Éléa, Rehane et Shvimwa
Je me suis réveillée dans ce camp et déjà je panique. Où suis-je ? Et qui sont ces gens ? Tant de questions auxquelles je préfèrerai ne pas avoir de réponses… Je ne suis pas ligotée ou prisonnière, non, mes mouvements sont libres. Je me relève avec difficulté et j’observe autour de moi.
Un feu magnifique, qui monte haut dans le ciel, éclaire très bien la scène. De petits êtres étranges, et ma mémoire qui me revient me souffle leur noms, des Gobelins. Petits, oui mais vieux comme l’éternité : une peau fripée, celle des Anciens et les yeux légèrement pleurnichard de ceux qui ont vus le monde mourir avant eux. Des oreilles pointus et des pupilles de chats, verts comme leur peau, complètent leur apparence difforme. Ce sont des guerriers qui n’aiment pas se battre, las et fatigués, des ripailleurs qui ne boivent jamais, des fêtards qui se couchent tôt. Ce sont les travailleurs cachés, ceux qui œuvrent dans l’ombre, mais sans qui nous ne sommes rien. Je comprends alors que j’ai devant mes yeux les fameux Résistants, et je sais alors les pourquoi des parce que. Ils sont tristes de la misère des peuples qui les obligea à prendre les armes, tristes de ne plus être que pour survivre au Mal.
Je souffre avec eux.
Mais je me questionne toujours sur ma présence ici.
Peut-être sont-ils mes alliés… Je m’approche alors du feu qui illumine quelques baraquements insalubres et l’un deux s’approche de moi, menaçant :
– Que faites-vous ici ?
Je n’en sais pas plus que toi, mon ami !
– Je n’en sais rien, Monsieur… ?
– Grül Frën de la Horde Sauvage. Et vous ?
Je vois alors qu’une dizaine de guerriers se sont approchés et nous encercle.
– Je me nomme Éléa, Reine de Shvimwaïa. C’est le Père qui m’envoie et…
Ils ont soudain un mouvement de recul et la même rumeur court sur toutes les lèvres : « le Père !? ». Je ne pensais pas que son influence s’étende jusqu’ici !
– Bienvenue alors, Dame Éléa. Nous sommes ravis…
Et le regard menaçant qu’il lance sur ses troupes me paralyse.
– Oui, ravis d’accueillir dans notre humble campement la Fille en personne ! Je vais vous emmener à la Loge pour y attendre notre Chef.
Il a prononcé ces mots avec tant de dévotion et d’admiration que je comprends que ce chef doit être aimé de son peuple. Mais Frën n’a-t-il pas dit être le Grül de sa Horde ?
– Frën de Sauvage, n’êtes-vous pas le Grül de votre peuple ?
– Oh, si, madame, mais…
Il est surpris, déçu et admiratif à la fois. Je saisis aussi que j’ai grandi dans son estime par mes connaissances et qu’il ne doute plus de ma légitimité. Mais pourquoi cette tristesse sourde et latente qui emplit ses mots à l’évocation de ce chef ?
– Notre Chef n’est pas un Gobelin…
– Oh, je vois.
Un non-Gobelin à la tête d’une des Horde les plus importantes ? Du jamais vu !
– Et…
Le malaise est persistant, désormais, entre nous. Comment le dissiper ?
– Et, comment se nomme-t-il ?
– Rehane, ma Dame.
– Rehane !?
… Il existe vraiment ? Et il est là ? Tout près de moi ? Celui qui détient les réponses à mes questions, celui qui connait le secret de mon mari ? Celui qui sait ce qu’être la Fille veut dire, et qui connait la prophétie ?
– Pourquoi, vous le connaissez, ma Dame ?
Tout en me conduisant vers une tente imposante, il me questionne, et il se fait soudain plus suspicieux et méfiant.
– Non, pas vraiment. Mon mari… Mon mari l’a rencontré il y a longtemps et cet homme sait le secret que cache notre famille.
– Oh !
Nous entrons dans la tente, et je m’installe sur une banquette pour attendre.
Le temps passe si lentement… Mes paupières se font lourdes, mon souffle ralentit et je plonge petit à petit dans un profond sommeil.
Nous arrivons tous les deux dans un désert total. Je me demande si Rehane s’est moqué de moi, ne devrait-il pas y avoir son « Peuple », ici ? Pourtant le noir d’encre pesant, le silence et le vide ne me pousse pas à le croire. Il me rejoint.
– Rehane, où sont-ils ?
– Tu… Tu penses que j’ai menti ? Qu’il n’y a rien, ici ? Tu penses peut-être que c’est un piège ?
Il se retourne, sourire désabusé aux lèvres et désigne la pièce entière.
– Non. Je veux te faire confiance. Mais… Pourquoi ?
Oui, pourquoi le silence, pourquoi la nuit, pourquoi l’absence ?
– Le campement est protégé contre les… indésirables
– Ah, merci !
Je suis un indésirable ? Grande nouvelle, dîtes-moi ! Enfin…
– Ä s’lìch màtaï, fürgo pòtzÿ !
Pendant son incantation, Rehane a tracé un cercle dans le sable noir et soudain, rires et lumières jaillissent du sol. Les cris de joie et les acclamations nous accompagnent tandis que mon compagnon me désigne le campement.
– Voici le Poste d’Avant-Garde de la Horde Sauvage, 5e Légion de la Résistance !
A son ton, on devine qu’il n’a qu’une seule envie, se mettre au garde à vous puis aboyer des ordres à la façon d’un général…C’est risible, mais ça me fait rire, et juste pour ça je le remercie.
Nous nous avançons au milieu des… Gobelins vers un baraquement plus ouvragé que les autres. J’entrouvre le tissu qui fait office de porte et je la vois…
Rehane bondit, en me repoussant, jusqu’à la femme qui, dos à nous, tisse sur un métier coloré, dans un coin peu lumineux de la tente.
– Qui êtes-vous ?
Son ton menaçant fait sursauter la femme qui se retourne lentement, maîtresse d’elle-même et de ses émotions.
– Rehane ? Est-ce vous ?
– Oh… Vous êtes la Fille, n’est-ce pas ? Et comment savez-vous mon nom, Dame…
– Éléa, Reine de Shvimwaïa. Je suis… j’étais la femme d’Astroght.
Il se tourne vers moi, plein de joie.
– Avance.
Je m’approche de ma mère.
– Maman !
– Quoi ?
– C’est moi, ta fille, Shvimwa !
– Shvimwa…
Soudain une explosion nous projette chacun aux coins de la pièce. Rehane se relève vivement et déplace un lourd coffre en cèdre, dévoilant un passage secret. Nous nous y engouffrons, Rehane fermant la marche.
Autrice : Shvimwa, sous le pseudo « Shvimwa »