Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE SPHÉRIQUE DU DERNIER COMBAT CONTRE LES CHAMANS
LA PIÈCE SPHÉRIQUE DU DERNIER COMBAT CONTRE LES CHAMANS

LA PIÈCE SPHÉRIQUE DU DERNIER COMBAT CONTRE LES CHAMANS

J’entre, la concentration à son paroxysme. Je comprends la configuration de la pièce en une poignée de secondes. Une sphère rouge – un attroupement regroupé en « bas » – pas de haut, pas de bas, je peux aller n’importe où, j’en ai l’intuition profonde – deux jeunes aventuriers à terre, morts – trois encore debout, légèrement blessés, se battant avec des pierres comme celle dont je me suis servie pour libérer mes bras – dix chamans qui les entourent, armés de lourds bâtons et de courtes épées. La situation semble désespérée. Les trois survivants en ont conscience. L’un d’eux parle, je reconnais la voix de celui qui m’avait dit de ne pas bouger, quand les chamans m’ont capturé. Sans réfléchir plus longuement, je m’élance sans bruit et cours sans effort le long des parois. Juste au-dessus d’eux, je marque un temps d’arrêt, et je me laisse tomber.
La surprise de mon arrivée cause un mouvement de surprise dans les deux camps ; j’en profite pour attaquer. Mon genoux fuse vers le ventre d’un chaman. Il a un réflexe de recul mais j’ai déjà frappé, doublement : mon coude a heurté sa gorge et mon couteau a percé la poitrine d’un autre chaman. Les deux s’écroulent, l’action n’a duré qu’une demi-seconde. Un liquide violet très liquide s’écoule du corps du chaman à terre. Je n’ai pas le temps de m’arrêter plus longtemps, les chamans se sont déjà repris et attaquent. Je me plaque à terre pour esquiver une espèce de massue et fauche les jambes de trois chamans avec mon couteau. Ils poussent des cris de douleurs aussi bizarres que leurs voix, mais le cri de l’adversaire le plus proche de moi s’étouffe dans sa gorge. Une pierre vient de l’atteindre en plein front avec une violence inouïe : le crâne défoncé, il s’écroule. Je jette un rapide coup d’œil derrière moi. Mes trois compagnons ont repris l’offensive, eux aussi. Je me détourne, pleine d’énergie, satisfaite, pour continuer à me battre.
Trois chamans sont devant moi. Je sens instinctivement qu’ils vont attaquer de concert et les fixe, concentrée. Brusquement, je surprends un regard entre eux, je comprends en une fraction de seconde qu’ils vont attaquer, et je plonge. J’esquive ainsi leurs épées se jetant sur moi, mais l’un d’eux, armé d’un poignard exactement comme le couteau que j’ai récupéré, parvient à m’érafler la cuisse. La blessure me brûle mais l’adrénaline -que je n’ai pas ressentie aussi aiguë depuis bien longtemps- la dissipe en partie. En revanche, le coup de couteau que je donne à la gorge d’un des chamans lui est fatal, et mon attaque à la nuque d’un autre, du tranchant de la main, ne doit pas être très agréable non plus. Reprenant difficilement mon souffle, je m’éloigne un peu du gros de l’action.
Je décide de reprendre un peu de hauteur pour retrouver une vue d’ensemble ; ‘est aussi facile que la première fois. D’ici, je peux voir le déroulement de tous les combats. Le chaman intact des trois qui m’ont agressé est retourné avec les autres. Celui qui a reçu un coup à la nuque se bat difficilement et je le vois tomber au sol, tué par une pierre en plein cœur.
Il ne reste plus que cinq chamans. Les trois aventuriers encore debout sont bien amochés, et ils parviennent à grand-peine à maintenir le niveau. Je me sens moi-même de plus en plus lasse, et j’ai l’impression que les chamans restant sont les plus féroces. Sans attendre, je saute au milieu de la mêlée.
J’atterris sur la tête d’un chaman et me penche violemment en arrière. Il tombe au sol ; je l’assomme d’un coup à la pomme d’Adam et me précipite vers les autres.
Comme je l’avais supposé, les quatre chamans restant sont terribles. Je me retrouve très vite débordée sous les coups qui pleuvent au-dessus de moi, sans pouvoir en placer aucun. À côté de moi, les aventuriers sont dans une position encore pire, ils sont épuisés. Soudain, une fille aux yeux clairs et cheveux bruns tombe en hoquetant. L’épée d’un des chamans dépasse de son abdomen, accompagnée d’un flot vermillon. Elle s’effondre sur le sol, pleurant et gémissant misérablement une poignée de seconde, puis tout son corps se crispe et se détend d’un coup. Elle demeure sur le sol, son sang se confondant avec la couleur des parois environnantes.
Alors, un garçon aux cheveux blonds assez longs pousse un soupir résigné de chagrin, et crie :
-Couvrez-moi !
D’un bond, j’esquive un coup meurtrier et me place devant lui. Je ne sais ce qu’il cherche à faire, mais sa voix désespérée m’a convaincue. Je vais le couvrir, redoubler d’énergie et lui permettre de réaliser ce qu’il veut, en espérant que ce sera utile.
La vérité est un poil plus compliqué. Trois des quatre chamans restant ont entendus le cri du garçon que je suis censée protéger et se sont tournés vers moi. Ils sont effrayants. Leurs peaux de bêtes sont souillées de sang et de ce liquide violet qui a coulé de la blessure du chaman que j’ai tué tout à l’heure, ils sont squelettiques, bestiaux, pris de rage. Je resserre mes doigts sur la garde de mon couteau -couteau qui paraît dérisoire en face de leurs épées épaisses et de leurs massues- et me concentre intensément.
Je vois le premier coup partir du coin de l’œil et je ne peux que me pencher pour l’esquiver, puis m’écarter pour en éviter un autre, puis un autre, j’en pare un du bout de ma lame et je ne fais plus que me défendre et esquiver les coups. Combien de temps vais-je tenir ? Dépêche toi, mon garçon, dépêche toi…
La réponse à mes prières muettes est brutale. Un filet à mailles serrées et solides se matérialise juste devant moi et se referme sur les quatre chamans dans un claquement sec, les plaquant au sol.
Je me tourne vers le garçon qui vient de réaliser cet exploit. Il est étendu, de larges gouttes de sueur luisant sur sa peau, tentant tant bien que mal de reprendre son souffle. Je me précipite vers lui, imitée au même instant par le garçon qui m’avait parlé.
-Ça va ?
Il hoche la tête difficilement, la respiration sifflante. Je le fixe quelques instants, muette d’admiration. Il a réussi. C’est un magicien.
-Merci, merci beaucoup Émile, lui dit fiévreusement mon compagnon. Ça va aller ?
-Oui, oui, ne t’inquiète pas…
Le garçon se tourne enfin vers moi. Il est plus âgé que moi, des traits plutôt réguliers, des joues rondes. Ses cheveux bruns forment comme une auréole autour de sa tête, sa peau est métisse, il est de taille et de carrure moyenne. Mais ce qui me frappe quand je l’observe, c’est la force et la complexité de son regard. Ses yeux sont bruns comme ses cheveux, mais ils transportent de l’énergie, de la détermination, de l’inquiétude, beaucoup de force bienveillante. Ils me détaillent rapidement.
-Tu as réussi à t’en sortir, c’est cool, sourit-il. Merci de nous avoir aidé… Sans toi, aucun de nous n’aurait survécu… Même si j’aurais préféré qu’Émile n’ait pas à utiliser sa magie, ça le fatigue terriblement…
Je reporte mon regard sur le blond. Il est pâle, maigre, un peu maladif ; plus je le regarde, plus je réalise qu’il est vraiment jeune, dix ou onze ans tout au plus.
-Je m’appelle Estyria, je déclare en lui souriant.
-Erwan, répond-il, et voici mon compagnon d’aventures. Il s’appelle Émile, comme tu as du le comprendre… !
Je hoche la tête, un poil amusée.
Après un dernier coup d’œil attristé aux morts, nous nous éloignons pour fouiller les chamans. Je réalise ace joie que l’un deux portait mon cher katana dans un pan de ses « vêtements ». Erwan récupère une épée moins massive que les autres et une grosse sacoche de cuir, parce que « ça pet toujours servir », selon lui.
Nous nous éloignons en discutant.
-Au fait, comment vous êtes vous retrouvés dans cette posture ? Vous avez voulu vous révolter ?
Il secoue la tête.
-Au départ, nous voulions partir discrètement, mais l’alarme a été donnée et nous nous sommes vite retrouvés débordés…
Un petit silence passe. Nous arrivons devant trois portes, au fond de la grotte. L’une est en bois, un peu rongée par les mites. Une autre est un lourd battant de fer hérissé de piques, et la dernière n’est qu’un simple rideau de velours gris perle.
Erwan se tourne vers moi, un peu hésitant.
-Estyria… ? Je me disais, maintenant qu’on est ensemble, on pourrait le rester… Le Château est moins dangereux quand on est à plusieurs… Qu’en penses-tu ?
Je lui réponds par un large sourire et un vigoureux hochement de tête.
Alors, accompagnée pour la première fois dans cette bâtisse sournoise, je passe le rideau argenté, à la découverte de nouvelles pièces !

  Autrice : Etincelle de Feu sous le pseudo « Etincelle de Feu »

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