Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE AUX ÂMES
LA PIÈCE AUX ÂMES

LA PIÈCE AUX ÂMES

Pièce n°819

une ombre dans les rêves as une ombre dans les rêves

Je déboule d’une galerie pour finir écrasée sur un plancher de vieux bois, comme on en trouve des les vieilles maisons. Je suis donc enfin arrivée… Je me relève, m’époussette et enlève un verre de terre d’un pli de mes vêtements. Comment est-il arrivé là celui là? Enfin bref.
Je regarde autour de moi. La pièce est carrée, plutôt petite. Une porte simple en bois brun dont les ferrures sont en fer occupe le centre d’un mur. Les murs sont en pierre de taille. Une vieille pierre grise claire, un peu usée, polie et crevassée en même temps. Je lève la tête. Des poutres en bois noir sont apparentes. Le plafond est blanchis à la chaux.
Je me demande bien pourquoi… Les murs sont nus, aucune décoration, aucun ameublement. Alors pourquoi la personne qui a créé cette pièce s’est-elle donnée la peine de blanchir le plafond à la chaux? Cela m’intrigue… De plus cette pièce si vide, si dépouillée me laisse une impression … de plein, d’abondance, de vie, de souvenirs, de joie, de rires, de rêves … L’air semblait lourd, imbibé de quelque chose. Il me laisse un goût amer, de sec, de trahison et de … mort? Comment la vie et la mort, la joie et la rancune, peuvent se côtoyer dans une même pièce?
Et pendant que je réfléchis à ces questions, un murmure me parvient aux oreilles. Un murmure immense, empli d’une infinité de voix. Petit à petit je l’entends mieux, jusqu’à pouvoir dissocier presque chaque voix, pouvoir l’écouter et la comprendre. Je me pris au jeu. Ici une voix allemande, là une grecque. Des voix chinoises, des gaéliques, des latines… De toutes parts, elles m’encerclent, m’entourent, m’enivrent. Leurs chants, leurs larmes et leurs vies… Ce sont les voix des âmes.
Ces âmes sont belles, fortes et fragiles à la fois. Certaines n’ont de corps -elles sont mortes sous leurs formes de chair ou alors ne sont pas encore née, et attendent leur tour- d’autres sont matérielles. Elles sont sons en ce lieu. Elles racontent et décrivent leurs vies ou leurs espoirs, parfois elles s’écoutent. En cette pièce se croisent toutes les âmes… Pourtant ce n’est pas grand ici, pas spécialement beau. Ce n’est ni un lieu de joie, ni de souvenir. Peut être est-ce pour cela, cette universalité, ce sentiment d’anodin, de commun, qui fait que l’on se retrouve ici. Une pièce humble.
Je les écoute. Je me glisse et brasse l’air pour percevoir de nouvelles voix. Je me déplace pour en entendre d’autres. J’arrive à côté d’une fenêtre que je ne n’avais pas remarquée, car je lui tournais le dos. Cette fenêtre est taillée dans la pierre, sans verre, simplement une ouverture sculptée, en ogive. La vue y est magnifique. De cette petite fenêtre, dans cette pièce si étrange, on peut voir les cimes enneigée des montages les plus hautes du monde, les cascades les plus vives et les plus pures de la Terre, les forêts les plus grandes, les plus sauvages, les plus habités. Dans un ciel clair mais pâle -je me rend alors compte que le crépuscule est là- quelques petits nuages blancs passent paresseusement. Des oiseaux planent tranquillement, employant vents chaud et froid avec une dextérité nonchalante. Ils sont beaux et fières, côtoyant les nuages, observateurs paisibles et prédateurs efficaces. Je rêves d’être là-haut avec eux, je rêve à eux, à lui… Un murmure plus pressant que les autres, derrière moi, se mue en souffle chaud, en caresse aérienne. Je tressaille et me retourne.
Mon âme se tiens devant moi. Elle a prit forme, je peux la voir, de la façon dont on s’imagine voir un fantôme. Sauf que c’est mon âme. Et elle me sourie calmement. Le temps semble suspendu. N’est-ce pas merveilleux mais aussi étrange de rencontrer son âme? Elle me fait un clin d’œil et appelle une autre âme. Celle-ci s’approche et je reconnais celle mon frère, sans même qu’elle prenne forme. D’un signe de mon âme, je comprend que je peux lui parler. Alors de ma voix éraillée par tant de chemin solitaire pour parvenir jusqu’ici, dans ce château fabuleux, j’annonce à mon frère, simplement :  »Je suis arrivée. Je t’attend. » Je sens alors qu’il me réponds, comme on entends une personne chuchoter. Il me dit qu’il est heureux pour moi et qu’il partira dans quelques mois, me rejoindre dans cette merveilleuse aventure. Je lui sourie et lui dit à bientôt. Et l’âme de mon frère me réchauffe pour me dire au revoir puis s’en va. Je sais qu’il est parti courir dans le village, crier dans toutes les rues, avenues et chemins, que sa sœur est arrivée, qu’elle a accompli un grand voyage. Je sourie à mon âme. Nous nous comprenons. De nouveau, un mouvement dans la pièce, une âme arrive. La Sienne. Son âme se forme. Il me sourit, heureux de me savoir en vie.  »Je t’aime » je lui dis.  »Moi aussi » répond-t-il. Et dans ses yeux, toute la douceur du monde. Puis il s’estompe, il s’en va.
Ne reste que moi et mon âme. Je comprend qu’un événement extraordinaire va se passer.  »Attend, s’il te plaît » je demande.
Ces petites minutes, je les passe à regarder dehors. La nature est belle, partout sur Terre, et ici plus qu’ailleurs. La paix s’installe dans cette petite pièce. Le stress qui m’avait envahie m’a maintenant quitté pour une tranquille sérénité. J’ai compris qu’ici se trouve les âmes des Hommes et qu’elles sont reliées aux corps vivants par des nœuds. Le mien me serre, me compresse un peu la poitrine. Je suis tout de même la première personne à rencontrer son âme!
Enfin je fais face à mon âme. Doucement elle s’approche, tend ses  »mains » vers moi. Nos doigts se touchent, se fondent. Mon âme entre en moi, je m’en imprègne. Cela fait un peu mal. Mais la douleur s’accroît quand mon âme pénètre entièrement. Ce sont des flèches de douleur, des barres de fer, le feu qui m’assaillent, me torturent. Alors mon âme et mes consciences (nous en avons deux: conscience et inconscience) se joignent et s’unissent plus expulser le nœud de mon âme. Je me tord de douleur, la glace unis maintenant avec le feu pour me détruire. Les cordes me serrent, d’autres m’écartèlent. Je veux crier, hurler, appeler à l’aide. Mais aucun sons ne sort de ma bouche. Je suis secouée de spasmes de plus en plus violents. Mon corps se tend et se tord en angles incongrus. Et la douleur est là, s’installe et grandie … Je souffre, comme on ne peut s’imaginer souffrir. Il ne reste que la douleur dans mon esprit, elle me marque au fer rouge, au fer blanc … Je ne sens que la douleur, pas mon corps, ni même l’espace autour de moi, seulement la douleur. Je suis douleur. Enfin mon nœud est expulsé, rejoint les âmes de cette pièce. La souffrance me quitte enfin. Combien de temps ce supplice a-t-il duré? Je regarde par la fenêtre : les nuages n’ont pas avancés, ou très peu.
Je me relève, doucement, car le monde tangue. Je m’appuie contre un mur, regarde cette pièce étrange, où les âmes circulent et se rencontrent. Le trou par lequel je suis arrivée s’est arrondi, poli. Et dans la pierre la date d’aujourd’hui est gravé. La fenêtre me paraît plus grande et je remarque qu’elle est sculptée. Pour tant elle ne l’était pas tout à l’heure, je le jurerais. Dans les ogives, des oiseaux, comme ceux que l’on voit dehors sont gravés. Ils sont accompagnés d’êtres des forêts tel que les cerfs, les elfes, les esprits, les sangliers, les écureuils … En haut, comme les gardiens de paix, des dragons sont perchés. Le travail est très précis, très fins, chaque poil, chaque écaille est représentés, rien n’a été oublié. C’est magnifique.
Mais il est maintenant temps d’avancer, pour découvrir d’autres pièces de ce château. Je m’avance vers la porte, et l’ouvre. Mais avant d’en passer le seuil, je me retourne une dernière fois. À gauche, un mur simple, à droite le mur à la fenêtre, en face, le mur percé de mon tunnel. Cette pièce humble est quand même rassurante, accueillante et plus encore à la lumière dorée du crépuscule. Je fais un signe aux âmes. Aucunes ne cherche à partir. Au dessus du tunnel par lequel je suis arrivée, légèrement à sa gauche, une tête de cerf est accrochée. Sur le bois,  »Lucie ». La pièce garde le souvenir de mon passage en y mettant (elle même) cette tête. Je la remercie, remercie le château pour ce cerf, que je prend comme un présent. Encore un pas et je quitterai définitivement ma première pièce.
Un dernier regard par la fenêtre. Des végétaux sont maintenant sculptés. Et dehors, la silhouette d’un dragon s’envolant vers les cimes. Un bon présage? Je l’espère…
J’ouvre en grand la porte, fais ce dernier pas, quitte cette pièce.

Je quitte la pièce aux Âmes.

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