Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA GALERIE
LA GALERIE

LA GALERIE

Le couloir dans lequel j’arrive est large et spacieux. Il ressemble un peu à ses photos de galeries de vieux monastères ou de châteaux médiévaux, avec son plafond de pierre qui est soutenu par de grandes poutres en bois, probablement du chêne, qui se rejoignent en dix mille arcs haut au-dessus de ma tête. Des portes grises, noires et brunes sont alignées entre les arches. Le sol est recouvert d’une épaisse couche de terre, d’ossements et, en général, d’excréments. Mes doigts glissent sur les murs, ramassant une trainée de poussière. L’on peut voir les empreintes des dernières personnes qui sont passées ici.

Je laisse mes ailes me porter le long de la galerie. C’est la première fois que je vole depuis que j’ai découvert que j’ai des ailes, et j’y trouve un plaisir comme aucun autre. Cette sensation de… de liberté, d’insouciance, bien qu’illusoire, m’avait manqué. Ça me rappelle les jours d’avant le Château où je jouais dans les champs avec cette innocence qu’ont tous les enfants. C’était une belle époque. Une époque révolue lorsque j’ai été poursuivie, chassée, lorsque le Château m’a enlevé tous les êtres qui m’étaient cher. Je ne sais toujours pas ce qui est arrivé à ma sœur Miri lors de la libération d’Emerence, si elle est morte ou elle a survécu. Tout s’est passé tellement vite, et la flèche qui lui était destinée l’a peut-être tuée, peut-être pas. Je n’ai même pas pu la voir ; dans le chaos de la bataille, elle a disparue.

Après un long moment à voler sans but dans cette galerie, je perds la notion du temps. J’ai pu voler cinq minutes ou une journée pour ce que j’en sais. La fatigue m’alourdit peu à peu, la cadence de mes ailes ralentit. Mes ailes sont lourdes sur mes épaules et mon dos plie sous leur poids, ma tête plongeant vers le sol, vers la terre, vers l’oubli…
Je glisse. Mon front heurt le sol.
Le noir m’envahit.

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La nuit est noire ; elle veille sur le village endormi. La Lune n’est qu’un faible croissant dans le ciel. Les nuages glissent entre les étoiles telle la brume qui, le matin venu, aveuglera bêtes et hommes, emportera enfants et nourrissons, sœurs et amies sans distinctions aucune. De toutes les constellations, seule Orion est visible. Il illumine les silhouettes anonymes d’une jeune fille et d’un jeune garçon qui, dissimulés par l’obscurité, contemplent les reflets d’un château et de ses ruines. Ils regardent l’unique tour qui se dresse, solitaire et fière, dans la distance. Ses compagnes ont disparues depuis bien longtemps mais les deux jeunes gens essayent d’imaginer la cité dans sa splendeur d’antan, quand ses murailles étaient encore debout et que ses habitants n’étaient pas des monstres.
Les deux paires d’yeux bruns se rapprochent et courent sur les habitations de fortune, les maisons de bois, les champs et les rizières, la vallée où ils sont nés et ont grandis. Une rivière longe les prés pour se jeter dans l’océan, que l’on aperçoit parfois lorsque la météo s’y prête.

Ils restèrent ainsi, immobiles et dignes, ressassant leurs souvenirs sur les bordures de leurs vies, tentant de se souvenir de toutes les journées passées dans les champs, avec leur famille et leurs amis. Ils essaient de se rappeler de tous les heures qu’ils ont passés ensemble, de tous leurs secrets partagés, leurs discutions au coin du feu, à l’abri dans leur chaumière, des rires, des danses, des moments joyeux, mais aussi de ceux qui l’étaient un peu moins, les visages de leurs proches, leurs voix, tous les bruits du village, les paysages de la vallée, l’odeur des rizières, les baignades dans la rivières, les promenades, les sourires. Les rêves et leurs peurs. Peur d’être choisi, peur de devoir partir, peur d’être séparés. Peur pour leur avenir. Peur devenue cauchemar.

Le vent transporte leurs messages d’amour et leurs mots, murmurés tout bas pour que personne d’autre ne puisse les entendre. Mais les mots ne suffisent pas, les mots ne seront jamais assez pour exprimer une éternité de souffrance, de regrets et de compassion. Le chagrin est une bien triste émotion, pense le vent.
Ils se serrent dans les bras. Leur embrasse ne dure qu’un instant, car tous deux savent qu’ils n’ont pas le bénéfice du temps. Les larmes coulent sur les joues du jeune homme lorsque la fille lui sourit. Telles deux âmes sœurs qui s’étreignent une dernière fois dans l’intimité de la pénombre, ils se rassurent l’un l’autre, se supportent, parlant de tout et de rien, de n’importe quoi pour ne pas penser à demain, à la journée qui les attend et au sort qui leur est réservé.

Dans le ciel, les nuages se sont mis à jouer une triste mélodie, une lamentation de dernière minute. Le vent souffle, l’air est humide et froid. Les premiers rayons du soleil commencent à apparaître, là-bas, tout là-bas, dans le lointain de la campagne. La tour s’enflamme sous le soleil.

La jeune fille et le jeune garçon descendent la colline, main dans la main. Ils ont rendez-vous avec leur destin.
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Je me réveille en sursaut. Les images de mon rêve commencent déjà à s’évaporer. Un château et un couple hante ma mémoire, mais le tableau est flou. Ce n’est pas la première fois que j’ai des rêves de ce type et à chaque fois, je suis frappée par sa familiarité. Je sais toujours ce qui va arriver.
Lorsque je me lève, ma vision tangue légèrement. Ma tête me fait mal ; j’ai déjà une belle bosse là où je suis tombée. Je la touche du bout de mes doigts. Elle est humide. Lorsque je baisse ma main, du sang en dégouline. Il y en a partout par terre et sur mes vêtements. Mes yeux regardent sans comprendre la flaque rouge à mes pieds. Je n’ai pas pu perdre tout ce sang ou je n’arriverai pas à tenir debout. Donc, il vient de quelque part d’autre. De quelqu’un d’autre.
J’entends des bruits de pas et de claquement de portes ; ils résonnent dans le couloir marbré. Les portes s’ouvrent et se ferment en rythme. Vlan-vlan-vlan ! Tap-tap. Les pas sont plus irréguliers, comme si la personne à qui ils appartiennent a du mal à marcher. Il ne ressemble pas à ceux d’une bête, mais plutôt à un humain (ou humanoïde), aussi, curieuse, je me dirige vers eux. Ils suivent les traces de sang. Mes ailes battent l’air dans mon dos. Flap flap. Boum badaboum. Mon cœur rejoint l’orchestre improvisé. J’écoute, je vole. Chacun de mes battements d’ailes soulève un nuage de poussière derrière moi. Au bout d’une demi-heure, les pas de pas s’atténuissent pour reprendre de plus belle quelques minutes plus tard. Les portes arrêtent de se fermer et de s’ouvrir.

Les traces de sang mènent à une porte de bois. La poignée de cuivre est ensanglantée. Toujours aussi curieuse, je décide de l’ouvrir et de découvrir l’identité de ce mystérieux personnage.

Autrice : Enfant des mers, sous le pseudo « Enfant des mers »

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