Il
y
a
des
fringues
partout.
Où que je porte mon regard, le monde n’est que vêtements. Du sol au plafond. Soigneusement pliés sur des étagères, accrochés à des cintres, roulés en boules dans un coin ou en tas au fond de la pièce. Ternes, colorés… En laine, soie ou synthétique… Avec ou sans motifs… Des tee-shirt, des pantalons, des pulls, des vestes, des jupes, des shorts, des robes, des collants, des manteaux, des chaussures et des milliers de bijoux et produits de beauté remplissent la pièce.
Nous nous trouvons dans un immense dressing, le genre dont j’ai toujours rêvé d’avoir chez moi, le genre dont on ne s’attend pas du tout à trouver dans le Château, surtout lorsque l’on vient de sortir d’un labyrinthe infernal.
J’examine mon reflet dans l’un des soixante-neuf miroirs et ne peux retenir une grimace. J’ai de grosses cernes sous chaque œil, les cheveux gras et emmêlés, le visage noir de crasse et plein de griffures. Et je ne vous parle même pas de mes ongles !
Soudain, une voix stridente ressemblant plutôt à un glapissement retentit :
-Oh la la mes chérrris c’est vraiment une-euh ca-tas-trophe !
Je me retourne d’un bond, me demandant qu’elle chose si horrible pouvait susciter tant de cris et découvre Cristina Cordula (oui oui la vraie, en chair et en os. Pimpante et bien habillée comme à son habitude, le même sourire répété plus de mille fois dessiné sur ses lèvres barbouillés de gloss). Marine laisse échapper une exclamation de surprise que la styliste prit pour une approbation :
-Ah ma chérie ! Tu es d’accord avec moi ! Là, franchement, c’est pas possible…
Le regard incompréhension que lui lance Yashim l’encourage à développer un peu plus :
-Votre look là ! Il est pas sexy, il est pas chic… Il est ni vintage ni moderne si quoi que ce soit ! Il manque du staïle, du peps, quelque chose quoi ! Parce que là c’est vraiment le staïle crado…
Je ne cherche pas à comprendre le pourquoi du comment. Je n’ai aucune idée de comment Cristina Cordula est arrivée ici, depuis combien de temps et si elle sait exactement où elle se trouve. A vrai dire je n’en ai rien à faire. Je suis tellement offensée par sa remarque que je me fiche du reste.
-Pardon ? S’exclame Astrid, faisant écho à mes pensées.
-Ah tou n’aimes pas les critiques, dit-elle avec son éternel sourire. Mais il faut bien avouer que là, ton chignon fait à la va vite c’est vraiment un fashion faux pas. Si le reste de ta tenue est soignée ça peut faire joli mais là, avec le total look négligé ça fait un peu « J’ai pas entendu mon réveil sonner » si tu vois ce que je veux dire…
-Écoutez, dit mon amie à bout de patience, dans les derniers jours, nous avons frôlé plusieurs fois la mort alors si vous pensez que j’ai pensé à faire des ourlets de mon pantalon…
Je pouffe de rire, accompagnée de Romain et Yashim. Marine, quand à elle, s’est désintéressée de la conversation et regarde les étalages, le nez dans les tee-shirts.
-Mes chérrris, reprend Cristina, je n’ai pas eu de personnes à relooker depouis très longtemps et votre arrivée est une vé-ri-table chance ! Je commençais à m’ennuyer. Je ne comprend pas pourquoi, mes émissions ont toujours eu du succès mais depuis que l’on m’a transféré ici… IL m’avait pourtant dit que les affaires avanceraient mieux si je venais avec Lui. Enfin ! Né perdons pas dé temps en bavardages inoutiles, commençons !
-Commencer quoi ? Je demande.
-Et bien, les Reines du Shopping voyons ! Aller hop hop hop mes chérrris, je vous propose une édition particulière avec les moyens du bord. Vous allez vous affronter entre vous, en choisissant une tenue parmi les vêtements disposés ici. Le prix est écrit sur chaque article et vous avez un budget de 350 euros. Fictifs bien sûr, ajoute t-elle en voyant nos mines effarés. On fait semblant. Le thème de cette semaine est… « Explorateur chic, tout en étant dans une tenue confortable ». Voilà qui correspond bien à la situation, non ?
Grand silence.
-Pour la mise en beauté, ce robot est mit à votre disposition, dit-elle en désignant une sorte de boite de conserve géante avec un énorme panneau de commandes. Il fera exactement ce que vous lui demanderez. Allez-y ! Vous avez deux heures !
Sourire Colgate le retour.
La styliste disparaît derrière un rideau. Nous nous regardons, encore sous le choc de ce qui vient de se passer. Astrid brise la glace :
-Bon. On ne va pas rester ici et faire ce shopping débile. On trouve la sortie de cette pièce et on se casse.
-Elle ne nous laissera pas faire, j’objecte. Et puis, dieu seul sait où est la Porte…
Romain fronce les sourcils :
-Si on fait ce shopping… Peut être qu’elle nous laissera sortir. C’est peut être le prix à gagner !
-Ou peut être pas, grince Astrid.
-Pourquoi ne pas essayer ? Dis-je. Cela vaut mieux que rester ici les bras ballants. Et avec un peu de chance, une fois cette compétition faite, on pourra sortir. Ou du moins le gagnant.
-Ce qui nous avance beaucoup, tu as raison, ironise mon amie.
-Moi j’aimerais bien le faire, dit Marine d’une voix timide. J’ai toujours rêvé de participer à cette émission…
Je préfère mourir plutôt que de l’avouer mais moi aussi, faire les Reines du Shopping me tente bien. Même si le contexte est assez particulier.
-Hors de question que je fasse une chose pareille, déclare Yashim d’un ton catégorique.
-Moi non plus, appuie Astrid.
Face à ces deux obstinés, Romain s’énerve :
-Vous allez participer, un point c’est tout ! C’est fou de faire toute une histoire pour un jeu !
Ils baissent les yeux et nous nous éloignons pour chercher la tenue qui convient. Je m’approche d’une armoire et regarde les jupes, tout en réfléchissant au thème demandé. Nous avons déjà perdu cinq minutes pour des bavardages !
« Tu peux déjà éliminer les jupes et les robes, me souffle ma petite voix. Ce n’est pas ce qui va te servir pour explorer de manière confortable le Château des Cent Mille Pièces… »
Bonne remarque. Je me dirige vers les pantalons, avec une envie fébrile d’être la Reine du Shopping.
« Pff… Gamine, va »
Je tombe sur un jean assez sympa mais pour explorer le Château, ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique… Il me faudrait un pantalon large ou extensible. Qui soit tout de même élégant. Je commence à perdre espoir lorsque je découvre la pièce idéale : un pantalon en toile bleu délavé, assez ample mais sans faire sac à patates. Il ne me reste plus qu’à trouver un haut. Plutôt serré de préférence, afin de contraster avec le bas.
« Bon ça va, commence pas à nous faire ton experte en fringues là. Tu es ridicule ! » dit ma petite voix en gloussant.
Ça va quoi ! Je me mets juste dans le bain.
« Oui oui c’est ça ! »
Après trois quart d’heure, j’ai choisi une petite chemise blanche, une veste grise, des baskets (quand même, faut pas pousser) et quelques bijoux pas mal dont des boucles d’oreilles en forme de perles. Je regarde le chrono. Zut, il ne me reste plus beaucoup de temps et il y a la queue à la machine pour la mise en beauté. J’attrape une besace au vol et me précipite vers le robot.
Astrid me jette un regard affligé.
-Ne me dis pas que tu t’es donnée à fond pour ce truc !
-Je… j’ai fait de mon mieux.
-Pff… toute cette comédie est vraiment ridicule ! Et dire que certains sont en train de faire des choses sérieuses ! Et nous on fait quoi ? Du shopping !
-Allez… Détends toi, lui dis-je. Tu préfère affronter le Château peut être ?
Elle me répond par un grognement.
Quand vient mon tour, je m’assois sur le siège, devant le panneau de commandes avec appréhension. Je viens de voir Astrid ressortir avec une tignasse de mouton qui dresse ses cheveux roux en boule au dessus de sa tête. A sa mine renfrognée (si si encore plus que d’habitude) je pense que ce n’est pas exactement ce qu’elle avait demandé.
A l’aide des manettes, je me commande une coiffure. Plutôt simple, une couette-tresse. Pour le maquillage heu… Étant donné que je ne me maquille jamais, je ne sais pas trop quoi demander. Encore une fois, la simplicité est mon amie.
Je sors du robot-coiffeur un peu changée. J’ai juste le temps d’aller revêtir ma tenue que le compte à rebours est terminé. Nous nous répartissons sur des fauteuils, devant la piste pour le défilé. Cristina arrive et nous souri de plus belle.
-Alors les filles ? Vous avez trouvé ce qu’il vous fallait ? Prêtes vous le grand défilé ?
Les garçons nous rejoignent. Je ne sais pas comment ils ont fait pour trouver une tenue parmi les affaires de Cristina. Yashim a dut se tromper en commandant le robot-coiffeur car il a le visage barbouillé de rouge à lèvres. Il a sûrement bougé pendant que les bras articulés du robot faisaient leur travail.
-Nous allons procéder d’une manière un peu différente. J’ai ici la liste et ce sera… Marine qui passera en premier ! Vas-y ma chérrrie, lui lance la styliste.
Marine se lève, surexcitée. Elle défile devant nous dans sa tenue, un peu trop bariolée à mon goût. Puis chacun de nous lui dit ce qu’il pense de ses habits. Nous ne faisons que des critiques positives. Évidemment ! Si nous voulons sortir d’ici au plus vite, nous devons avoir les meilleures notes possibles. Donc, suspense… La benjamine obtient une moyenne de dix.
Et pareil pour chacun d’entre nous. J’aurais pu avoir mis mes vêtements à l’envers et me peindre le visage en vert, le résultat aurait été le même. Puis, la styliste nous attribue ses notes, ce qui rétabli un peu l’équilibre. J’écope d’un sept, Yashim d’un quatre, Astrid d’un deux (Cristina lui a deviné un manque d’efforts), Marine d’un six et Bastien d’un neuf ce qui le situe à la première place. Nous l’applaudissons tandis qu’il se voit remettre un chèque de 1000 euros.
Nous restons abasourdis.
-Quoi ? Je m’exclame. C’est ça la récompense ?
Cristina fait les gros yeux :
-Tu né trouves pas ça suffisant ma chérrrie ? Que voudrais-tu qu’il ait de plus ? Sa ténoue était moderne, pratique et élégante ! Il a donc gagné.
-Mais… c’est que… on croyait qu’en gagnant, on pourrait partir d’ici… dit Romain un peu gêné.
-Ah ! C’est donc ça que vous voulez ! S’écrie Cristina. Sortir d’ici ! Mais il fallait le demander plus tôt ! La porte est juste derrière cette armoire…
-Vous voulez dire qu’on a pas besoin de gagner pour sortir ?
-Mais bien sûr que non voyons ! Je ne cherche pas à vous garder prisonniers. Personnellement je suis bien ici mais c’est vous qui voyez.
-On sort, déclare brusquement Astrid.
-Je suis du même avis, dit Yashim.
Nous regroupons nos affaires, saluons (rapidement) Cristina Cordula et nous dirigeons vers la sortie, dans nos habits neufs.
Tandis que Romain ouvre la porte, Astrid lui adresse un sourire amer.
-Je vais vous tuer, marmonne t-elle, je vais vous trucider.
-C’est ça, c’est ça ! Se moque Marine. Tout ça parce que Cristina n’a pas aimé ta coupe de mouton !
Je ne suis pas sûre mais il me semble entendre Astrid menacer d’assommer sa sœur avec un fer à lisser et de l’étouffer avec un rouge à lèvres.
Nous franchissons la porte.
Autrice : la p’tite moustache, sous le pseudo « la p’tite moustache »