Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA SALLE DU CHOIX EXISTENTIEL
LA SALLE DU CHOIX EXISTENTIEL

LA SALLE DU CHOIX EXISTENTIEL

L’Impératrice Chapeautée as L’Impératrice Chapeautée

Encore tremblante, ruisselante de cette eau noire et poisseuse, le nez empli des relents âcres de l’écume jaune, j’écartai le rideau de velours pourpre qui masquait l’ouverture d’une arche de pierre aux torsades somptueuses.

La tenture se rabattit lourdement dans mon dos, et j’eus tout le loisir d’admirer la splendide pièce dans laquelle je me trouvais à présent. C’était une salle circulaire, aux dimensions modestes, et dont les parois douces étaient gravées de fresques à demi effacées, représentant des faunes, des buissons luxuriants, des visages déformés, des flammes. Les couleurs qui s’épanouissaient sur le mur allaient de l’or au turquoise, en passant par l’écarlate ou le corail. Le plafond était un dôme de cristal cerclé d’argent ouvragé, et par où se déversait une chaude lumière dorée. Le sol était couvert d’un tapis oriental magnifique, tissé d’une myriades de frises chamarrées.

Et, en face de moi, s’élevaient les deux portes les plus merveilleuses que j’avais jamais vues. Les montants étaient de pierre sombre incrustée de milliards de tous petits diamants qui scintillaient d’un éclat dur, ce qui me fit aussitôt penser à une nuit d’été constellée d’astres étincelants. Des torsades de nacre croissaient de part et d’autre des pênes, qui, eux, rutilaient de rubis et d’agates sculptés avec finesse. Les poignées étaient deux gros saphirs, couleur d’eau dormante. Le mur qui soutenaient ses purs joyeux architecturaux était sculpté d’une multitude de petits êtres, si vraisemblables, si fins, si précis, qu’ils semblaient fourmillants de vie. Une fontaine entre les deux portes déversait son chant clair et limpide, et bruissait, dans un froufroutement de mousse délicate, en un bassin creusé à même le sol, jalonné de poudre argentée et d’émeraudes posés dans des amphores renversées.

Cette salle était si merveilleuse, si raffinée, si riche, que je ne saurais en livrer une fidèle description.

C’est alors qu’un murmure mélodieux s’éleva de ce qui semblait être l’embouchure de la fontaine. Il dit :
« Bienvenue, très chère, dans cette antre secrète où vous devrez opérer un choix qui ne saurait être anodin. »
« Qui êtes-vous ? », demandai-je en reculant prudemment.
Un profond soupir glissa contre les parois arrondies et se perdit dans les pierres précieuses des deux portes. Enfin, ON daigna me répondre.
« Le Château, enfin, tu n’avais pas compris ? »
« Ah, si. C’est vrai. Mais c’est tellement… abracadabrant ! »
« Plaît-il ? »
« Rien, oubliez. Mais que dois-je faire, alors ? »
« Choisir entre ces deux portes. »
« C’est tout ? »
Le rire, si cristallin et enfantin, retentit de nouveau. Il me glaça d’effroi. La voix reprit :
« Mon enfant, tu dois néanmoins savoir que l’une te conduira dans un lieu d’abysses et de cauchemars : le Tartare ; l’autre te mènera dans des salles somptueuses où tout sera idyllique, merveilleux, sublime : l’Eden. »
« A choisir, je préfèrerai ce dernier… »
« Ah, mais c’est que tu vas devoir deviner laquelle est le Tartare, et laquelle et l’Eden ! Et si tu ouvres une des portes, tu ne pourras plus jamais en ressortir ! »
« Mais c’est monstrueux ! C’est… ignoble ! Vous n’avez pas le droit ! QU’ON LUI COUPE LA TEEEETE ! Ah, non, c’est vrai, diantre. J’ai droit à un indice ? »

Un profond silence s’ensuivit. Je sus que, pour cette épreuve, je serai seule avec mon indécision. Je contemplai les deux portes. Elles étaient parfaitement identiques, toutes deux scintillantes des mêmes joyaux, disposés à la même place. Je fis appel au peu de raison qu’il subsistait encore en moi. Je vous fais part des interrogations qui me tourmentèrent.
« Bon. Dans les croyances populaires, lors des contes où le héros doit faire un choix de direction, on attribue plutôt la gauche au paradis, et la droite aux enfers… A moins que ce ne soit l’inverse ? Et puis, si ça se trouve il y a un piège. Ou alors, le Château va penser que je prends la direction opposée à mon instinct, et donc, me piègera. Fichtre. Et si je rebroussais chemin ? Ah non, c’est vrai, je ne le puis point. Droite ou gauche ? Gauche ou droite ? »
Un filet de sueur sirupeux roula le long de ma tempe. La vision de ces deux portes, si enchanteresse à première vue, me figeait d’effroi sous l’effet du choix terrifiant que je devais opérer.
« Gauche..? Droite..? »
Des larmes piquaient mes yeux.
Je me ramassai sur moi-même.
Je fléchis les jambes.
Poussai un juron.
Et me précipitai sur la porte de gauche, que j’ouvris avec fracas…

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