Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE SUBMERGÉE OU LE PLONGEON DANS LES ABYSSES DU CHÂTEAU
LA PIÈCE SUBMERGÉE OU LE PLONGEON DANS LES ABYSSES DU CHÂTEAU

LA PIÈCE SUBMERGÉE OU LE PLONGEON DANS LES ABYSSES DU CHÂTEAU

Explorateur : Saralé

Je glisse le long du toboggan. Longtemps. Devant moi, Miri crie plus fort qu’un porc que l’on égorge. Sauf qu’elle, c’est un cri de joie. Alors que moi…

–AAAAAAAAHHHHHHHHHHH !

Je n’aime pas les toboggans. Je ne sais pas pourquoi. Mais je n’aime pas. J’aime bien les sports de glisse, roller ou ski, j’adore la sensation de vitesse, le vent qui souffle contre nos joues, le froid qui engourdi nos doigts. Mais je n’aime pas les toboggans. Peut-être que c’est le manque de contrôle, le fait que je ne puisse pas freiner, ni me diriger. Je ne sais pas. Mais je n’aime VRAIMENT pas ça.

–Tu es presque arrivée, Sara ! Euh, par contre, fais gaffe, le sol est un peu…
SPLASH !

–…mouillé.

Je n’atterris non pas dans un bain de balles en plastique, comme je le pensais, mais dans un bain tout court. Je suis noyée jusqu’à la taille dans de l’eau salée. Mes bottes sont trempées. Mon pantalon est trempé. Mon sac est trempé. Mon arc est…

–Noooon ! Mon arc !
–Ne t’inquiète pas, cette eau n’imbibe pas les objets.

Je lance un regard incrédule à Marie-Dominique et je regarde mon pantalon et mes bottes, et mon sac. Pour moi, l’eau a bien imbibé les objets. Plus que ça, même.

–Je veux dire, ça n’imbibe qu’en apparence. Dès que tu sortiras de l’eau, ce sera comme si tu n’y avais jamais été.
Je fais une moue dubitative.
–Si tu le dis…
–Mettez-ça et suivez-moi. Vous aurez besoin de ça pour respirer, sous l’eau.

Elle nous tend à toute les deux une sorte de masque hideux, recouvrant le nez et la bouche, et près avoir enfilé le sien, elle plonge tête la première au milieu des boules flottantes. Miri enfile le sien sans attendre mais moi, j’hésite un peu.

–Tu viens ?
–Je ne sais pas… J’imagine que nous n’avons plus trop le choix, maintenant. Mais nous ne la connaissons pas, on ne sait pas ce qu’elle veut… Elle pourrait se retourner contre nous à tout moment.
–Peut-être. Mais ça vaut la peine d’essayer, non ? Arrêter de faire confiance aux gens, c’est donner raison au Château. Et puis, je préfère regretter de voir partir certaines personnes que de ne les avoir jamais connues.
–Mais ça peut nous coûter notre vie, ou pire, de faire confiance aux gens.
–Et ça peut aussi nous la sauver. Jusqu’ici, Marie-Dominique n’a pas eu de mauvaises intentions envers nous, si ? Et puis, tu as vu son émotion, tout à l’heure, quand elle parlait de son amie ? Sa voix tremblait et son âme pleurait, Sara.
–Je…
–Allez, viens. On s’en sortira toujours, de toute façon.

Et sur ce, nous plongeons toutes les deux. Nous longeons le parterre de sable, descendant petit à petit dans les abysses du château. Et là…

C’est un autre monde. Le sol s’effrite sous nous, laissant place à l’océan et a un silence absolu qui contraste avec le fracas de là-haut. C’est difficile de le décrire, ce monde, ces sensations. Tous nos sens sont engourdis, diminués. Partout, l’eau nous entoure, nous enveloppe, nous caresse. Les sons nous parviennent atténués, plus des échos de chocs, d’objets qui se fracassant contre l’eau, que véritables ondes perçues par l’oreille. Seuls, nos yeux restent éveillés au monde qui nous entourent. Et nos yeux voient tout.

Les coraux, tous plus uniques les uns que les autres. Certains sont des feuilles de chou ondulant avec le courant et qui, éclairés par un rayon de soleil, prennent la teinte vive d’une améthyste. Leurs filaments forment une main se repliant ici en un poing, là-bas en un cri. Certains encore sont des cônes dont les parois se referment au moindre mouvement et qui se rouvrent, curieux, dès que la présence étrangère s’est éloignée. D’autres sont des bois de cerfs d’une sensibilité étonnante, et dont les branches peuvent se briser au moindre frôlement. De toutes tailles, formes et couleurs, ils séduisent par leur diversité. Et, entre les coraux, les poissons défilent par bancs, formant un seul et même corps qui s’enfuie dès que nous nous approchons. Il y a ceux qui se faufilent entre les passages formés par un malin entrelacs de coraux, roches et épaves. Ceux-là, on les guette. On les aperçoit du coin des yeux mais le temps qu’on se retourne ils sont déjà à dix mètres, picorant tranquillement sur le bord des coraux.

Tous ces poissons, ces crustacés, ces animaux aquatiques, ils sont chez eux. Ils n’ont pas peur de nous. Pas vraiment. Ils fuient l’inconnu, mais ils se savent en sécurité dans leur maison. Ils nous évadent pour mieux nous observer, comme nous nous faisons tout petit pour mieux les admirer. Et c’est juste… C’est un spectacle qui est beau à voir. On se sent petit, face à tout ce monde et ça nous rappelle que… Nous ne sommes pas tous seuls. Les humains, je veux dire. Il y a des petites bêtes, dans ce monde et dans d’autres, qui vivent hors de notre portée, en harmonie.

Nous nageons ainsi, navigant entre les coraux et leur cohabitants, suivant Marie-Dominique, pendant quelques heures. La robe de Miri ressemble au mouvement d’une méduse, ombrelle et jupe mouvant en accord.

Soudainement, Marie-Dominique frappe son poing contre le plat de sa paume, provoquant une onde de choc dans l’eau –l’équivalent d’un cri aquatique. Elle nous pointe une ombre du doigt : un corps allongé, gris, ondule doucement dans l’eau. Et, sur son dos… Une dorsale. On le voit dans la distance, puissance contrôlée, tout en muscle. On s’arrête, on s’immobilise, on observe, hésitant entre fuir et ne pas bouger. Proie et prédateur se fixent dans un combat de regard.

Et puis, il s’en va. Tranquille.

A peine dix secondes ont passées et pourtant, on dirait qu’une éternité s’est écoulée. Le requin nous laisse derrière lui, mais nous, on a du mal à se détacher de sa présence. Nous restons quelques secondes ainsi, immobiles, sidérées, avant que Marie-Dominique se secoue, reprenant avec un peu de difficultés ses esprits et nous signale d’un mouvement de main de la suivre.

Quelques minutes plus tard, nous arrivons devant une grande arche de pierre, digne des plus grands monuments grecs. Marie-Dominique s’en approche doucement et pose sa main sur l’une de ses colonnes. Un éclat de lumière bleu jaillit aussitôt de la porte, se répandant dans toutes les directions. Miri sursaute à côté de moi, clignant des yeux face à l’intensité lumineuse. Et dès que nous rouvrons les yeux, nous nous trouvons dans une nouvelle pièce.

  Autrice : Enfant des mers sous le pseudo « enfantdesmers »

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