quelqu’un de levé.
Elle haussa les sourcils un instant.
– Hannah, souffla-t-elle simplement.
Une douleur sourde me serra la poitrine. Marine m’attrapa la main qu’elle serra avec douceur, puis se retourna vers Yashim pour les prévenir de l’arrivée de l’anglaise, et il alla directement à sa rencontre.
Je remarquai qu’Orianne était étrangement immobile, et m’avançais vers elle.
– Orianne ?
Elle releva la tête un peu brusquement, s’essuyant le coin des yeux.
-Ça va ?
Elle reprit tout de suite son air normal.
-Oui. C’est rien.
De l’autre côté, j’entrevoyais la silhouette de Yashim légèrement penchée vers celle d’Hannah, sa main qui passa un instant délicatement dans ses cheveux…
Il fallait partir. Je mourrais d’envie d’interrompre cet instant intime, mais une petite voix m’ordonnait de les laisser tranquilles.
Entre temps, Orianne s’était de nouveau penchée vers ses affaires.
Je remarquai qu’elle était de plus en plus discrète.
Quand toutes les affaires furent fin prêtes et que Yashim fut séparé de sa dulcinée, nous nous avançâmes vers la porte.
Hannah nous suivait du regard, tandis qu’Orianne prenait un grande inspiration avant d’attraper la poignée.
Quand elle l’ouvrit, une lumière intense s’infiltra dans la pièce sombre que nous nous apprêtions à quitter.Elle la franchit avec Marine, et je la suivis de près, jetant un dernier regard à la pièce.
J’aperçus une dernière silhouette qui me faisait un signe de la main. Quentin.
Puis plus rien
Autrice : Cléclé sous le pseudo « Cléclé dite la pianiste un peu folle »