La Chatte qui Pêche as Poussière d’Étoile, aventurière lilliputienne (anciennement La Chatte qui Pêche)
Encore toute sonnée par les hurlements des animaux fantômes, je mis un moment pour prendre conscience de la nouvelle pièce. En vérité, elle n’avait rien de particulier. Plutôt petite, les murs en pierre, meublée d’une seule table et de quelques tabourets de bois, une cheminée dans un coin. J’avais l’impression de me trouver dans une vieille chaumière. Unique étrangeté, un tableau représentant un grand homme à cheval, vêtu d’un costume de chasse rouge, pendait d’un des murs.
Esprit et Om s’installèrent autour de la table, bâillant et se lamentant de leurs tympans endoloris. Je continuai à observer l’homme à cheval. Sans savoir pourquoi, il me rappelait quelque chose que j’avais prévu de faire, mais que par la suite j’avais oublié. Je me creusai la tête pendant un moment, sans résultat. Tout à coup, quand j’allais abandonner et espérer que ce ne soit rien d’important, une voix retentit : « La Vérité, rien n’est plus important en amitié. » J’aurais juré que l’homme dans le tableau avait parlé ! Mais lorsque je me tournai vers mes compagnons, et leur demandai s’ils avaient aussi entendu cette voix, ils me regardèrent sans comprendre. Est-ce que j’avais rêvé ?
« Ta première impression était plus correcte. »
Cette fois, pas de doute, même si le tableau n’avait pas bougé ses lèvres : c’était lui qui parlait, par télépathie ! « C’est mieux. Suis ton instinct. Le cerveau, dans ce Château, ne fait pas toujours bon ménage. »
Je scrutai le visage de l’homme peint, toujours aussi impassible avec sa perruque du 17ème siècle et son costume antique. « Que voulez-vous me dire ? » La réponse ne se fit pas attendre. « Que, si tu es sûre de tes compagnons, et si tu veux explorer avec eux, il faut découvrir qui ils sont. Entendre leur histoire. Et la paix viendra. » Voilà ce que j’avais cherché à me rappeler ! Il fallait que je sache qui était vraiment Om. Mais le tableau parlait aussi d’Esprit ? J’essayai de lui demander, sans résultat. Était-ce mon imagination, ou un sourire en coin avait transformé l’expression de l’homme peint ? Quoiqu’il en soit, je décidai de suivre son conseil.
Je m’approchai de mes compagnons, qui me regardaient d’un air un peu préoccupé, et m’assis en face d’Om l’ombre. Je pris une grande inspiration, et je commençai :
-Je ne peux pas continuer à explorer avec toi si je ne sais pas qui tu es. Tu ne nous a presque rien dit sur toi, dans la pièce de la résistance. Maintenant, je te demande la Vérité, autrement je ne pourrai jamais te faire confiance totalement.
Après une aussi brusque demande, je croyais qu’Om allait rester bouche bée ou se mettre en colère. Mais il n’en fut rien, comme s’il savait que ce moment devait arriver. Il se contenta de soupirer et de croiser les bras, puis il me regarda et se mit à parler.
-Vous avez le droit de savoir. Il y a une décennie, je suis entré dans le Château en qualité d’aventurier. J’étais très jeune et arrogant. J’ai réussi à échapper à ses pièges pendant un an, pas plus… 366 jours après que mon exploration avait commencé, je suis tombé sur une pièce maudite.
Om fit une pause, le regard perdu dans le vague.
-La malédiction était incroyablement complexe, mais elle se résumait à une phrase « Désormais, tu ne seras plus que l’ombre de toi-même. » C’est ce que je suis devenu. Une ombre, non plus un corps solide, condamnée à faire partie du Château. Une ombre errante, mais qui ne pourrait pas exister dehors, à la lumière du soleil.
-Mais alors, murmura Esprit, si le Château sera vaincu, tu mourras… Et pourtant, tu te bats pour ce but…
Elle allongea la main et effleura celle d’Om. Frissonnante, je regardai ce contact entre un fantôme blanc et une ombre noire. C’était magnifique et triste à la fois.
Om sourit pour la remercier et Esprit retira son bras.
-C’est étrange, dit-elle, pour moi se séparer de mon corps a été plus une libération. J’étais l’esprit de Miss Lovegood, de son prénom Amélie, une fille un peu ingénue, qui a exploré juste quelques pièces avant de se séparer de moi. Mais j’ai toujours ses souvenirs… Ses amies, sa famille, sa petite sœur qu’elle a quittés. Parfois, ça arrive qu’ils me submergent.
Je me rappelai une pièce où Esprit s’était sentie mal à cause de ses souvenirs. On n’en avait pas beaucoup parlé. À vrai dire, notre vie passée était un sujet tabou quand Esprit et moi étions seules. Mais à présent, quelque chose avait changé. Esprit et Om se tournèrent vers moi. Ils semblaient attendre. Ils avaient raconté leur histoire. C’était mon tour.
« Pour savoir la Vérité, quelque chose en échange tu dois donner… » souffla le tableau dans ma tête.
Je serrai mes poings, fort, jusqu’à que mes ongles entaillent ma peau. Je le savais. Je devais raconter. Mais quelque chose que j’avais cherché à enterrer me disait que c’était hors de question, que souffrir encore n’avait pas de sens. Je n’avais qu’à partir, et plus personne ne me demanderait mon passé. Quoi ! Abandonner Esprit et Om ! Impossible. Je respirai pour me calmer. Les mots, sans que je l’aie réellement voulu, sortirent de ma bouche peu à peu.
-J’appartenais au peuple des Dissents. Nous vivons dans des forêts de sapins, pas dans des villes, mais ce n’est pas pour ça que nous sommes moins évolués. Nous sommes d’habiles généticiens. Et c’est pour ça qu’au fil des ans, on a élaboré un système de sélection. 10 cm est la taille minimale et idéale pour la survie de l’espèce. Les Dissents qui atteignent une taille inférieure, si peu nombreux soient-ils, sont éloignés et bannis. C’est ce qui m’est arrivé. Je mesure exactement 9,6 centimètres.
-Quoi ? Ils t’ont bannie pour une question de TAILLE ?! C’est totalement débile ! s’insurgea Esprit.
-Non, répliqua Om. Ils ne veulent prendre aucun risque. Tout est réglé au millimètre, chez eux.
Il me regardait d’un air compatissant.
-Ils m’ont bannie pour ça, oui. Je n’existe plus pour eux. Même mon nom et les vêtements que je dois porter le montrent, dis-je en désignant mes habits gris. La couleur des bannis.
-Poussière d’Étoile n’est pas ton vrai nom ? demanda Esprit, étonnée.
-Non. Poussière, c’est un surnom qu’on m’a donné. Aussi grise et aussi invisible que de la poussière.
-Et « d’Étoile » ?
-Étoile, c’est en souvenir de mon vrai nom. Dans ma langue, on m’appelait avec un mot qui avait un rapport avec « étoile ».
-Et c’était ?
Je secouai la tête. –Impossible de m’en rappeler. Je ne sais pas si on a fait quelque chose à ma mémoire, mais je ne me souviens pas de mon ancien nom.
-Il faut que tu le recherches, alors, me conseilla Om.
Esprit me regardait éberluée. J’avais raconté tellement de choses d’un coup, plus même qu’on m’en avait demandé. Mais ça faisait des années que j’aurais du me débarrasser de tout ça. Petit à petit, je me sentis mieux. J’avais exposé mon passé au jugement des autres, mais c’étaient mes amis, je pouvais leur faire confiance.
Après mes confessions, nous décidâmes de sortir de cette pièce, qui n’était après tout pas très confortable et qui n’avait rien à manger. Juste avant de passer une petite porte en bois, je me tournai pour observer le tableau une dernière fois. Pas de doute, à présent l’homme peint souriait de toutes ses dents.
« Merci » je pensai fort. Et je me tournai vers la nouvelle pièce.