Calliope as Calliope
Je toussais violemment en entrant. Dans cette nouvelle pièce régnait une sorte de brume épaisse qui pesait sur mon corps comme une chape de béton. Comme tout le monde, j’avais déjà entendu cette expression idiote de « brouillard à couper au couteau », mais je ne l’avais jamais prise au pied de la lettre (en parlant d’expression débile, en voilà une autre). Comme d’habitude, j’allais devoir réviser mon jugement.
Je pris ma dague en main et me frayais à grand-peine un chemin. Je n’avais qu’un objectif : sortir au plus vite. J’avais déjà du mal à respirer ; la brume semblait vouloir s’infiltrer en moi. C’était une sensation assez étrange. Des filaments de brume dansaient devant mon visage.
Je ne tenais plus. J’entrouvris les lèvres pour inspirer une grande goulée d’air.
Ça ne se passa pas comme prévu.
Les fragments de brume qui s’agitaient depuis tout à l’heure s’introduisirent violemment dans ma gorge. Je poussais un hurlement terrifié, toussais et tentais promptement d’expectorer le brouillard. Rien à faire. Je le sentais s’agiter en moi, prendre vie, circuler dans mon corps… Je me crispais sous l’impulsion de la brume, sentant une force nouvelle pulser dans mes veines.
Une force qui ne m’appartenait pas.
Je vis soudain une silhouette de brume aux yeux de feu se dessiner devant moi.
– Qu’est-ce que… ?
Tu n’en réchapperas pas.
La voix avait clairement retenti dans mon esprit, me brûlant presque intérieurement par sa force et sa netteté.
Je procure aux aventuriers force ou courage. Inconsciemment, tu as souhaité l’un de ces deux éléments. Et cela t’a conduit vers moi.
Inconsciemment ou sciemment… Force et courage, moi qui ne possédais ni l’un ni l’autre… Je les avais toujours voulus, de toute évidence ! Mais plus encore la force, qui me faisait tant défaut.
– Qui… êtes-vous ?
Je ne suis qu’une funeste création du Château… Destinée à vous faire croire, à vous présomptueux explorateurs, que vous êtes invincibles.
– Taisez-vous !
Une détresse pure, je le crains, suintait de ma voix éraillée. En effet, je pressentais, je ne savais pourquoi, qu’une sinistre nouvelle allait suivre.
Tu pressens bien, jeune inconsciente… Si dans un premier temps vous vous pensez plus puissants que tout autre, ma brume de l’intérieur vous possède, et finira par vous…
– Tuez, finis-je désespérément.
Pas exactement, petite déesse ! Pas exactement… Vous devenez petit à petit des créatures du Château lui-même, contrôlées par lui, destinées à semer la mort et la terreur. Tu en deviendras une, Calliope, comme tous les autres, toi aussi tu seras brisée.
– Combien de temps durera cette… Transformation ?
Je ne sais… Un mois, deux mois, un an, ou plus… Tout dépend de ta résistance, Calliope. Cela peut durer des années.
– Est-ce irréversible ?
Je me doutais de la réponse, mais j’avais besoin de me raccrocher à un espoir, si peu tangible soit-il.
Si un tel moyen existe, nul ne l’a jamais trouvé.
– Et pourquoi me dites-vous tout cela ?
Je fus moi-même un explorateur, Calliope, berné par le Château en croyant gagner le courage. Prends ta revanche en trouvant un remède, jeune fille, et venge-nous tous.
– Quoi ?! Attendez ! Je n’ai pas les épaules pour… Je n’y parviendrais pas !
Je voyais devant moi la silhouette se dissoudre dans l’air. Je criais encore une fois.
– Pitié ! Je ne veux pas mourir !
L’entité avait entièrement disparu. Je retins à grand-peine mes larmes.
Bonne chance, petite déesse.