Ou la pièce où je faillis devenir vapeur
La chaleur humide de cette nouvelle pièce me prit à la gorge en quelques secondes. L’air était trouble, la vapeur envahissait l’espace. Je sentis ma peau devenir moite. Le carrelage sous mes pieds était chaud.
– Fermez la porte… fermez la porte !
Des voix s’élevèrent sans que j’arrive à distinguer d’où elles venaient.
– Fermez la porte… la porte… fermer la… fermer… la porte…
Elles semblaient étrangement distordues, comme désincarnées. Au fur et à mesure, elles devinrent pressantes, voir suppliantes.
– La porte… Fermer la porte.
Je finis par pousser le battant. Aussitôt, je sentis un sentiment de soulagement. Est-ce par les soupirs, le relâchement de la tension ambiante ou juste une sensation qui se dégageait de la vapeur ? Je ne savais pas trop quoi en penser.
La vapeur s’épaissit. Je distinguai à peine les contours d’Edel qui n’était qu’à un petit mètre de moi.
– Bienvenus au Sauna… m’accueillirent un chœur de voix, bienvenus au Sauna. Reposez-vous, oubliez vos soucis, élevez-vous. Bienvenus au Sauna…
Ces voix me mettaient mal à l’aise, sans que je n’arrivai à dire pourquoi.
J’entrepris d’avancer prudemment.
Aucun piège ou autre mauvaise surprise ne surgit et je commençai à me détendre. J’entendais toujours les voix, cependant, elles semblaient prises dans des conversations légères et amicales.
Je traversai plusieurs alcôves – du moins, ce que je supposais en être, au vu des variations de couleurs du carrelage – sans croiser quelqu’un. Je ne voyais que des silhouettes fantomatiques qui semblaient se dissiper quand j’approchai. Je ne stressais pas pour autant, étonnamment. Je me sentais au contraire… détendue. Plus détendue et légère que ce que j’avais été depuis longtemps.
Et si, pour une fois, j’avais le droit à un peu de calme ?
Je m’assis sur un des rebords et basculai la tête en arrière pour l’appuyer contre le carrelage. Edel semblait s’amuser avec la vapeur comme un enfant sur un matelas. Il finit par s’étendre sur le dos. Sa lumière pulsait tranquillement. Je fermai les yeux.
J’étais bien.
Les voix gagnèrent progressivement en consistance alors que je sombrais dans le sommeil.
– Et là, Paula m’a dit « Hé bin, mon gros Roger » – Est-ce que je suis gros, hein ? P’têtre un peu imposant, mais gros ? Enfin, bref, elle disait – « Hé bin, mon gros Roger, tu t’es fait avoir comme un petit bleu ! Ça t’apprendra à chatouiller un Chat Brillant sans vérifier s’il est déchargé ! ». Elle en a de bonnes, elle !
– En même temps, Roger, elle a un peu raison, ta Paula. T’es gros !
– Ho, Zoélit, tu sais que sa bedaine est un sujet sensible.
– … Et t’aurais dû vérifier le Chat avant de le chatouiller, aussi !
– Mais je vous disais qu’il était abîmé ! On ne pouvait pas voir son niveau de charge !
J’émergeai difficilement du sommeil. Les voix sonnaient réelles à mes oreilles. Elles avaient perdues leur caractère désincarné.
– Ho, la belle au bois dormant se réveille ! Annonça celui nommé Zoélit. Bienvenu parmi nous, jeune demoiselle.
J’ouvris difficilement des yeux. À côté de moi, trois hommes me regardaient en souriant.
– Bienvenue au Sauna, annonça le plus près de moi, Zoélit.
Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous, fit le deuxième. Je m’appelle Hector, voici Zoélit et Roger. Et vous ?
– Adélaïsérika.
– Et bien, ça, c’est un prénom ! Rit Zoélit. Bienvenue à Adélaïsérika !
– Adélaïsérika ! Adélaïsérika !
Ses camarades commencèrent à scander mon nom, et à eux se joignirent d’autres qui affluèrent vers notre banc.
– Adélaïsérika ! Adélaïsérika ! Adélaïsérika !
Une foule s’agglutina autour de moi.
J’étais surprise de ne pas les avoir vu avant. Comment avais-je pu passer à côté d’eux sans les apercevoir ?
Ce fut alors que je pris conscience de plusieurs choses.
De un, je voyais beaucoup plus clairement que précédemment.
De deux, la chaleur et l’humidité m’affectaient beaucoup moi. Ou plutôt, j’en tirais de la force plutôt que de l’inconfort.
Et de trois :
– Edel ? Où est Edel ?
– Edel, qui est Edel ? demanda Zoélit.
– Adélaïsérika ! Qu’est-ce que tu fais ici ?
Je me retrouvais face à un homme âgé, les cheveux blanc formant une couronne sur sa tête et ses yeux bleu nuit délavés…
– Lois ? murmurai-je.
– Adélaïsérika !
– Mais qu’est-ce que…
– Je vais t’expliquer, je vais t’expliquer, dit-il d’un ton calme avant d’ordonner : allez, tout le monde, circuler, il n’y a rien à voir !
– T’es pas drôle, vieil homme, marmonna Zoélit en s’éloignant avec le reste de la foule.
– Alors Lois ? Tu n’es plus au laboratoire ? Et… tu m’excuseras, mais tu es…
– Plus vieux ? Oui. Ça m’a surpris de te voir aussi jeune. Avec le temps qui s’est passé…
– Mais ça doit faire une semaine…
– Pour toi, peut-être. Pour moi, ça fait plus de cinq cents ans.
– Cinq cents… m’étouffai-je.
– Oui. Après que tu sois partie, Frekadel a pété un câble, si bien qu’il a été… limogé. Le temps est passé, je suis devenu chef de section, puis responsable. Et un jour, je devais avoir trente ans, je suis parti. Comme ça, sur un coup de tête. J’ai passé la porte. Et alors… j’ai visité. Et puis, je suis arrivé ici. Dans ce Sauna, il y a environ quatre cent vingt ans.
– Quatre… quoi ?
– Ce Sauna, Adélaïsérika, il te pompe ton énergie vitale. Il te transforme en fantôme. En spectre. En fumée. Si je peux te parler maintenant, si tu peux me voir – nous voir, c’est que le processus a commencé. C’est trop tard pour moi, je suis définitivement assimilé. Mais pour toi, il est encore temps. Il faut que tu partes. Avec Edel. Maintenant.
– Edel ?
– Il va bien, ne t’inquiète pas. Il est déjà « inconsistant », l’effet du Sauna est moins fort sur lui. Je l’ai emmené vers une lampe. Mais il ne faut pas traîner. Suis-moi.
Il se leva et je le suivi. On arriva dans un espace particulièrement éclairé. Une coupole apportait de la lumière extérieure qui se déversait sur les carreaux blancs. Et, flottant paresseusement, Edel.
– Edel !
Mon petit bonhomme de lumière ouvrit les yeux et sautilla joyeusement.
– Salut Edel, fit Lois. Bon, suivez-moi. La porte n’est pas loin.
On le suivit, traversant plusieurs alcôves, saluant rapidement leurs occupants en passant. Mon cœur battait fort. Je ne voulais pas finir assimilée à cette vapeur, à ce Sauna. Je voulais sortir.
Je voulais sortir.
Au fur et à mesure, la vapeur s’épaissit et les voix s’altérèrent. Lorsqu’on arrive devant une porte, Lois me paraissait flou.
– Au revoir, Alédaïsérika. Au revoir Edel.
Il ouvrit la porte. On la passa avec Edel quand un détail me revint en tête :
– Tu peux voir Edel, maintenant ?
Il sourit.
– Mais… comment ?
Il me fit un clin d’oeil avant d’ajouter :
– Spoilers !
Il ne me laissa pas le temps de répondre et ferma la porte.
Auteur : Ailes d’Ange (Aile 1) sous le pseudo « AngeLune »