Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DE MON RENOUVEAU
LA PIÈCE DE MON RENOUVEAU

LA PIÈCE DE MON RENOUVEAU

Pièce n°1167

Le mur était couvert de runes inconnues aux formes biscornues, de cercles et des traits s’entrelaçant dans des dessins compliqués et stylées qui formaient des inscriptions, des phrases au sens mystérieux. J’eus une bizarre impression de déjà-vu, comme si je les avais aperçus auparavant, il y a bien longtemps, mais j’étais incapable de savoir où. Mes yeux dansaient de runes en runes, ne pouvant s’arrêter sur une seule. J’étais fascinée, je ne sais pourquoi, par ces signes aux étranges calligraphies. Sans être beaux, ils avaient un charme épatant, un charisme étonnant qui m’attirait vers eux. Il en émanait une puissance que seul l’âge peut procurer. Je laissais traîner mes doigts sur les murs, traçant le contour des runes et multiples caractères qui les entouraient, et je me rendis compte qu’ils avaient été gravés dans la façade. Mes doigts glissaient sur les petites crevasses ainsi formées. Je restai un temps indéfini ainsi, bercée par l’aura invisible qui m’entourait dans un … de quiétude infinie. Ma main s’immobilisa brusquement sur une inscription. Elle avait la forme d’un Oméga grecque inversé, suivie d’un Psi, une sorte de trident à trois branches, et d’autres symboles indescriptibles. Prise d’une inspiration subite, je posai mes deux paumes côte à côte de façon à en recouvrir la totalité, puis appuyai mon front sur le dos de mes mains. Je restai prostrée ainsi quelques instants, les yeux fermés, puis une douce chaleur se répandit de mes phalanges à mes avant-bras. Ce n’était pas une sensation douloureuse, loin de là. Je me sentais bien, et pour la première fois depuis des années, je me sentais à l’aise, à ma place, comme si j’avais toujours été destinée à être ici.
Je rouvris les yeux. Une vive lumière m’entourait. Je regardai autour de moi et remarquai que toutes les runes s’étaient illuminées et avaient pris une couleur dorée, virant vers le brun foncé par endroit. Je ne sais si ce fus la pièce qui se mis à tourner ou les runes qui bougèrent mais toujours est-il que je fus prise d’un vertige soudain et que ma vision se brouilla. Je tombais à genoux, et me pris la tête entre les mains. Un cri perçant me déchira ma torpeur et je relevais la tête. J’aperçus Merlin, mon milan adoré, qui filait droit vers moi. Il piqua, et juste au moment où je pensais qu’il allait s’écraser, il vira de bord de façon à voler derrière moi. Que fais-tu encore, petit oiseau ?, pensais-je tandis que mes lèvres s’écartaient pour former l’esquisse d’un sourire.

Mon sourire se figea sur mon visage quand il planta ses serres dans mon dos à la jonction des os de l’épaule. Je poussai un hurlement et je cru voir des larmes à l’orée de mes yeux. Tentant d’atténuer mon calvaire, je repliais mes jambes contre moi et rentrait ma tête en position fœtus. La douleur se diffusa dans toute ma colonne vertébrale et l’instant de quelques secondes, je maudis mes muscles qui me faisaient tant souffrir. Je fus secouée d’un soubresaut quand je sentis les griffes de Merlin déchirer la peau recouvrant les os de mes épaules. La souffrance était telle que je pensai mourir. Un éclair. Un cri, et je sentis mes membres fondre, se métamorphoser, se reconstruire, s’allonger. Le corps chaud de Merlin sembla merger avec le mien ; mes sens se multiplièrent par cent. Je sentais le vent qui jouait tout contre ma peau, le halo de lumière qui m’enveloppait à travers mes paupières closes, l’air méditerranéen, mélange de sel et de sapin, mes battements de cœur affolés, dix mille sensations qui m’étaient inconnues il y a peine quelques minutes. Mes bras, repliés contre ma poitrine, étaient recouverts d’une épaisse couverture d’une douceur sans égale, et je distinguais des plumes voletant autour de moi, se posant délicatement à mes pieds et ce à mon grand étonnement.

La douleur laissa peu à peu la place à un sentiment de… de renouveau. Oui, c’était le mot. Je me sentais revivre. Comme si avant, je n’avais été qu’un cocon vide, qu’une chrysalide dont on aurait coupé les ailes et que je les retrouvais enfin, après tant d’années de privation. Je les sentais dans mon dos, légères, soyeuses, vibrantes de vie et d’impatience mes épaules. Elles étaient repliées contre moi, de telle façon que les extrémités se croisaient sur ma poitrine, me procurant joie et chaleur. Mes yeux s’écarquillèrent devant la beauté et l’éclat de mes plumes. Douces et chaudes, leurs lames brunes étaient parsemées de taches noires. J’eus l’impression de rêver tellement tout cela me semblait irréel. Mais quand je les tâtais du bout des doigts, ma main rencontra bel et bien des rémiges primaires. Mes rémiges primaires.

Je tordis le cou afin de faire une brève inspection du reste de mes ailes. Elles ressemblaient à celles d’un jeune, mais rien d’étonnant à cela. Les rémiges secondaires et les tectrices primaires ne présentaient aucune faille et étaient en parfait état. Je me redressai et sentis leur poids, bien que moindre, m’entraîner vers l’arrière. Je rectifiai mon équilibre et me levai. Mes ailes trainaient derrière moi telle la traine d’une robe de mariée. Je relaxai mes épaules et tentai d’étendre mes ailes, ce qui ne marcha qu’à moitié : je m’emmêlai les pinceaux et me retrouvai à terre. Je souris en dépit de moi-même, tout au comique de la situation. + détails Je réessayais, et cette fois je réussis à me lever et à ouvrir mes ailes. Elles étaient longues de plus de deux mètres. Je battis mes ailes. Je sentais leur force et mes muscles qui se contractaient sous ma peau au moindre de mes désirs.

J’étendis mes ailes. Les rémiges primaires se rejoignaient deux mètres au-dessus de ma tête. Je sentais leurs extrémités frissonner d’une énergie contenue, retenue depuis si longtemps dans mon corps, et je tremblais avec elles. Ces ailes avaient toujours fait partis de moi, mais j’en avais dénié l’existence, comme j’avais renié mes origines, mon héritage, ma famille. Comme j’avais voulu oublié mon passé, ma vie. Mais cette fille que je prétends être, cette fille que j’avais été, n’ont jamais su s’entendre. Elles se sont toujours battues pour ce qui leur semblait juste, pour que leur peuple oublié renaisse de ces cendres, tout en ignorant leurs légendes et leurs messages. Cette fille, c’était moi, et bien plus encore. Et cette fille avait enfin fait face à la réalité, avait arrêté de se mentir et de se fourvoyer. Elle avait dit non. Elle avait dit stop. Elle en avait marre. Ras-le-bol des mensonges et des semi-vérités, des non-dits et des faux-semblants. Elle en avait marre de se mentir à elle-même, se regarder dans le miroir et ne voir qu’un reflet flou, qu’une illusion irréelle. Cette fille-là, c’était moi, mais en même temps… Ce n’était plus moi. En quelques instants, en quelques minutes pourtant insignifiantes dans la grande horlogerie du monde, j’avais changé. Je m’étais transformée. Métamorphosée. Je m’étais acceptée telle que j’étais.

Enfin.

Je laissais mon passé en lambeaux derrière moi. Regarder vers le futur. Ne penser qu’au présent. Vivre. Je ne savais pas ce que le destin m’offrirait, je n’avais aucune idée des choix que l’avenir me proposerait. J’espérai revoir mes amis, ceux que je commençais à connaître grâce à nos quelques rencontres. J’espérai. Mais rien n’était que doutes et incertitudes. Tout n’était que confusions et incompréhension. Mais j’espérai.

Je pris mon envol.

Auteur-ice : Enfant des mers, sous le pseudo « Enfant des mers »

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