Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE EN RADIS
LA PIÈCE EN RADIS

LA PIÈCE EN RADIS

J’entrai dans la pièce, contenant ma nausée, et la balayait du regard. Je ne fut même pas surprise en reconnaissant d’immenses et énormes radis posés un peu partout. Les murs avaient une couleur blanchâtre et le sol était pavé de rondelles de ce légume. Mais j’eus à peine le temps de noter ces détails que quelqu’un cria mon nom, et l’instant d’après, je serrai le corps osseux de Yann dans mes bras.
-Tu es là ! C’est super, c’est…
Il chercha un mot capable de me faire comprendre toute l’étendue de sa joie, et n’en trouvant pas, il se contenta de bafouiller. Lorsqu’il me lâcha, je croisai le regard de Livian, assis par terre, couvert de poussière rougeâtre et le dos appuyé contre un des radis. Une lueur de mépris s’alluma aussitôt dans ses yeux, cependant il me sembla apercevoir une fraction de seconde une sorte de… curiosité. Et même d’envie. Je notais soigneusement cette information, qui réjouissait mes tendances à la manipulation, dans un coin de ma tête.
-Ahna n’est pas là ? Demandai-je.
Yann ne répondit pas. Il me dévisageait avec attention, les sourcils froncés.
-Quoi ? Fis-je, surprise par son air concentré.
-Il y un truc de changé chez toi… affirma-t-il d’un ton vague.
Soudain son visage s’illumina et la surprise lui ouvrit la bouche.
-Quoi ? Interrogeai-je à nouveau, désormais à la fois inquiète et agacée.
-Tes yeux… C’est plus les mêmes.
-Ils sont plus marron et bleu ?
-Si mais avant le bleu était à gauche et le marron à droite. Maintenant, c’est l’inverse.
Ce fut à moi d’être étonnée. Livian arqua même un sourcil interrogateur. Comme je n’ajoutai rien, Yann poursuivit.
-Comme un reflet, un…
-File moi un miroir, le coupai-je.
Il attrapa son sac, le fouilla rapidement et me tendit le bout de glace à moitié brisé. J’avançai ma main pour le prendre, et restai figée sur place, les yeux fixés sur elle.
-Qu’est-ce qu’il y a ? S’inquiéta Yann d’une voix trop aiguë.
Ma main gauche. Je venais de tendre ma main gauche, et je n’avais aucune envie d’échanger avec l’autre. Alors que j’étais droitière.
D’un mouvement vif, j’attrapai le miroir et m’examinai. Mes yeux avaient bel et bien changé de place. Ce n’était pas… Je posai ma main gauche sur ma poitrine au niveau du cœur. Puis je répétai l’opération de l’autre côté. Je pâlis un peu.
-Yann regarde mon épaule droite, s’il-te-plaît, ordonnai-je d’une voix tremblante.
Il se pencha vers moi.
-Il n’y a rien, qu’est-ce…
-Et regarde la gauche maintenant.
-Il n’y a rien non plus, juste ta brûlure.
Ma brûlure était une marque au fer rouge que j’avais récupérée dans ma jeunesse délinquante et agitée. Yann me posa de nouvelles questions, et finit par agiter ses doigts devant mon expression absente.
-Lætitia, qu’est-ce qu’il y a ? Demanda-t-il d’une voix inquiète mais ferme.
-Je suis inversée.
-Quoi ?
Il avait l’air perdu. Je me concentrai, et mes yeux se plissèrent. C’était passionnant. Absolument passionnant.
-Je suis… le reflet dans le miroir de moi-même… Enfin, de celle que j’étais avant.
Je levai a main gauche.
-Ma droite est devenue ma gauche.
Et de cette même main, j’attrapai un couteau et le lançai à quelques millimètres de l’oreille de Livian, toujours nonchalamment appuyé contre son radis. Il sursauta, et je songeai que toutes mes armes avaient elles aussi changé de place.
-Tout, mon cœur, ma cicatrice, a changé de côté, c’est…
-Mais comment c’est possible ? M’interrompit-il.
-Et bien, je suppose que… cette pièce était sans doute un… une sorte d’objet ne pouvant exister qu’en quatre dimension, un objet qui n’a ni intérieur ni extérieur. Et quand tu fais le « tour », enfin si tu en croises un, ça a cet effet : ça t’inverse. Fascinant.
Yann sembla se satisfaire de cette explication, et hocha lentement la tête, restant toutefois sceptique et franchement surpris. J’allais redemander où était Ahna, lorsqu’une des cinq portes de la pièce s’ouvrit dans mon dos.
Ahna entra, son pantalon relevé jusqu’au genoux et ses chaussures dépassant de son sac. Elle émit des bruits humides de ventouse, ses mollets recouverts d’une vase verte, boueuse et trouble. Ses yeux parcoururent la pièce et elle hocha la tête.
-Des radis, affirma-t-elle.
Son regard retomba sur nous et elle put constater que nous étions tous là. Elle me dévisagea de longues secondes en silence.
-Lætitia, tes yeux sont plus à leur place.
Je luis dis que je le savais et recommençai mes explications. Elle approuvait parfois d’un lent hochement de tête, ne semblant ni surprise ni impressionnée. On aurait dit que l’histoire que je lui racontai était d’une banalité affligeante, et peut-être même qu’elle s’en fichait un peu. Impossible à dire. Ahna est d’un impassible et d’un indéchiffrable à avoir envie de lui taper la tête contre les murs. J’en connais même quelques uns qui l’ont fait. Quoi qu’il en soit, j’expliquai, et si elle ne comprenait pas toutes les subtilités, elle avait certainement saisi le concept. Elle est, de façon presque regrettable, vachement futée, la garce. Lorsque j’eus fini, elle plissa les yeux et eut un léger sourire rusé de chat. Et, au grand désespoir de Yann dont une des fiertés est de toujours trouver la formule plus ou moins poétique adaptée à la situation, elle déclara, détachant bien les mots :
-On dirait bien que tu es passée de l’autre côté du miroir, Lætitia.
Et Yann, bien que déçu, reconnut, beau joueur, que c’était bien dit. Il y eut un instant de flottement puis, prise d’une pulsion pourtant incompatible avec ma nature très peu expansive, j’éclatai de rire et les serrai tout les deux dans mes bras. Mais, me rendant compte que cela n’était pas dans les habitudes de notre trio, je les lâchai bien vite et leur demandai avec un calme apparent de raconter leurs pièces. Ils obtempérèrent et Yann raconta qu’il avait débarqué dans une pièce toute blanche, où il s’était instantanément senti plus léger. Il avait aussi senti une légère douleur à la poitrine et s’était dépêché de vider ses poumons, avant de courir vers la porte qu’il apercevait de l’autre côté de la pièce pour finalement arriver, en premier et essoufflé, ici. Dans la pièce aux radis. Ensuite, Ahna raconta dans son style télégraphique comment elle avait pataugé un long moment, enfoncée jusqu’au genou dans un espèce de marécage, pour elle aussi franchir un porte et nous retrouver. J’écoutai, hochant parfois la tête, les yeux fixés sur les traînées de boue brunâtre en train de sécher et de se craqueler sur les mollets d’Ahna. Lorsqu’ils eurent finis, je me tournai vers Livian, qui fixait en silence le vide devant lui.
-Et toi Livian, ta pièce ? Lançai-je sur le ton de la conversation.
Il se tourna vers moi et réalisa que c’était bien à lui que je m’adressai. Il eut l’air surpris. Je haussai un sourcil.
-Et bien ? Tu es muet ou débile ? Enfin, encore plus débile que ce qu’on croyait.
Il se détourna et avec une mauvaise volonté un poil surjouée, il nous raconta le désert de sable dans lequel il lui avait suffit de se transformer en démon pour le traverser en volant.
-Bon, commença Ahna dès qu’il eut fini. Tout le monde va bien ? Plus de questions ? On peut y aller ?
Yann répondit oui à tout, mais j’objectai que j’étais fatiguée. Ainsi, après un repas, une plus ou moins « nuit » de sommeil, et après avoir marqués la porte d’une croix, nous y allâmes.

Autrice : lolo, sous le pseudo « lolo »

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