Aifé
Paroles de «NEW DAY», de Empyr
Souvenirs qui m’envahissent, me rappellent l’événement fatidique. Encore du sang sur les mains. J’ai tué un autre assassin. Je n’étais pas sa cible, mais qu’importe. Il était la mienne. C’est encore une de ces pièces vides, sans intérêt, sans histoire, où l’on apprend rien. Pièce entièrement noire parmi tant d’autres, éclairée par une simple bougie, que je viens de souffler. Pièce sans âme, vide, sans sentiment. Pièce morte.
«-Aifé ? Où es tu ?
Je me recroqueville d’avantage, dans le coin d’ombre où je me cache. Je masque ma présence, couvre ma respiration.
-Aifé ? Je suis venu te féliciter ! Où es tu ?
Premier meurtre. De quoi me féliciter, en effet. Dans mon ordre, c’est bon signe. Signe que je suis la voie du traqueur. Je baisse la tête. Il m’a trouvée. Je me colle d’avantage au mur. Il s’accroupit à ma hauteur, saisit ma main, et de l’autre me force à relever la tête. Il essuie une de mes larmes, et sourit en voyant mon visage apeuré.
-Aifé… Je lis la peur dans ton regard…
Il a 10 ans de plus que moi. Tamaïs est déjà adulte. Son autorité et sa force jouent en sa faveur. Il est plus gradé que moi, je ne devrais même pas lui résister. Il saisit mon autre main, me plaque au sol, déchire ma manche, et tandis qu’il use de son poids sur moi, son bras sur ma gorge, il ouvre une bouteille d’alcool, et la répand sur l’entaille de mon bras.
-Tu ne veux pas guérir ? Le maître te cherche depuis une heure. Il dit que tu t’es bien battue.
-Il n’avait pas choisit… Il était sur ma route…
Je fonds en larmes. Nous savons tous les deux que je parle du reptilien que j’ai assassiné il y a quelques heures. Froidement. De ma lame. Mon frère aîné ne manifeste aucune émotion. Il ne ressent plus rien lorsqu’il tue, désormais, et il juge ma réaction inappropriée. Il oublie qu’il a certainement réagit de la même manière, à mon âge.
-C’est ainsi. Notre travail est d’anéantir toutes les races trop dangereuses pour l’espèce humaine. Tu t’y habitueras.
Il se redresse, et je peux de nouveau respirer. Il bande ma plaie, et me laisse m’adosser contre la pierre sombre. Au bout de quelques minutes, inquiet de mon silence, il me regarde, et murmure.
-Tout va bien ? Tu es blessée ailleurs sur ton corps ? Tu as une blessure que je n’aurais pas détectée ?
-Non… Je me sens vide… Je ne crois pas que j’aurais le cran de tuer…
-Ne dis pas ça. Tu es formée pour. Tu as le gêne. Tu devrais être heureuse. Pourquoi ne l’es tu pas ?
-Je ne sais pas… Je ne sais plus…
Je fonds en larmes. Qui a déjà tué à l’âge de 10 ans ? Qui ? Qui est condamné à tuer, pour le restant de ses jours ? Un traqueur. Et au plus profond de moi même, je sais que je n’aurais pas le choix…
Mon frère caresse doucement le dos de ma main. Il me serre contre lui. Nous savons tous les deux que si nous sommes surpris par notre mentor commun en train d’accomplir ce geste de complicité, d’amour fraternel, nous serons sévèrement réprimandés. Les reptiliens ne ressentent pas d’émotions. Première règle. Mais cela nous rapproche, au contraire. Ce sentiment de désobéissance nous unit. Pour une fois.
-Hé… Calme toi… Tu te souviens de la chanson ?
Je hoche doucement la tête. Il me serre davantage.
-Et bien, ça reflète ce qui t’arrive. Tu es entrée dans la cour des grands. C’est un nouveau jour.
-Je l’ai tué…
Je suis en état de choc. Il le sait. Il murmure, tranquille. Je me demande qui l’a réconforté, lorsqu’il a lui, accomplit le même acte que moi, à dix ans. Je ne le sais pas. Peut être personne.
-Give me your pain
Choose a new name
Close your eyes and
Start again
It’s too late for regrets now
It’s a new day, a new life for you
Je la connais, cette chanson. Celle que nous avions trouvé ensemble, sur internet, durant un de nos rares moments creux, durant ces rares moments, où il était de retour auprès de notre mentor, sous terre, durant ces rares moments, où nous étions seuls, tous les deux, et où il me décrivait sa vie de traqueur, les pays qu’il visitait, les cibles qu’il traquait. Il m’avait dit que nous la chanterions ensemble, lorsque ma première victime serait morte. Et même si elle n’était pas volontaire, c’était ainsi. Il me regarde, souriant presque, heureux que je rejoigne l’ordre établi dans notre confrérie. Je rejoins sa voix. Cette chanson est en anglais. Et bien que je ne vive pas en pays anglophone , je parle et comprends déjà couramment certaines langues, dont l’anglais, l’espagnol, le russe, et le japonais. L’apprentissage intensif a porté ses fruits.
Nos voix se rejoignent.
-Can you feel
The future in your heart
And can you live for
Every peace of light
When guns are barking
My words are bullets
Whisper my dream
A cry in their heads
But who’s to blame
Give me your pain
Choose a new name
Close your eyes and
Start again
It’s too late, for regrets now
It’s a new day, a new life for you
La chanson est finie. Il saisit mon poignet, et me relève. Il essuie discrètement une de mes larmes, et murmure.
-Je dois y aller, petite sœur. J’ai une traque à préparer. Un jour, tu mèneras la même vie que la mienne. Tu seras un traqueur. Je le sais. Il n’y aura pas d’échecs pour toi.Je pense à toi…
Il me sourit une dernière fois, et s’enfonce dans le mur…»
Je relève la tête. J’ai menti à tout le monde. Et tout le monde m’a crue. Pour protéger Tamaïs, mon maitre, ma race. Je sens un courant d’air, devant moi. Je n’hésite pas. Je parcours la pièce jugée sans intérêt en quelques enjambées, saute à travers l’ouverture, et claque la porte. Je ressens de nouveau ce poids trop lourd sur mes épaules. Je crois que j’ai appris à pleurer.
Autrice : Jécrivaine, sous le pseudo « Jécrivaine »