Shvimwa
Je me retourne : personne.
– Maman ? Rehane ?
Où sont-ils ? Déjà le passage s’efface derrière moi, dernière trace de mon passage, ça y est, c’est sûr, ils ne me rejoindront pas. Alors je tourne sur moi-même. Des portes, des portes, encore et toujours des portes. Partout. Seule une plateforme où je me tiens, qui permet d’accéder à toutes les portes, n’en est pas recouverte. Aucunes indications sauf… Toutes les portes, à part une, sont marquées d’une croix rouge sang. Mystère.
Un cristal bleuté, enchâssé à mes pieds, éclaire la pièce, et toutes les ombres sont fantômes, toutes les lumières, ombres. Déjà je ne sais plus par où je suis venue ni par où je repartirai.
Je sais que ma fin est proche, qu’il ne reste que le dernier acte de la pièce qui se joue de nous.
La connaissance de ce que j’étais, ce que je suis et ce que je serai m’est acquise, le savoir est à portée de main, soudain, je suis. Je suis comme je ne serai plus, en vérité, je suis le monde et le monde est moi, nous sommes et vous êtes, je connais et tu deviens.
Et je pleure.
Je m’effondre au sol de tout voir, les larmes pour m’aveugler, la tristesse pour se barricader loin de l’Autre. Mais rester est si dur, fuir si facile… Personne ne saura rien, jamais, et mon nom disparaitra des fils du Destin.
Est-ce ça que je veux ? Oui, non, peut-être. Si je veux, je peux…
Oui, je peux. Mais puis-je vouloir ? Toujours le pouvoir qui revient, crainte de domination, peur de laisser-aller, dernier obstacle ou liberté, pouvoir d’aimer, pourvoir des autres, pouvoir à soi, rien n’est plus vrai…
Mais je pleure…
Demeurer et savoir, ne plus jamais oublier, le sang est mémoire ! Oui ! Le sang est mémoire !
Les liens de la route sont le sang et le sang est mémoire, les rencontres sont âge et savoir, car le sang est mémoire ! Saurais-je vaincre ? En suis-je capable ? Le veux-je vraiment ?
Je me battrai, j’en suis certaine :
Car je pleure !
Et je m’assieds, la tête en entre les mains, je m’effondre, je succombe !
Si rien n’est vérité, tout est-il mensonge ?
…
Je pleure
Que vienne l’heure, mon sang bouillonne, soudain douleur, puis après peur et la mort rôde…
Arrêt.
Je me réfugie au fin fond de mon esprit pour sombrer, en paix. Une bulle où rien ne m’atteint. Un espace-temps où mon corps ne souffre plus. Où je n’ai plus à survivre, ni à vivre. Où je peux juste rêver.
Rêver d’un monde où mon père serait en vie, où je pourrais aimer sans craindre de perdre, où mon frère et ma sœur seraient réunis, où mon royaume serait ma vie…
Rêver d’un monde qui n’existera plus.
Qui n’a jamais existé, je le sais maintenant. J’ai idéalisé mon enfance.
Mais je n’ai plus de regrets, je ne souffre plus, soudain je vois : demain ne sera pas. Aujourd’hui sera le dernier. Hier n’est à rejoindre. Seul compte mon souffle qui diminue, mon pouls que je ne sais presque plus. Seul compte mon corps qui part en fumée et mon esprit qui s’élève, loin, très loin, très haut. Mon âme qui cède. J’étais un. Je suis trois.
Je pleure.
C’est dur. Moi je suis libérée, et mon corps reste à terre, les larmes coulent toujours sur mes joues pâles. Je vis. C’est surement ça le pire. D’en haut, on voit mieux l’horizon. On voit qu’il n’est pas plus beau qu’aujourd’hui. C’est quand on se détache qu’on prend le plus conscience de nos espoirs vains.
Un dernier tressautement. Ca y est.
Mes atomes vont se dissoudre dans le lointain, mon âme retournera au Château et je serai enfin libre.
Je suis morte.
– Non !
Qui ose me retenir ? Je ne suis qu’esprit et pourtant je sens se poigne sur moi, sa poigne qui m’empêche de partir. Il n’est pas vraiment là. Je ne le vois pas, mais je le sens. Et j’ai peur. Je le déteste, aussi. Je me sentais… si bien. Et lui me redonne ma haine et ma colère. J’avais réussi un deuil de la vie, je leur avais pardonné, à tous, je ne ressentais plus rien qui puisse me retenir. J’avais accepté. Ou je croyais. Mais il m’a mis en face de ma souffrance et déjà je m’apitoie sur moi. Je ne me rappelle déjà plus le néant. J’oublie le bien-être.
Seul me reste le goût amère sur mes lèvres. Seule me reste ma déception.
Je le hais.
Mais c’est moi-même que je hais. Je croyais me montrer plus forte que le destin et pourtant, j’abandonnais. J’ai cru pouvoir vaincre les souvenirs, je les ai juste camouflés.
Mes larmes sont des gouttes de pluie acides qui dévorent mon cœur.
Je finirai un jour de pleurer. Pas aujourd’hui.
– Ta sœur t’attend.
La voix qui m’a sauvé.
– Tu veux que je te remercie ?
– … Non, pourquoi ?
– Tu m’as « sauvée ». Je devrais t’en être reconnaissante, peut-être ?
Je suis ironique et mon corps suinte de rage. C’est trop dur de savoir qu’on est soi-même coupable. Trop dur de savoir que la vie a raison. On cherche tous des coupables. Tous…
– Non, bien sûr que non ! Je ne cherche pas de la reconnaisse ! Je veux juste… Ta sœur est de l’autre côté de cette porte.
Elle me montre la seule qui n’est pas marquée d’une croix. Une porte en pierre, vraiment rassurant…
– Je ne te crois pas. Que veux-tu en échange ?
Je m’obstine. Je sais que je ne devrais pas et pourtant !
– Rien ! Rien du tout !
Mais sa réponse me laisse le goût douloureux du doute dans la bouche. Cette voix cache un secret qu’elle ne me dira pas. Dommage pour Vérité Intégrité, qui vient de perdre un fidèle…
– Arrête !
De quoi se mêle-t-elle, cette intruse à ma mort ? Je souffre, alors autant qu’elle aussi. Qu’elle paye. Elle m’a enlevé des mains la drogue et l’anesthésiant. Elle a achevé de me tuer, et bien moi que ce que je m’étais efforcé de faire.
Qu’elle pleure.
– De quoi ?
Me voilà, langue sifflante et yeux en colère…
– Arrête d’ironiser sur ta situation comme si tu arrivais à prendre du recul. Arrête de te juger supérieure aux événements, à la vie, au Destin ! Arrête de croire que rien ne t’atteint. Voilà peut-être ce que je te demande comme remerciements.
J’entends clairement son sourire derrière ses dernières paroles. Je vois ses mots entrer en moi et me saisir. Je les sens m’étreindre et m’emporter, comme un butin de choix qu’on se partage. Je suis exclue de moi-même par le phénomène. Je m’en sens étrangère.
– Arrête d’être en colère. Arrête d’haïr !
Soudain j’imagine ses yeux bleus bouillant de détermination et, comble suprême, je prends peur.
– Tremble de peur et ressaisis-toi ! Arrête simplement de croire que le monde est contre toi. Il y a quelque part quelqu’un qui t’aime plus que toi-même !
– Alors il sera emporté dans la spirale infernale du malheur avec moi ! Je préfère lui épargner cette peine.
Cette fois je me détourne du centre de la pièce, essuyant rageusement mes larmes. Je sens que dans mon dos, la voix me regarde, mais alors ? J’en ai juste… assez. Oui, assez. Soudain je ne me sens plus vraiment en colère, je n’ai plus peur, oui je suis juste las et fatiguée. Je ne veux plus qu’une chose : retrouver ma sœur et nous mettre en sécurité, dans un endroit où nous pourrions vivre à l’éternité. Rechercher maman et Rehane pour qu’ils nous rejoignent, eux aussi… J’en ai assez des aventures, des combats, des alliés et des ennemis, des trahisons… J’aimerai juste être tranquille, toute ma vie. Je comprends enfin !
– Alors va ! Derrière la porte, ta sœur, et le bonheur.
Soudain, la présence de la voix disparait, aussi furtivement qu’elle était apparue. Je reste seule, encore une fois.
Je n’ai plus vraiment le choix, non ?
– Non…
Juste un murmure, peut-être rêvé, mais qui me donne confiance.
J’ouvre la porte.
Autrice : Shvimwa, sous le pseudo « Shvimwa »