Enfant des mers as Enfant des mers
La porte était, heureusement, ouverte. Nous la refermèrent avec soulagement. Sauf que… La pièce dans laquelle j’étais était tout SAUF accueillante. Premièrement, nous firent un pas et Paf ! Tous mes compagnons tombèrent dans un ravin (j’entendis pas mal de piaillements et de hurlements mais à part ça ça avait l’air d’aller. Et ils durent décider de se séparer parce que je n’entendis pas de cris « À l’aide ! Viens nous aidez !» mais plutôt « Ok, a + ! On se rejoint plus tard »). Deuxièmement, les murs étaient rouge de sang, et des cranes pendaient au plafond. Un tas d’os avait été jeté au centre de la pièce, sur un parquet vieux et usé, et l’on devinait sans peine qu’ils étaient humains. Une odeur nauséabonde m’assaillit, et je fronçais le nez. C’était dégoutant. Mais jusque-là, ça allait encore. Ce fut quand mes yeux se posèrent sur une petite forme recroquevillée dans un coin que tout vira à l’inconcevable. Je m’approchais, et je vis avec étonnement qu’elle respirait. Il me tournait le dos, et je pouvais voir ses omoplates tellement il était maigre. Ses bras étaient recouverts de longues griffures entourées de sang séché qui avaient à peine finis de cicatriser. Aussitôt, la compassion m’envahit, suivit de près par une fureur incontrôlable. Je voulais dégommer celui qui était responsable de ses cicatrices, celui qui avait pût faire souffrir un gamin, surtout aussi mal nourri. Je voulu le prendre dans mes bras, par pur instinct maternel (va savoir) mais dès que je toucha sa peau, une onde de choc se propagea dans tout mon corps. Je fis un bond en arrière, surprise. Le petit être était entouré d’une aura grise parcourue de fins filament jaunâtres, un peu comme si elle était électrifiée. Ses épaules furent traversées d’un tremblement léger. Il se retourna, et ses yeux pales me remplirent de chagrin. C’était des yeux trop vieux pour son âge, les yeux d’un enfant qui avait survécut là où tant d’autres était mort, mais en perdant une part de lui, les yeux d’un enfant qui avait abandonné toute gaité, qui avait perdu son insouciance d’antan. Les yeux d’un gamin innocent qui s’était retrouvé dans un monde trop grand pour lui.
– Qui a pu te faire ça ? Qui ?
Un sourire triste et fatigué se dessina sur ses lèvres. Quand il parla, sa voix était saccadée ; il avait du mal à prononcer les mots. Il avait dû rester muet pendant très longtemps.
–Tu ne veux pas savoir, crois-moi. Je sais ce que tu veux faire, mais ça ne servirait à rien. Personne ne peut rien contre lui.
–Mais… Pourquoi ?
–Je le connais sous un autre nom que le
Château, mais c’est lui. Pour moi, il est tout autre chose, il… Il est…
Le gamin fit une pause. Il cherchait ses mots, et je me mis à redouter ce qui allait suivre. Qu’est-ce que le Château avait à voir là-dedans ?
–Il est mon père.
–…
Mon cerveau fut réduit au silence pendant une bonne minute. Ok. Problème. Le Château a… un fils ? J’ai du mal à y croire. Et son fils est ce petit garçon ? Un garçon d’à peine huit ans, maltraité et mal nourri ? Je le savais cruel, mais pas au point de torturer son propre enfant.
–C’est un monstre. Aucun être vivant ne pourrait faire cela.
–Il n’est pas vivant. Ni mort.
– Tu veux dire que c’est un mort-vivant ?
–Non, pas vraiment. Je ne sais pas trop ce qu’il est. Il est immortel, en quelque sorte.
–Immortel ? Mais…
–Oui, oui, je sais, vous aurez du mal à le tuer. Mais il s’est fait tellement d’ennemis qu’un beau jour, l’un d’entre sera peut-être assez intelligent pour trouver son talon d’Achilles. Mais… Le jour où vous le trouverez… (il planta ses yeux dans les miens) Faîtes-le vite, d’accord ? Il me fait mal, mais c’est quand même mon père. Et puis, je le prends du côté positif : à la fin, grâce à lui, je serais comme le héros de Vipère au poing, plus rien ne pourra me faire mal.
–Tu l’aimes ?
–L’aimer ? Je ne pense pas, non. Mais je ne veux pas voir quelqu’un souffrir comme il m’a fait souffrir, même lui.
Mon regard se reporta sur ses plaies, et je culpabilisai. J’avais complètement oublié ! J’étais tellement concentré sur ce qu’il me racontait que j’en avais oublié la première raison que j’étais là. Je fouillai dans mon sac pour des pansements et de l’eau, mais il m’arrêta :
–Non ! L’enveloppe qui m’entoure envoie un choc électrique à quiconque essaye de me toucher, sauf pour lui.
–Je peux endurer un électrochoc, tu sais. J’ai
vu pire.
–Je sais. Mais je ne veux pas que quelqu’un souffre par ma faute. Et… Aïe !
Sous mes yeux paralysés, il se tordit de douleur, hurlant comme un possédé, les larmes roulant sur ses joues. Cela dura à peine quelques secondes, et je ne pus m’empêcher de le prendre dans mes bras, faisant fi des électrochocs. Je le serrais contre moi, son petit cœur battant à tout rompre contre ma poitrine. Il se débattit, criant, donnant des coups. Alors je le serrais encore plus fort. Et peu à peu, il sa calma. Il se laissa aller et posa sa tête sur mon épaule. Les larmes coulèrent à flot pendant si longtemps que je ne sais pas si je restai là des heures ou bien des jours.
–Ça va mieux ?
Il souleva sa tête de mon épaule et me regarda. Il me répondit par un sourire tremblotant. Et il reposa sa tête contre mon cou. Je passais ma main dans ses cheveux et il resta là, sans bouger.
Plus tard, bien plus tard, je me rendis compte que je m’étais endormie, et que quelque part pendant mon sommeil, il était parti, emportant avec lui bandages et désinfectants. Tant mieux, il en aura sûrement besoin. Mais j’aurais tant voulu pouvoir l’aider que j’étais un peu déçue qu’il soit parti sans rien dire.
Et j’aurais bien aimé savoir son prénom, aussi.
Je cherchai une porte du regard et en trouvai une en face de moi. Bizarre… Je ne me rappelle pas l’avoir vu. Je jetais un dernier coup d’œil à cette pièce macabre et m’en allai.