La Chatte qui Pêche as Poussière d’Étoile
Nous étions tous extrêmement confus par l’étrange pièce que nous venions de visiter. Dès que j’essayais de penser à ce qui nous était arrivé, la tête me pulsait douloureusement. Aussi espérais-je que cette nouvelle pièce allait nous permettre de reprendre nos esprits. Pendant un bref moment, je crus que mon souhait avait était exaucé. Nous nous trouvions dans une petite pièce vide, aux murs peints en blanc, en apparence tout ce qu’il y a de plus tranquille. Avec un sourire, je me tournai vers mes compagnons.
« Vous avez vu? On va finalement pouvoir nous repos… » Je ne finis pas ma phrase. Devant mes yeux ébahis, la pièce avait commencé à tournoyer. Je tombai à terre en même temps qu’une nouvelle vision s’imprimait sur ma rétine.
Une forêt tropicale, verte et luxuriante, s’étendait à perte de vue. Des immenses gratte-ciels transparents émergeaient de la végétation, comme s’ils faisaient eux-mêmes partie de la forêt. C’était un spectacle fascinant. Tout à coup, un nuage de bêtes volantes arriva de je ne sais où et s’approcha des édifices. Ce n’étaient pas des oiseaux, non, ils étaient beaucoup trop grands, et avaient un air reptilien… Des ptérodactyles! Horrifiée, je les vis fracasser le verre des gratte-ciels, et s’enfuir avec quelque chose dans les mâchoires…
La vision changea à nouveau. Cette fois, je vis une époque que je connaissais pour l’avoir étudiée: c’était sans aucun doute le 17ème siècle. Dans un salon élégant et massivement décoré, des dames et cavaliers en habits de cour s’entretenaient ou dansaient à la lumière de mille chandeliers. Pourtant, il y avait quelque chose d’étrange dans cette scène… je ne mis pas longtemps pour savoir quoi: un page avait allumé un gigantesque écran au plasma qui occupait presque tout un mur. Aussitôt, les gens s’approchèrent, à l’exception de quelques dames qui contrôlèrent l’écran de leur téléphone portable avant de se joindre à la compagnie. Qu’est-ce que c’étaient que ces anachronismes?
Mais déjà mes yeux avaient quitté le salon pour contempler une étendue de glace, où soufflait un blizzard qui recouvrait de neige quelques petites huttes perdues dans ce désert. A juger des outils de chasse entreposés dehors, c’étaient des hommes de Cro-Magnon qui les habitaient… Mais alors, que faisait une motoneige là à côté? Et ce drôle d’engin qui ressemblait beaucoup à une…soucoupe volante?
Tout à coup, je fus à nouveau dans la petite pièce blanche. Sauf qu’elle n’était plus totalement blanche. Il y avait des chiffres inscrits sur une des parois. Après m’être assurée que mes compagnons allaient bien, à part leur regard hébété, je me levai avec un peu de difficulté et allai voir de plus près ces écritures. On aurait dit qu’elles indiquaient des dates: il y avait par exemple -12000, 1600, 2000, 2200, 2500… Mais certaines étaient superposées ou n’étaient pas dans le bon ordre chronologique. Et si c’était la cause des visions d’anachronismes? J’appelai Esprit et Om, qui se trouvèrent d’accord avec mon hypothèse.
« Peut-être qu’on doit mettre ces dates dans le bon ordre » suggéra Esprit. « On dirait une sorte d’énigme à dépasser… »
« D’autant plus qu’il n’y a pas de porte pour sortir d’ici » renchérit Om.
Nous commençâmes donc à effacer avec un chiffon mouillé les dates, et les réécrivîmes ordonnées avec un crayon. Quand nous terminâmes, pendant quelques instants tout demeura immobile, puis les chiffres furent comme absorbés par la paroi et deux portes apparurent simultanément, chacune d’un côté opposé de la pièce. Pour choisir, comme c’était devenu une habitude, Esprit prit le miroir d’Amélie. Le visage de la jeune fille semblait terrifié, mais elle nous indiqua tout de même la porte la plus éloignée. Nous allions l’emprunter, quand je glissai presque sur une fine enveloppe posée par terre.
« Tiens, une lettre! » je dis étonnée. Je tournai l’enveloppe avec quelques difficultés, étant donné qu’elle était aussi grande que moi, et lus ces mots sur son dos: « A l’attention de Caliorynthe, Esprit, Om et Ara » Intriguée, et vu que ma petite voix n’est pas appropriée dans ces circonstances, je demandai à Esprit si elle pouvait nous la lire.
Mon amie prit la feuille que je lui tendais, s’éclaircit la gorge et commença, avec un ton qui trahissait sa stupeur: « Mes chers aventuriers, si vous trouvez cette lettre, c’est que je ne suis plus de ce monde, ou que je ne suis plus capable de vous prévenir des dangers que vous encourez. Je sais que le temps est précieux dans votre exploration, aussi vais-je raccourcir le plus possible mon explication. Je pense que vous vous doutez que le Château va vous compliquer la route pour la tourelle d’Emérence, car nul ne sait ce qui peut arriver une fois que vous l’aurez rejointe. Cependant, si vous êtes dans cette pièce, c’est qu’un autre danger est plus proche de ce que vous imaginez. Vous avez peut-être remarqué que votre exploration a dernièrement été plus étrange… Vous avez sans doute passé des pièces truffées d’incidents liés au temps… »
Bien sûr! Le café où tout était âgé de siècles, puis la pièce où le temps ne s’écoulait pas normalement… Et à présent celle-ci… Si je ne me trompais pas en pensant que la lettre venait de la bûche conteuse, je me doutais de ce qui allait suivre. Un frisson parcourut mon dos.
« C’est que vous êtes à la frontière du territoire du Dominateur de l’Histoire du Château. Son influence se fait sentir à des pièces à la ronde. »
Le Dominateur de l’Histoire du Château! Ainsi j’avais vu juste. La bûche conteuse nous en avait parlé. Elle avait dit qu’il était incroyablement puissant, et que son pouvoir s’étendait même au-delà du temps… J’avais eu la sensation qu’il était craint du Château lui-même. Mais pourtant, notre amie avait dit qu’il ne pouvait pas nous nuire.
« Tant que vous vous gardez loin de lui, il ne vous causera pas de mal. Mais la route pour rejoindre ce qu’Esprit désire, et pour arriver à Emérence, passe au cœur de ses pièces… Et c’est une créature qui ne veut pas être dérangée. Je dis cela pour vous prévenir, non pour vous dissuader. N’importe soit le chemin que vous choisirez, bonne chance, aventuriers! Et c’est signé: La bûche conteuse, bien entendu. » conclut Esprit.
Qui d’autre pouvait si bien nous connaître et se préoccuper autant pour nous? Esprit tendit la lettre à Om, qui voulait l’examiner. Un long silence s’installa, où chacun essaya de mettre de l’ordre dans ses pensées. Ce fut Om qui le rompit le premier.
« Je n’ai pas l’intention de laisser des aventuriers se battre contre le Château, alors que nous ne sommes pas présents. De plus, comme indiquent la bûche et le miroir, c’est la route pour Amélie. Pour ma part, ma décision est prise: je continue, Dominateur ou pas Dominateur. »
J’acquiesçai. « Absolument. Un danger de plus, ce n’est rien! Pas vrai, Ara? » dis-je à la non plus petite araignée qui se précipita vers la porte pour manifester son accord.
Esprit ne dit rien mais sourit, et son sourire valait tous les mots du monde. Elle prit une grande inspiration et actionna la poignée de la porte.