Folly
La pièce est grande. Extrêmement grande. Elle doit être aussi grande que Nôtre-Dame de Paris.
Le Château est assis en tailleur devant une table basse. Il prend le thé. Lorsqu’il m’aperçoit, il se lève et s’approche de moi. Un peu mal à l’aise, je porte ma main droite à mon cœur et m’incline.
-Je t’attendais, Alice-Lucy. Prends place.
Je me dirige vers la table et m’assieds.
-Bien bien bien. Je t’ai regardé, lors de tes dernières pièces -je sursaute (me regarder comment ça me regarder ?)-, et j’en suis parvenu à la conclusion que tu avais un cadeau pour moi, mais que tu ne me l’as pas apporté. J’attends une explication.
-Il était trop coriace et pas assez sensible à la douleur. Et aussi trop impertinent. Je me suis dit qu’il ne vous plairait pas.
-Oui effectivement. Tu as fait le bon choix.
Il sert le thé.
-Ah, au fait, j’ai des nouvelle de ton amie, Savannah et de sa prétendue sœur Mae.
-Sakura et Dae?
Je ne parviens pas à cacher mon intérêt soudain, et je suis sûre qu’il le note pour le ressortir plus tard.
-Oui oui, c’est ça, dit-il d’un ton indifférent. Et bien figure-toi qu’elle a essayé de devenir une aventurière avec la gamine qu’elle se trimbale.
-Ah bon?
Comment diable s’y est-elle prise? Je lâche une sorte de gloussement. Elle n’y arrivera jamais. Pour elle tout ce qui compte c’est de s’en sortir tranquillement pendant que tous les autres se font massacrer pour dégager le passage à son altesse. Mais tout de même, je me demande comment elle s’y est prise.
-C’est là que c’est amusant. Elle n’a pas eu meilleure idée que de traverser plusieurs pièces en courant. Ah ah, tu te rends compte? En courant?! Bien sûr, un de mes fidèles serviteurs s’est occupé de lui donner une bonne leçon. Comme toi, elle a ensuite eu l’idée de venir me parler. Elle est en chemin. Elle vient de faire la connaissance d’une pièce parasite. Enfin, j’espère quand même qu’elle ne va pas se faire manger puis recracher. Je ne voudrais pas qu’il lui arrive une mésaventure fâcheuse avant que nous ayons pu parler. Elle est tellement amusante, cette petite…
Il a un petit rire plus pour lui même que pour moi.
-Et toi, pourquoi voulais-tu me voir? J’imagine que ce n’est pas pour prendre le thé, d’ailleurs, bois, bois tant que c’est chaud.
Je prends la tasse et avale une gorgée du liquide. Le chaud coule dans ma gorge et la dénoue. Huuuum, c’est bon!
-Tient, tu ne t’assure même pas que je ne l’ai pas empoisonné?
-Je compte être votre plus dévoué serviteur. À quoi cela vous servirait-il de m’empoisonner alors que vous me l’avez dit vous même, je vous suis utile?
-Intelligent comme déduction, mais ça ne répond pas à ma première question. Que fais-tu ici?
-J’étais justement venue vous dire que toute mon âme malade vous est désormais dévolue, que je vous servirai au prix de ma vie s’il le faut.
-Serais-tu même prête à tuer ton amie?
-Oui.
-Et sa sœur?
-Oui.
-Bien, dans ce cas, désormais, tu m’appelles Maître sinon je vais me fâcher. Tu obéis à tous mes ordres et rapidement.
-Oui Maître.
-J’aime bien quand tu m’appelles comme ça.
Il ressort son petit carnet et marque quelque chose.
-Servitude: 48%
Je serre les poings. Je n’aime pas que les gens me jugent comme ça. Surtout pas mon futur… Je tais ma conscience juste à temps.
-Ton futur?
-Maître du monde. Mon futur maître du monde.
Il ne semble pas très convaincu. Alors j’en rajoute encore.
-Avec son fidèle tortionnaire (moi, cela va sans dire) à ses côtés. Et beaucoup de sang des infidèles qui n’auront pas adulés le Château comme leur Dieu à vos pieds et dans votre baignoire. Et des centaines d’autres Châteaux où vous enverrez les rebelles pour qu’ils s’y fasse massacrer éternellement, vu qu’ils ne peuvent pas mourir. Et même le Soleil, devenu grenat, se prosternera devant vous, Maître.
-Vilaine flatteuse. Il me reste une dernière petite question à te poser. Quelle est la question qui te tourmente ?
-Sommes-nous réels ? Sommes nous maîtres de actes ou avons nous un destin tout tracé ? Sommes nous le fruit d’une Alice de Lewis drogué ou d’un dessinateur ou de réelles poussières d’étoile ? Personne ne peut répondre à cette question, Maître, sans être le dirigeant de l’Univers.
-Intérressant.
Il hoche la tête perplexe. Ma réponse l’a surpris.
-Mais je n’aime pas cette idée d’être uniquement une fiction couchée sur papier. Je suis tout de même le Château, pardi!!!
-C’est une des questions fondamentales de ma façon de penser. Sommes-nous réels? Sommes nous libres de nos choix ou les marionnettes de gens à l’imagination débordante? C’est une des seules questions à laquelle je ne peux pas répondre.
-Il est temps que tu t’en ailles. Ton amie doit presque être arrivée, maintenant. Encore une chose. Pour l’instant, tu n’as pas de mission définie. Juste, si tu trouves un aventurier, mets le hors d’état de nuire façon Folly. Fais preuve d’imagination. Et si tu trouves un autre esclave ou jouet pour moi, ne te pose pas de question. Personne ne pense à me donner ça, par les temps qui courent. C’est extrêmement déplaisant de sachant que les parasites qui parcourent mon corps son immortels.
-Mais votre corps est… là, devant moi! Ça voudrait dire que vous êtes la matérialisation humanoïde de ce lieu?
Il se racle la gorge.
-Tu vas devoir apprendre à tenir ta langue et à ne pas poser trop de questions. File, maintenant.
Je pose ma tasse, me lève refais mon salut bizarre (j’espère qu’il l’apprécie et que ce n’est pas trop ridicule) et sors par la porte.
Autrice : Sakura en sucre, sous le pseudo « Sakura en sucre »