le petit grand nain as Le petit grand nain (JBlogueur/Château)
« Réveille-toi… »
« La fin approche à grands pas. Ta fin. »
« Réveille-toi, je te dis ! »
« Ils arrivent… Tu dois être debout quand ils te trouveront. »
« … »
« Tu ne m’entends pas ? »
« Tu ne m’écoutes pas ? »
« Lève-toi ! »
« – Quoi ?
– « Quoi ? » Ça fait dix minutes que je t’appelle…
– Awitchakaën ?
– Lui-même. Je m’excuse de t’avoir momentanément laissé juste avant ta mort… Si tu étais mort avec moi en toi, je serais mort avec toi. J’ai rejoins momentanément Analayann, elle avait besoin d’apprendre certaines choses.
– Ah. Mais je te ferais remarquer qu’il est normal que tu t’excuses.
– …
– …attends. Tu as dit «ma mort». Tu l’as bien dit ?
– Oui. Tu es mort. Et tu vas aller au Purgatoire du Château d’ici peu de temps.
– Au Purgatoire ? Pour y faire quoi ?
– Souffrir. Le Château veut te voir souffrir.
– Ah. Euh… Ah. Il y a un autre moyen ?
– Oui. Tu vas te retrouver dans une salle d’attente, avec tous les morts récents du Château. Il va falloir que tu te débrouilles pour aller dans la file des alliés du Château. Ensuite, ton esprit sera entièrement libéré et tu pourras faire ce que bon te semble. Mais personne, pas même les serviteurs du Château les plus puissants, n’a jamais réussi à revenir du monde des morts. C’est donc sûrement là qu’intervient l’Elfe du temps.
– Qu’il intervient ou non… Ce fameux choix aura sans doute lieu à la salle d’attente, non ?
– Voilà.
– Bon. J’ai quoi à ma disposition ?
– …trop tard. Ils arrivent. Ne bouge surtout pas et fais mine de te réveiller quand ils te lèvent. Tu devras te débarrasser d’eux, autant jouer sur la surprise. »
J’obtempérai.
Les gardes qui devaient m’escorter étaient au nombre de quatre, quatre silhouettes décharnées qui étaient mortes, sans aucun doute. Des morts-vivants, pensai-je. En effet, quand l’un d’entre eux tendit la main pour m’attraper, je vis le squelette de sa main dépassant de sa manche. Au moment où sa main entra en contact avec ma peau, je me saisis de son poignet et tirai dessus vigoureusement. Sauf que ce qui arriva n’était pas du tout ce que j’avais prévu. Au lieu d’entraîner le squelette dans sa chute, la main se détacha. Je la regardai avec stupeur, et les quatre squelettes me regardèrent avec ce qui devait correspondre à de la stupeur chez un cadavre.
« BAS-TOI ! » me hurla le Démon des Rêves.
Je jetai la main dans le cou du deuxième squelette, qui se tordit un peu le bras en tentant de la retirer. Les trois autres n’hésitèrent plus et se précipitèrent sur moi.
Je sentis de l’énergie monter en moi, tandis que les trois cadavres animés m’empoignaient.
« Laisse tomber, déclara soudain Awitchakaën, changeant complètement d’avis. Je m’en charge. »
La déflagration fut assez faible en apparence. Les squelettes tombèrent instantanément en poussière, tandis que je m’effondrai à terre, hoquetant.
Au bout de quelques secondes, je pus à nouveau respirer normalement. Awitchakaën m’intima de me lever.
« Va où je te le dirais », me fit-il.
Le Démon me dirigea à travers le vide total dans lequel je me trouvais. Le sol était accidenté, recouvert de grandes dunes et de pics empêchant de voir à plus de quelques dizaines de mètres.
Une quinzaine de minutes suffirent pour que j’arrive là où voulait m’emmener Awitchakaën.
La salle n’avait pas de portes, pas de murs. Je m’installais sur une chaise, aux côtés d’une cinquantaine de créatures de tous âges et de toutes tailles. Mon attente débuta.
De temps à autre, quelques morts-vivants arrivaient en escortant un prisonnier, et l’installaient sur une chaise. Personne ne semblait nous surveiller, comme si nous pouvions partir à tout instant.
« Si tu pars, tu n’as nulle part où aller, et le Château s’est débrouillé pour que tant qu’il ne l’aie pas décidé, tu subisses ici les mêmes contraintes que dans le monde réel. Autrement dit, tu dois te nourrir, boire, te reposer. Tu n’as aucun moyen de fuir, il n’y a donc pas besoin de gardiens. »
« Est-ce notre chance ? », demandai-je.
« Non. Je te l’ai dit, tu n’as aucun moyen de fuir. Il faut être renvoyé dans le monde réel volontairement, ou alors… Ou alors l’Elfe du temps te sauvera. »
« Donc je dois essayer de me faire passer pour un des leurs ? »
« …impossible. Ils savent que tu es arrivé, ils savent à quoi tu ressembles, et peut-être que plusieurs de ceux qui s’occupent de gérer cet endroit t’ont déjà «vu», puisqu’ils assistent à certains évènements ayant lieu dans notre dimension. »
« Ah. Et je ne peux pas les combattre. »
« Tu n’as pas d’armes, et je serais impuissant contre eux. Tu dois simplement faire ce choix que t’a imposé l’Elfe pour qu’il te sauve. Je pense qu’on saura bientôt de quoi il s’agit. »
« J’espère… Les serviteurs du Château vont rapidement me reconnaître, non ? Il faudra une intervention rapide… »
« Ça va bientôt être ton tour, prépare-toi. »
Des squelettes revinrent pour intimer à mon voisin de se lever de sa chaise et de les suivre. Quelques minutes plus tard, d’autres vinrent me chercher.
Ils me firent passer sous un porche en pierre grossièrement taillée. Il y eut un grésillement dans l’air derrière moi après que je sois passé de l’autre côté, et la voix d’Awitchakaën retentit de nouveau dans ma tête :
« Évidemment… Je n’y avais pas tout de suite pensé mais le Château est quand même prudent. Maintenant que tu es ici, tu ne peux plus retourner de l’autre côté, et personne ne peut venir t’aider si il n’est pas escorté par les squelettes, je parie. Théoriquement, tu es tout seul. »
« Mais alors, ce choix ? »
« Nous verrons bien… »
Les cadavres me conduisirent dans une petite vallée entre deux excroissances du sol, où nous attendait un comité de morts-vivants en tout genre, ainsi que quelques créatures ailées au regard vide, que je ne réussis pas à identifier.
Ils m’observèrent tous attentivement, puis commencèrent à discuter entre eux. Il apparut rapidement que leurs opinions divergeaient. Je me demandai ce qui pouvaient ainsi les diviser, alors que normalement tout portait à croire qu’ils allaient immédiatement me condamner.
« Que se passe-t-il ? » interrogeai-je Awitchakaën.
« C’est étrange… » dit-il. « J’ai l’impression qu’ils savent qui tu es, mais ils semblent croire que… Oh, attends. »
Les examinateurs continuaient de parler comme si rien ne se passait, mais chaque élément de la salle se recouvrait l’un après l’autre d’un voile clair. Toutes les couleurs m’apparaissaient un peu différemment, et ceux qui décidaient de ma vie ou de ma mort ne s’en rendaient pas compte.
Soudain, tout se figea. Même moi. Je ne pouvais plus bouger, mais je pouvais clairement penser (sans doute plus clairement qu’à l’accoutumée, d’ailleurs) et entendre. Seuls mes yeux pouvaient encore bouger, et je constatai que j’étais le seul de la salle à avoir cette possibilité.
« Les autres sont totalement figés, confirma Awitchakaën. Tu es le seul être conscient dans cette salle. »
– Pas tout à fait, fit une voix profonde et grave, qui me fit sursauter.
L’Elfe du temps se trouvait en face de moi. Il fit un geste, et je sentis ma mâchoire se détendre. Je pouvais parler.
– Qu’est-ce que vous faites là ? lui demandai-je, bien que devinant la réponse.
– Je suis venu t’opposer au choix qui décidera ou non de ta survie.
– Oh, fis-je.
– Je vais t’expliquer. J’ai réussi à presque convaincre ces juges décidant de ton espérance immédiate de vie que tu étais des leurs depuis peu, que tu avais complètement viré de bord. Mais tous sont sceptiques, et certains refusent totalement d’y croire. Malgré tout, je leur ai apporté ce qui est censé constituer des preuves tangibles, mais ils n’acceptent toujours pas l’information. Ce qu’il va se passer, c’est qu’un de nos agents va être amené dans la salle, et ils ont convenus que tu devrais l’exécuter. Si tu le fais, je suis persuadé qu’ils croiront à mon histoire et te laisseront t’enfuir (ils feront une exception pour toi, ce qui est extrêmement rare : je leur ai prouvé que tu pouvais infiltrer nos rangs, ce qui est un atout incroyable dans la guerre que nous menons) tandis que comme toute personne tuée dans cette dimension, l’agent rejoindra les rangs ennemis sous forme d’esprit mineur, que si besoin je pourrais éliminer. Je te laisse deviner ce qui t’arrivera si tu ne le tues pas…
– Oh, répétai-je.
Il y eu un temps. L’Elfe semblait attendre une réaction.
– Cet agent… Je le connais ?
– Non, répondit-il. C’est un agent assez faible, mais très courageux et plein de bonne volonté. Mais il a fait échouer une mission importante, et a décidé d’en assumer les conséquences.
– D’accord…
L’Elfe regarda autour de lui.
– Bon, ce sera tout, conclut-il finalement. Tu vas revenir à la réalité en même temps que tous les autres.
L’Elfe disparut, et toutes les personnes présentes dans la salle se remirent à bouger et reprirent leurs discussions comme si de rien n’était. Je repris patience un instant, puis le silence s’installa. L’un des juges prit la parole, et commença à m’expliquer exactement la même chose que ce qu’avait dit l’Elfe du temps, persuadé de me faire une révélation exceptionnelle. Je jouai de mon mieux l’étonnement, tandis que mes anciens ennemis m’expliquaient en souriant et en me fixant de leurs yeux vides que j’allais sans doute pouvoir être accepté comme un des leurs si j’accomplissais cette dernière preuve de mon allégeance (visiblement, l’Elfe avait bel et bien fourni d’autres preuves). Ils firent entrer le prisonnier et un squelette vint m’apporter une boîte que je reconnus immédiatement : les instruments de ce genre étaient auparavant utilisés en masse dans certains peuples primitifs n’ayant pas les moyens d’acheter d’autres armes. La société qui les produisait les avait un beau jour tous fait exploser pour détruire toutes les civilisations en possédant et tenter de gouverner la moitié de la planète, ce qui avait été empêché par le manque d’efficacité des bombes intégrées aux boîtes. Ces boîtes étaient extrêmement pratiques, bien que peu esthétiques : elles se transformaient à volonté en tous les prototypes d’armes contenus dans leurs bases de données. L’arme la plus délicate de celles téléchargeables était un lance-grenade.
Je saisis la boîte, tandis que les gardiens squelettes retiraient son bandeau au prisonnier. Contrairement à ma première impression, ce n’était pas un humain normal mais un semi-ondin, ce qui signifiait concrètement qu’il avait des écailles sur le buste et que ses yeux étaient bleu nuit. Il était complètement ligoté et avait l’air somnolent, sans doute drogué par ses gardes. Il n’avait aucun moyen de se défendre, ni même de voir ce qui allait lui arriver. Cela allait sans doute me faciliter la tâche.
Le juge qui avait parlé me fit signe d’approcher, tandis que deux squelettes se rapprochaient du prisonnier avec des boîtes semblables à la mienne. J’observai l’écran de la mienne et fit défiler les choix qui m’étaient proposés.
Quatre armes seulement, toutes à faible portée. Une double hache de guerre, dans le genre de celles que j’utilisais habituellement ; une massive épée de fer, au fil orné de serpents mécaniques (empoisonnée, donc) ; une masse d’arme aux piques immenses ; et un câble. Un simple câble, au-dessous duquel était mentionné en petits caractères « jusqu’à 12 000 volts ».
Je m’approchais de l’ondin. Les squelettes le maintenaient immobiles, bien que la drogue qui lui avait été administrée semblait le maintenir totalement hors d’état de se battre. Je sélectionnai le câble, ce qui me paraissait la meilleure façon d’agir compte tenu des circonstances. Je n’avais pas besoin d’un cadavre plein de sang qu’il faudrait nettoyer, cela ferait perdre du temps à tout le monde et m’embêterait beaucoup.
Je décidai de jouer leur jeu jusqu’au bout, pour ne pas laisser place au doute :
– Réveillez-le. Je ne veux pas tuer un ennemi endormi, je me sentirais lâche. Je préfère qu’il voie sa mort venir.
Je sentis un sourire chez plusieurs des juges. L’un d’entre eux fit un geste aux squelettes, qui de toute façon n’avaient pas l’air de comprendre quand on leur parlait, et ceux-ci réveillèrent le prisonnier avec plus ou moins de délicatesse.
Il comprit rapidement où il était, et ce qui se passait. Il détourna le regard du mien, et se mit à fixer le sol.
– Fixe-moi, lui ordonnai-je. Fixe-moi et ne me lâche pas des yeux, ou je me débrouillerais pour que ta mort soit bien pire.
Il releva péniblement la tête.
– Alors, quel effet ça fait de se voir exécuter par un ancien allié ?
Il eut un spasme, sans doute dû à la drogue donnée par les morts-vivants.
Je rapprochai le câble, que je tenais à présent dans la main, de son visage.
– Tu vois quelle dose t’attend ? fis-je avec un demi-sourire.
Il eut un regard d’horreur en observant le nombre de volts choisi. Parfait. C’était la réaction qu’il me fallait pour être intégré parmi les rangs ennemis.
Je n’attendis pas plus. Je lui plantai les petits crochets de l’extrémité du câble dans la peau et laissai la décharge partir.
Au bout de quelques secondes, je retirai le câble.
C’était là que les choses devenaient réellement compliquées.
Je n’avais pas du tout infligé une dose de 12 000 volts à l’ondin, pas même de 1000 : je m’étais contenté de quelque chose de dérisoire, et l’ondin avait compris immédiatement et simulé une électrocution. A présent, c’était l’instant que je devais saisir : tous mes adversaires allaient momentanément relâcher leur attention, n’allaient pas tout de suite vérifier si l’ondin était bien mort, et surtout j’avais un allié potentiel que mes ennemis croyaient éliminé.
Je n’avais pas eu plus de quelques secondes pour élaborer mon plan, et il comptait encore beaucoup d’inconnues. Déjà, j’avais eu beaucoup de chance que l’ondin comprenne ce que je comptais faire. A présent, seuls mes talents de combattant allaient nous donner une chance de fuir. Je me demandai si j’aurais quand même le soutien de l’Elfe, qui semblait persuadé que la solution qu’il m’avait proposée était la bonne. Mais je n’avais tout simplement pas pu me résoudre à tuer l’ondin, pas par principe mais par peur de ma culpabilité.
Sur ma boîte, sans quitter des yeux le corps de l’ondin, je sélectionnai l’épée. Alors même qu’elle commençait à se transformer, je la projetai vers les deux squelettes tandis que l’ondin faisait basculer la chaise sur laquelle il était attaché au sol. Je broyai le thorax du premier cadavre, puis la tête du deuxième tandis que mon épée achevait de s’allonger. Dans l’élan de mon premier geste, je tranchai tous les liens de l’ondin, avant de jeter de toute la force qui m’était permise mon épée vers les juges. Quatre furent fauchés d’un coup.
Je me saisis d’une des deux boîtes que les squelettes détruits avaient laissé tomber, tandis que l’ondin s’emparait de la deuxième.
« Excellent, jubila Awitchakaën. Parfaitement négocié, tout cela. »
La porte de la salle s’ouvrit sur quelques autres squelettes qui se précipitèrent sur nous deux. L’ondin avait déjà une masse d’arme dans la main et détruisit tous nos adversaires en quelques coups. Je souris brièvement, avant de me tourner vers les juges.
Tous avaient disparu, sauf celui qui m’avait parlé en premier. Il souriait, en brandissant deux épées de bien meilleure facture que celles des boîtes.
Je pris une hache, après avoir constaté que la boîte des squelettes incluait aussi le choix d’un détonateur, ce qui m’inquiéta un peu.
Les autres squelettes ne possédant pas de boîte comme les nôtres, je cessai de me poser des questions et me précipitait vers le juge, tandis qu’il se précipitait vers moi. Il asséna le premier coup d’une épée, puis le deuxième, puis le troisième, tous dans le vide. Je tentai à mon tour de le frapper ; il retint ma hache à l’aide d’une de ses épées avant de l’envoyer derrière lui. Mon premier réflexe fut de lui mordre la main, et je profitai de son léger relâchement pour me saisir de son épée. Il eut un bref sourire et commença à frapper avec une violence que je ne croyais pas possible. Je parai son premier coup, le deuxième me mit à terre…
Le juge fut soudain pris de convulsions et s’effondra d’un coup. L’Elfe du temps venait d’apparaître au milieu de la salle, jetant encore plus nos ennemis dans la panique, et tuant d’un seul coup mon adversaire. Les squelettes commencèrent à refluer, tandis que les autres personnes attendant dans le hall s’ajoutaient à la mêlée, refusant d’accepter leur mort.
L’Elfe du temps me saisit et se précipita vers l’ondin.
– Tes juges ne vont pas tarder, me dit-il. Ce n’est pas le moment de participer à un combat que vous ne gagnerez pas.
Il se tourna vers moi.
– Tu as fait exactement le choix que l’on attendait de toi, et je t’en félicite.
J’eus l’impression de sentir Awitchakaën sourire en moi-même.
– On rentre, dit-il. Après cela je ne vous aiderait plus. Faire revenir une personne du Royaume des morts est déjà éprouvant, mais deux…
Le passage d’une dimension à l’autre commença.