Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DU GIGANTESQUE ET IMPRESSIONNANT OCÉAN (EN MÊME TEMPS UN OCÉAN C’EST TOUJOURS GRAND…)
LA PIÈCE DU GIGANTESQUE ET IMPRESSIONNANT OCÉAN (EN MÊME TEMPS UN OCÉAN C’EST TOUJOURS GRAND…)

LA PIÈCE DU GIGANTESQUE ET IMPRESSIONNANT OCÉAN (EN MÊME TEMPS UN OCÉAN C’EST TOUJOURS GRAND…)

Avant d’explorer cette nouvelle pièce en bonne et due forme, c’est à dire en commençant par la décrire (bien que le titre en lui-même doit vous donner pas mal d’informations), il est en mon devoir de vous informer des événements récents qui ont manqué à mon récit. Un passage de mon aventure, s’étant déroulé après le moment où je refermai la trappe de la minuscule chambre d’Irma n’a pas été dit pour d’obscures raisons et je vais y remédier car il est assez important pour bien comprendre l’enchaînement de l’histoire. Je vais arrêter de vous tenir en haleine plus longtemps. Donc. Nous nous étions quittés au moment de ma sortie de la pièce de la voyante.
Il se trouve qu’avant de refermer complètement la trappe depuis la pièce où je me trouve à présent, j’entendis un cri venant de l’endroit que je laissais derrière moi. C’était Mme Irma ! Je me replongeai dans la trappe avec toute la rapidité que me permettait mes muscles endoloris et me retrouvai face à un spectacle étonnant. Dans la pièce se trouvait un jeune garçon, environ du même âge que moi, qui tentait d’échapper à la voyante qui, debout sur la table basse, lui lançait tous les objets qui lui tombaient sous la main à savoir les bibelots soigneusement posés sur les étagères. Lorsqu’il me vit, un sourire fendit son visage.
– Une aventurière ! Enfin ! Je savais que je ne pouvais pas être seul perdu dans ce Château !
Il se baissa et évita de justesse un dictionnaire en Runes Anciennes qui passa à quelques centimètres de sa tête.
– Irma… Pouvez-vous m’expliquer… ?
– Il n’y a rien à expliquer, rétorqua le garçon. A peine entré dans cette pièce, cette vieille sorcière que tu sembles apparemment connaître a poussé un grand cri et s’est mis en tête de m’assommer !
Je lançai un regard interrogateur à la vieille dame. Depuis quand attaquait-elle les explorateurs comme ça ?
– Ce garçon n’est pas un aventurier, répondit-elle avec colère. C’est un recruteur à la solde du Château, chargé de s’allier avec toi afin de te tromper !
Je restai sans voix. Cependant, le garçon, ou plutôt devrais-je dire le recruteur, n’avait pas perdu la sienne.
– Un recruteur ! S’exclama t-il. Quel mensonge grotesque ! Enfin, Orianne, tu ne vas pas croire cette… cette… (il ne sembla pas trouver de mot exact pour qualifier Irma et finit par abandonner). Tu vois bien que je suis un explorateur rien de plus ! Je suis arrivé dans ce Château par un malheureux hasard et vous êtes les premières personnes que je croise… J’ai longtemps cru être tout seul…
– Ce garçon ment comme il respire, pesta la voyante.
Je ne savais que penser. Ce jeune homme paraissait sincère et son histoire me rappelait la mienne dans ses débuts. Je savais à quel point sa solitude devait être grande et pourtant…
– Il se trouve que j’ai deux bonnes raisons de ne pas de croire, dis-je, ignorant l’air déconfit du garçon. Premièrement, Mme Irma ne s’est jamais trompée dans ses prédictions, et jamais elle ne me mentirait. Secundo, si tu n’es pas un recruteur envoyé par le Château dans le but de t’allier avec moi, peux-tu m’expliquer comment tu connais mon prénom alors que je ne te l’ai pas dit ? Attention, si tu me dis que tu as le don de lire dans les pensées, tu te prends cette balance de bronze sur le crâne, ajoutais-je.
Au tour du recruteur d’avoir perdu sa langue. Il baissa les yeux, à court d’arguments. Puis, nous prenant par surprise, il bondit vers la porte dans l’intention de s’échapper. Je me jetais sur lui, suivie par Mme Irma (qui aurait cru qu’une dame aussi âgée serait aussi agile ?) . Je l’attachai à une chaise avec un vieux foulard aux charmants motifs chinois. Le pauvre se débattait sans parvenir à se libérer. J’étais persuadée qu’il n’avait pas eu le choix de refuser sa mission mais quand même ! Je n’allais pas me laisser espionner… Essayant d’éviter son regard suppliant, je m’asseyais dans un fauteuil afin de reprendre mon souffle.
Quelques secondes plus tard, une jeune fille apparut dans la pièce dans un tourbillon.
« Décidément, pas moyen de se reposer ! » râla ma petite voix qui étais bien placée pour dire ça après tous les efforts surhumains qu’elle avait fait.
– Qui êtes-vous ? Demandais-je d’un ton un peu trop brusque maintenant que j’y repense.
– Je… je m’appelle Leya, répondit-elle, et je viens pour retrouver un ami à moi qui est normalement là.
– Lui ? Dis-je en désignant le petit tas que formait le garçon au pied de la chaise. Il est venu pour nous vendre au Château, à l’instant où j’allais sortir de cette pièce. Il n’a pas arrêté de nous mentir, mais heureusement Irma a vu clair dans son jeu. Si tu es toi-aussi une allié du Château, tu connaîtras le même sort.
– Non non, ce n’est pas du tout mon but, dit la fille, et je ne sais pas du tout de quoi vous parlez. «Il» est mon frère, vous comprenez, et…
– Elle ment, coupa Irma, elle est un recruteur, et est venue pour sauver son ami.
Aussitôt, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’attrapai un rideau et à l’aide de la voyante, je l’emballai tel un joli petit paquet cadeau. La jeune fille se débattit mais elle était solidement empaquetée. Sur un commun accort, Irma et moi décidâmes que je me chargeais d’elle et trouverai un moyen de m’en débarrasser dans la pièce suivante pendant qu’elle s’occupait du garçon. Je lui fit mes adieux et montai dans la trappe avec un peu plus de difficultés que la première fois puisque je portais avec moi la fille recruteur.

Voici comment je suis arrivée dans cette pièce et me trouve à présent assise sur une plage de sable fin et brûlant avec à côté de moi un étrange colis qui, quand on lui donne des coups de pieds, se met à bouger (enfin je n’ai pas essayé mais je suppose).
Maintenant, la description que vous attendiez tous. La pièce en elle même est très grande et est un paradis pour les yeux. Une plage ombragée par endroits semble s’étendre à l’infini. Une falaise abrupte monte jusqu’au ciel, cachant dans ses multiples grottes des nids de goélands dont les cris résonnent le long des parois. Et, enfin, englobant pratiquement tout l’espace, un océan d’un bleu profond me fait face, sa surface agitée par de petites vaguelettes. Immobile, la bouche entrouverte, je suis subjuguée par le paysage qui s’offre à moi. Comment ce Château peut-il contenir un espace aussi grand ? La mer et la plage s’étendent à perte de vue. Je peine à croire que je me trouve dans une pièce et non transportée à l’extérieur.
Un vent léger fait voler mes cheveux et le soleil tape fort sur ma nuque. Un gémissement étouffé me sort de mon état de transe et me rappelle la présence de ma prisonnière. Je la regarde avec pitié. La pauvre n’a rien demandé ; son visage innocent et le peu de résistance dont elle a fait part lors de sa capture m’indiquent qu’elle n’a pas compris à quoi elle s’était engagée, qu’on lui a bourré l’esprit d’idioties à propos du Château et qu’elle n’a pas eu le choix de refuser le poste de recruteur. Malgré tout, je ne peux pas m’encombrer d’elle. Je ne sais pas comment elle est arrivée brusquement dans la chambre d’Irma mais une chose et sûre : elle peut sûrement revenir trouver celui qui l’a envoyé ici en un claquement de doigts et moi avec. Je ne peux pas prendre ce risque. Mais je ne peux pas non plus la garder ainsi attachée, ce serait cruel et avec cette chaleur… Je suis en train de ressasser mes différents problème et de me dire que tout serait définitivement plus simple si je l’avais laissée aux soins d’Irma lorsque ma petite voix prends la parole :
« Tu dois de débarrasser d’elle sur cette plage. Desserre ses liens maintenant et puis va t’en. Elle devrait arriver à se débrouiller. Avec un peu de chance, lorsqu’elle se relèvera seule sur le sable, elle croira avoir rêvé. »
Je suis sceptique mais finis par me laisser convaincre lorsque ma petite voix ajoute :
« Ne t’inquiètes pas, elle va s’en sortir. Et puis tu lui rend un fier service en l’éloignant des autres recruteurs. »
De toute façon je n’ai pas vraiment le choix. Je la soulève et la porte sur mon dos. Je marche quelques minutes avec mon drôle de bagage puis la dépose soigneusement à l’ombre de la falaise. Je lui desserre ses liens de sorte qu’il ne lui restera que quelques mouvements à faire pour se libérer. Elle se laisse faire. Puis, je fouille dans mon sac et en sors une gourde pleine d’eau fraîche. Je la dépose à côté d’elle ainsi qu’un morceau de pain. Je peux bien lui faire cette faveur, les vivres ne me manquent pas.

Puis, je m’enfuie en courant, tachant de mettre le plus de distance possible entre moi et la fille… Comment a t-elle dit qu’elle s’appelait déjà ? Ah, oui, Leya, c’est ça. Je continue de courir malgré la chaleur insupportable, malgré le sentiment de culpabilité qui me tord les entrailles. Lorsque j’estime être assez loin de Leya, je m’arrête, essoufflée, en nage. J’essuie la sueur qui dégouline de mon front et regarde la mer, qui a l’air délicieusement rafraîchissante. Un petit bain ne ferait pas de mal, je n’en ai pas pris depuis… Mieux vaut ne pas y penser.
Je regarde à gauche, puis à droite. Personne en vue à part une grosse tortue et une famille de mouettes. Bon. Je me déshabille rapidement, essayant de ne pas remarquer à quel point j’ai maigris et que ma peau est abîmée. Je pose mes vêtements sur un rocher et me jette à l’eau avec un petit cri de joie. Elle est à la température parfaite, ni trop chaude, ni trop glacée. Je mets la tête sous l’eau, nage avec plaisir, ouvrant les yeux malgré le sel pour observer les poissons. Ceux-ci, ternes ou colorés, passent devant mon visage, me suivent parfois dans mon exploration sous-marine. Je sors la tête de l’eau pour reprendre une profonde inspiration et plonge à nouveau. Je ne vois pas le temps passer, je pourrais rester ici toute ma vie, à faire la planche et à jouer dans l’eau, à oublier que je me trouve dans le Château des Cent Mille Pièces…
Une vague plus grosse que les autres m’éclabousse. Je rie, même si je suis toute seule. Je n’ai jamais été aussi bien depuis mon arrivée dans le bâtiment. Les minutes, puis les heures passent. Enfin, presque à regret, je sors de l’eau, mes pieds s’enfonçant dans le sable mouillé. Je ne me sèche pas. J’enfile directement mes habits sur ma peau humide. La chaleur est à son comble. Je ne peux pas rester en plein soleil. Je m’abrite contre la falaise, afin de bénéficier des quelques centimètres d’ombre qu’elle m’offre. Je bois un peu. Il me faut économiser l’eau ; cette pièce n’est pas si parfaite qu’elle n’en a l’air. Je dois faire attention. Je m’assois, la tête lourde à cause du soleil. Je vois légèrement flou par endroits. Il faut que je me trouve un meilleur abri mais pour cela, il faut que je marche en plein soleil pour je ne sais combien de temps.
Mon sac à dos faisant office de chapeau d’occasion, je me remets en marche. Je n’enlève pas mes chaussures, le sable est bien trop chaud.
« Il y a sûrement une grotte près de cette falaise, m’indique ma petite voix. Il y fera frais. »
Animée par ce nouvel objectif, j’accélère. Je dois trouver cette grotte ou mieux, la sortie de cette pièce. Mais celle-ci est tellement grande qu’elle peut être n’importe où. Qui sait, peut être est-elle tout là bas, à l’horizon ? Je marche, je marche, sans m’arrêter. Je pense à Leya. Est-elle dans la même situation que moi ?
Soudain, des éclats de rire se font entendre. Leya ? Non, il me semble entendre plusieurs voix. Au loin, j’aperçois quatre personnes qui jouent dans les vagues. Je ne suis pas perdue ! A leur vue, je redouble de vitesse. Un cri de surprise. L’un d’entre eux me désigne du doigt. Ils quittent alors leur baignade et s’approchent de moi. Ma vision se trouble encore plus. La tête me tourne, je me sens tomber… Non, c’est impossible, pas maintenant ! Je m’écroule dans le sable qui me brûle le visage, impuissante.

Lorsque je reprends connaissance, je suis allongée sur un sol de pierre. L’atmosphère autour de moi est plutôt fraîche, comparé à la chaleur à laquelle j’étais confrontée auparavant. Je cligne des yeux et me redresse. Je me trouve dans une grotte. Mon sac à dos est à côté de moi, entouré par d’autres affaires qui ne m’appartiennent pas. Curieux…
Je remarque soudain une petite fille d’environ dix ans aux longs cheveux noirs tressés, qui me fixe avec étonnement. Dès que je croise son regard, elle s’écrie :
– Hé ! La fille s’est réveillée, venez voir !
Un mouvement furtif se fait entendre du fond de la grotte et trois autres personnes rejoignent la gamine. Ils sont plus âgées, je leur donnerais entre quatorze et quinze ans. Deux garçons et une fille. Le premier garçon a le teint basané, les cheveux d’un noir de suif et une forte carrure. L’autre semble plus discret à première vue. Ses cheveux sont châtains et il a des yeux intelligents. Enfin, la fille, celle qui se tient juste à mes côtés, à les yeux d’un vert émeraude, une impressionnante chevelure rousse et un air de famille avec la petite, le nez et la bouche du moins.
– Comment te sens-tu ? Demande t-elle.
– Bien… ça va, je balbutie.
– Eh ben on peut dire que tu nous a fait une sacrée frousse ! S’exclame la jeune fille. Si Romain ne t’avait pas aperçue, dieu sait ce qui te serais arrivée !
Le garçon aux cheveux châtains m’adresse un sourire timide. Je me redresse, légèrement hébétée. J’ai le vague souvenir de m’être évanouie mais rien de plus. Ce qui s’est passé entre mon malaise et mon arrivée ici est le vide total.
– Je m’appelle Astrid, dit la fille. Lui c’est Romain, elle c’est ma sœur Marine, et lui (elle désigne d’un signe de tête le garçon à la peau matte) Yashim. Nous sommes arrivés dans cette pièce il y a quelques heures et faute d’avoir trouvé de sortie, nous nous sommes installés ici. Y a pire comme coin, c’est sûr. Au moins on a la vue sur la mer. Mais nos réserves d’eau commencent à s’épuiser et sans sortie…
Je hoche la tête (ce qui me provoque une vive douleur au crâne en passant) avec compréhension. Puis j’attrape les deux bouteilles d’eau de mon sac et les pose devant moi ainsi que toutes sortes de vivres.
– Voilà ce que j’ai. Nous pouvons mettre nos réserves en commun, peut être que nous tiendrons plus longtemps. Et chercher la sortie à plusieurs, je pense que ce sera plus rapide.
Le groupe acquiesce d’un accort unanime. S’ensuit alors un dialogue de mise au point de nos ressources en eau, nourriture et objets divers. Notre butin s’élève assez élevé mais une question nous trotte dans la tête à tous. Combien de temps pourrons nous tenir ?

L’après midi passe à une vitesse fulgurante. Nous oublions quelques instants nos problèmes pour nous jeter en cœur dans les vagues. Mes nouveaux compagnons sont très gentils. Ils ont l’air de bien se connaître. En quelques heures, j’arrive à percevoir les sentiments qui les relient les uns au autres. Les deux sœurs, Astrid et Marine, passent leur temps à se disputer pour un rien et en dépit de la manière odieuse dont Marine s’adresse en général à son aînée, on voit bien qu’elles s’aiment toutes les deux plus qu’elles ne voudraient le reconnaître. Marine voue une véritable admiration aux deux garçons et si Romain lui est plus ou moins attentif, Yashim se montre très protecteur envers la fillette. Romain et lui sont comme qui dirait amis, n’ont presque pas besoin de parler pour se comprendre, Astrid et Romain sont très proches aussi quant à Astrid et Yashim… Je pense qu’Astrid est amoureuse de lui. Non, j’en suis sûre. Même un vieux phoque complètement ivre l’aurait remarqué… Suffit d’avoir des yeux. Quant aux sentiments du garçon, ils restent plus insondables.
Au bout d’un moment, je m’éloigne du groupe et m’assois sur le sable, pour réfléchir au calme. Une partie de moi est contente d’être tombée sur ces gens, une autre part à un peu l’impression de s’être incrustée dans une bande amis qui n’est pas la sienne… Cependant, la bande ne montre aucune réticence à ma présence parmi eux. Après… Sera t-elle définitive ? Je me suis séparée de Garette, Hernest et LPN et je le regrette maintenant. Qu’en est-il pour eux ?
Soudain, Romain et Astrid m’attrapent par derrière, me saisissent par les bras et les jambes pour me balancer à la flotte, sous les éclats de rire de Marine, mettant fin à mes questions métaphysiques.

Le soir arrive et, avec lui, l’agréable fraîcheur de la nuit. Aidée par Yashim, j’allume un grand feu sur la plage, que j’alimente de temps en temps avec des brindilles amenées par la mer et qui ont séchées sur la berge. Romain a péché je ne sais comment un gros poisson que nous mettons à cuire. Nous mangeons, tandis que la nuit tombe. La lumière du feu danse sur nos visages fatigués. C’est devant ce repas improvisé que nous nous racontons nos aventures respectives. Apprendre qu’Astrid, suivie en cachette par sa sœur, a fugué de chez elle me fait renchérir aussitôt sur ma propre aventure, pas si différente des leurs. J’apprends ensuite qu’elle n’a découvert la présence de Marine que bien plus tard. Celle-ci était sous la protection de Yashim, dès qu’ils se sont croisés dans le Château. Quant à Astrid et Romain, ils se sont rencontrés dès le début et jusqu’où il s’en souvienne, Romain à toujours vécut dans le bâtiment. Ceci m’intrigue au plus au point mais je me retiens de lui poser des questions. Je les informe aussi de la présence de Leya sur cette plage, si elle n’est pas encore repartie trouver son maître. Comme moi, ils estiment plus sûr de ne pas s’en approcher.

Un à un, ils vont se coucher, Marine en tête. J’éteins les dernières braises d’une poignée de sable, puis vais rejoindre les autres dans la grotte. Le sol est dur, j’y dépose ma veste. Puis, en quelques secondes, je m’endors sur ce lit rudimentaire, bercée par les respirations paisibles de mes compagnons.

Je suis réveillée au petit matin par le soleil entrant dans la grotte. Romain est déjà debout et dessine sur le sable. Étrange… Je m’approche.
– C’est un plan plutôt approximatif de cette pièce, m’explique t-il en désignant ses tracés. Avec une idée claire de l’endroit où nous nous trouvons, localiser la sortie devrait s’avérer plus facile.
Après un rapide petit déjeuné, nous nous séparons en plusieurs groupes pour l’expédition de recherche. Par hasard, je me retrouve avec Yashim mais finis par échanger ma place avec Astrid qui, j’en suis sûre, souhaitait secrètement être avec lui. Finalement, je suis avec Marine et Romain. Astrid résume la situation avant que l’on se sépare.
– Bon. Nos réserves d’eau s’épuisent et trouver la sortie de cette pièce s’avère crucial. Cherchez une porte ou quelque chose qui y ressemble. On se retrouve ici à midi au plus tard. Si vous avez un problème… Heu… Hé bien espérons qu’il n’y en aura pas. A toute à l’heure.
Nous nous séparons donc, moi, Marine et Romain d’un côté, Astrid et Yashim de l’autre. Lorsqu’ils s’éloignent, Marine m’adresse un clin d’œil :
– Tu as bien fait de lui céder ta place, elle t’en aurait voulu à mort sinon.
Toute la matinée, nous passons la région au peigne fin, sans trouver de sortie. Au fond de moi, je sais que c’est pratiquement impossible mais je n’abandonne pas pour autant. Marine est vite fatiguée. Nous la laissons se reposer et continuons les recherches à deux. Profitant de cette occasion seule avec Romain, je le questionne discrètement (enfin si c’est possible), sur sa vie dans le Château. Il répond à mes questions sans gène ce qui m’incite à continuer.
– Et donc… Tu as toujours vécut ici ? Depuis tout petit ?
– Oui. Enfin, je sais pas trop… Pour moi je n’ai jamais été ailleurs que dans ce Château, à aller de pièces en pièces. Mais je ne me rappelle pas avoir été enfant, c’est ça qui est étrange. De toute façon, petit, je n’aurais pas pu survivre si j’étais tout seul, non ?
– Alors… Soit quelqu’un s’est occupé de toi mais tu ne t’en souviens pas…
– Soit je n’ai jamais été bébé, complète t-il.
– Et heu… Ça ne t’es jamais venu à l’idée que… enfin, peut être qu’on t’aurais… effacé la mémoire, je risque prudemment. Oh non oublie ça, je dis des bêtises ajoutais-je devant son visage soudain devenu triste.
Un silence s’installe. Je me sens mal à l’aise.
« Apparemment, il n’aime pas particulièrement tes hypothèses joyeuses sur sa présence ici, dit ma petite voix d’un ton sarcastique. Je me demande pourquoi. »
« Ah ! Tu peux toujours parler ! En matière d’absence de tact tu es la première je te signale. »
« Peut être mais je fais partie de toi… Donc… »
Midi arrive et nous retournons dépités au lieu de rendez-vous, espérant une réussite de la part d’Astrid et Yashim. En voyant leur expression déconfite, je comprends qu’ils n’ont pas eu plus de chance que nous.
– Rien. Et vous ?
– Pareil.
Nous nous asseyons par terre en soupirant. Yashim et Romain font le point sur les zones où nous avons cherché : toute la plage et le bas de la falaise.
– Il faut se rendre à l’évidence, dis-je. La porte doit être ailleurs. Peut être dans la mer ou en haut de la paroi rocheuse.
– Alors on est bien dans la merde pour la trouver, ajoute Marine avec franchise, résumant nos pensées générales.

Écrasée par la chaleur revenue, je laisse les autres à leurs discutions et plonge dans l’eau pour me rafraîchir (les idées). Soudain, ma tête heurte quelque chose de dur, comme un gros caillou. Curieux, je pensais le sol uniquement fait de sable… Je m’en approche et écarquille les yeux de stupeur. Une forme colossale, noire et inquiétante, ressemblant à une carapace de tortue géante, se tient au fond de la mer, bien enfoncée dans le sol comme si elle était là depuis des lustres, invisible depuis la surface.
La tête hors de l’eau, j’inspire un grand coup puis plonge à nouveau. Nageant autour, je fais cette découverte surprenante : ce n’est pas une carapace mais une grotte sous-marine ! L’entrée est minuscule mais un homme pourrait s’y faufiler sans problèmes. Et si…
Dans ma précipitation, j’avale de l’eau et, moitié toussant moitié crachant, j’appelle mes amis :
– Venez voir ! Je… je crois avoir trouvé la sortie !
Ils se précipitent à l’eau et après un rapide examen de la grotte, sont du même avis que moi. Après tout, nous n’avons rien à perdre !
Nous rassemblons nos affaires et retournons à la grotte. Je jette un dernier regard à la plage qui nous a abritée durant ces deux jours, au paysage sauvage d’un océan non-envahi par les hommes puis plonge la tête la première sous l’eau. Le cœur battant, je me glisse avec précaution dans la fine ouverture. Le noir m’enveloppe. Et si je m’étais trompée ? Je nage sans savoir dans quelle direction, avec la désagréable sensation d’être devenue aveugle, Astrid, Marine, Romain et Yashim à mes côtés.

A la surface, une vague plus grosse que les autres éclabousse la plage, effaçant nos traces de pas et laissant notre présence ici telle qu’elle l’a toujours été. Invisible.

Autrice : la p’tite moustache, sous le pseudo « la p’tite moustache »

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