Miss Lovegood as Miss Lovegood
Comme vous le savez sans doute, ces aventures dans le Château se sont déroulées il y a plus de soixante ans de cela. Néanmoins, je garde un souvenir précis de chaque pièce. Toutes… sauf une. Celle-ci.
Un jour, lorsque je cherchai la baguette magique dans le sac de mon amie Caliorynthe, j’ai remarqué un petit bout de papier. Je l’ai alors sorti et ai lu les inscriptions marquées dessus. Curieusement, celles-ci racontaient l’histoire d’une pièce, que j’avais apparemment visitée mais dont je ne gardais aucun souvenir. Je poursuivis donc ma lecture, fort étonné et compris pourquoi tous ces moments n’étaient pas inscrits dans ma mémoire.
Après avoir longuement réfléchis, je pense que cette pièce mérite de faire partie de mon petit carnet. Comme je ne peux pas vous en faire le récit moi-même, je vais tâcher de recopier soigneusement ce qu’a écrit Esprit –moi, en quelque sorte- sur cette fameuse feuille des années auparavant.
« Euh… bonjour… Bon, je m’appelle Esprit. Je suis arrivé dans une pièce un peu étrange, et j’aimerais m’en souvenir toute ma vie. Enfin, c’est un peu compliqué. Je vais tout vous raconter.
Nous étions désormais sous terre, et cette nouvelle pièce était en fait une gigantesque galerie de tunnels. Partout autour de nous, des gens poussaient des wagons remplis de morceaux de charbon. Certains accrochaient leur marchandise à un câble, et celui-ci les hissait vers le haut. Une véritable entreprise souterraine ! Cela ressemblait fortement à l’usine à pâtisserie que j’avais explorée il y a quelques mois. Ne sachant où aller, mes deux amis et moi nous dirigeâmes vers un monsieur qui poussait un wagon. Lorsque celui-ci nous aperçut, il poussa un cri de stupeur :
-Mais ?! Comment êtes-vous entrés ici ?
-On était dans un désert et il y avait un wagon, expliquai-je, on a trouvé ça un peu étrange, alors on l’a observé de plus près et on a remarqué qu’il contenait un double-fond. Du coup, on a sauté dedans et on a atterri ici.
Le monsieur sortit une pierre de sa poche, l’approcha de son oreille et dit :
-Oui, des inconnus ont réussi à entrer par l’issue A3… je les conduis immédiatement à vous, bien sûr… je ne sais pas… vous pensez que quelqu’un aurait utilisé cet entrée juste avant eux et qu’il aurait pu oublier de refermer l’accès ? Oui, c’est fort probable, je ne vois pas d’autres explication possible… j’arrive… merci, à tout de suite.
Il remit son caillou dans sa poche puis nous dit :
-Suivez-moi ! Je vais vous emmener dans le quartier du directeur !
-Mais, euh, monsieur… vous venez de téléphoner… dans une pierre ! m’exclamai-je
-Et alors ? Il n’y a pas de mal à cela. Y voyez-vous un inconvénient ? demanda-t-il
-Ça ne fonctionne pas, normalement. Un caillou ne peut pas appeler des gens.
-On peut tout faire, mon ami, il suffit juste de forcer un peu, voyez-vous.
-Je ne partage pas votre point de vue, monsieur, répondis-je, certaines choses sont totalement impossibles à réaliser.
-Que vous êtes naïf, mon cher ami, vous me faites penser à moi, avant que j’arrive dans ce laboratoire !
-Mais où sommes-nous exactement ? C’est une entreprise souterraine ?
-Je suis navré, mais mon rôle n’est pas d’expliquer aux visiteurs quel est cet endroit ! Et puis, je n’en ai pas l’autorisation. Le chef vous expliquera tout cela. A propos de chef, nous sommes arrivés chez lui.
Devant nous s’élevait une gigantesque porte noire, taillée dans la roche. Le monsieur l’ouvrit et nous entrâmes dans une immense caverne, éclairée par des torches enflammées. Le sol humide résonnait sous nos pas.
-Bonjour, dit un homme assis sur un banc de pierre situé au milieu de la pièce
-Bonjour… répondis-je
Il regarda mes deux compagnons mais ceux-ci ne lui adressèrent qu’un grand sourire. L’absence de parole était sans doute un effet secondaire de la maladie d’amour.
– Tes chers compagnons ne possèdent pas la capacité de parler ? me demanda-t-il
-Euh… pas vraiment.
-Écoutez, je vais faire court : vous n’avez absolument pas le droit de pénétrer dans mon domaine. Et bien évidemment, je ne vous laisserai pas sortir d’ici avec des informations sur notre activité.
-C’est-à-dire ? demandai-je
-Eh bien, lorsque vous partirez de cette pièce, vous ne vous souviendrez plus de rien, cette discussion vous sera totalement inconnue. En somme, vous aurez tout oublié sur cet endroit du Château.
-Mais… on ne peut pas effacer les souvenirs de quelqu’un, monsieur !
-Je vais te dire quelque chose de très important : dans la vie, on peut tout faire, en forçant un peu.
Tiens, l’autre monsieur m’avait déjà dit cette phrase tout à l’heure. Etait-ce une sorte de devise ? Cela m’intrigua grandement. Allaient-ils m’extirper mes pensées et mes souvenirs grâce à une machine ? Me les soustraire de force ? À vrai dire, je ne savais absolument pas quel était leur motif. Pourquoi n’avais-je pas le droit de pénétrer dans leur domaine ? Renfermait-il un secret ? Une vague de curiosité m’enveloppa tout entier. Je devais percer le mystère de cette pièce.
-Bien, vous allez donc être conduit dans une cellule et demain matin, votre mémoire vous sera ôtée. Vous partirez ensuite dans une autre pièce.
Avant même que j’ai le temps de répliquer quoi que ce soit, deux hommes s’approchèrent de moi, m’empoignèrent par le bras et, tous les trois, nous prîmes place dans un petit wagon, qui nous emmena jusqu’à ma cellule.
-Tiens, voilà te quoi manger, dit un des deux gardes en me tendant une miche de pain.
Je le remerciai puis entrai dans la prison. Le garde referma la grille derrière moi en déclarant :
-Il n’y a aucun moyen de sortir d’ici, bien entendu. Nous viendrons te chercher demain matin. Bonne nuit.
Je les regardai s’éloigner puis concentrai mon attention sur cette cellule : contrairement à la plupart des prisons présentes dans le Château, celle-ci n’était ni humide, ni sombre. Bien au contraire, il régnait une atmosphère chaleureuse et conviviale : la pièce était très lumineuse -bien que je ne vis aucun système d’éclairage- des coussins étaient disposés sur le sol recouvert d’une moquette bleue. Le seul détail négatif était le peu de nourriture. J’avalai mon morceau de pain en une bouchée, puis attendis en réfléchissant.
Voilà où je venais en venir : je suis persuadé que cette pièce renferme un mystère. Les habitants n’arrêtent pas de répéter la même phrase «on peut tout faire, en forçant un peu». De plus, ils n’admettent aucun étranger sur leur territoire. Tu as remarqué, ils m’ont tout de suite demandé d’où nous venions. D’ailleurs, où sont passés mes deux compagnons ? Je ne les avais pas vus depuis la discussion avec le chef. Tant de mystère à élucider ! C’est justement ce à quoi je pensais tout à l’heure -lorsque je mangeais mon bout de pain. J’ai essayé de trouver un moyen pour ne pas oublier tout cela, afin de pouvoir percer cette pièce énigme. Malheureusement, comme l’avait dit le garde, cette pièce ne possédait aucune issue. Et puis soudain, en regardant les jolis coussins oranges et verts, j’eus enfin une idée : écrire ! Il me suffisait juste de coucher ces aventures sur une feuille et de la glisser dans ma poche de fumée. Malheureusement, je ne possédais aucun papier. Je repensais alors à leur phrase «on peut tout faire, en forçant un peu». Oh, si seulement je pouvais « forcer un peu » afin qu’une feuille apparaisse ! C’est difficile à croire, mais c’est exactement ce qui se passa. Je vis un bloc de papier ainsi qu’un crayon posés à côté d’un des coussins. Immédiatement, je les pris
et commençai à rédiger mes aventures.
Voilà, tu sais tout maintenant. C’est étrange d’imaginer que toi et moi sommes sans doute la même personne… dans quelques minutes, je vais mettre cette feuille dans ma poche. Et toi qui es en train de lire ces mots, tu as dû trouver ce bout de papier dans cette fameuse poche… en tout cas Esprit, j’espère que tu crois à cette histoire, et que tu vas élucider ce mystère. Fais-le pour moi. Pour toi. Pour nous, car au fond, nous sommes un peu la même personne, non ?
Esprit.»
Voilà donc ce qu’a écrit Esprit -moi- sur cette petite feuille. Je suppose que le lendemain matin, les gardes sont venus et lui ont ôté sa mémoire, comme prévu. Comme il l’avait prédit, j’ai trouvé ce papier quelques temps plus tard. Caliorynthe et moi avons donc voulu résoudre ce mystère. Et, je peux vous le dire, nous détenons la clef de l’énigme. Mais, chut, je vous raconterai tout cela dans la pièce concernée !