Pièce n°1788
À bout de souffle, j’ouvre la porte qui met fin à une terrible ascension d’approximativement 523 marches. Le coup de vent qui manque de la refermer presque aussitôt me donne le sentiment d’avoir plongé dans la mer tant il est chargé de sel. Je suis au sommet d’un phare, au milieu d’un port. Je dévale l’escalier qui se déroule patiemment le long de l’édifice pour rejoindre la jetée. Je ne comprends rien à ce qu’il m’arrive – comment en ayant gravi cet escalier, j’ai bien pu me retrouver là ? –, mais cela m’amuse. Et surtout, ça ne me fait certainement pas peur. La longue jetée n’est peuplée que de goélands qui couinent, les quais ne sont pas plus animés. Personne en vue. Je me retourne vers le phare : sous mes yeux s’étend le port, comme encastré dans une boîte rectangulaire. Quatre de ses faces sont murées de cette pierre tout à fait caractéristique du Château. Une autre est faite d’eau, la dernière s’ouvre vers une immensité sur laquelle j’aperçois quelques bateaux épars, partis en voyage.
Soudain, j’entends derrière moi un carillon qui vrille mes oreilles par sa familiarité et l’absurdité de sa présence ici. C’est le carillon du marchand de glace. Le carillon qui tintait à la sortie de l’école et au square le samedi. Ce carillon n’a rien à faire ici. Je fais fi des parfums de vanille et de framboise qui commencent à se saisir de mes narines et à m’envoûter – je songe un instant à me boucher le nez avec des algues qui traînent – et je me l’élance vers le camion bariolé. Personne ne se tient derrière le stand, alors je fais table rase des cornets et des petites serviettes carrées disposés sur le comptoir, puis d’un coup de poing je fais voler en éclat la vitrine et j’entreprends de jeter les bacs de glace dans les eaux verdâtres du port. Le froid des récipients n’anesthésie quand même pas mon cerveau et je réalise que la glace au café a une drôle de couleur rouge. La peau de ma main est à moitié arrachée, piquetée de petits morceaux de verre et sanguinole sur les pavés du quai. À mesure que j’en prends conscience, la douleur envahit ma chair et je décide de battre en retraite. Je cours jusqu’au phare, je grimpe à son sommet, j’ouvre la porte et m’engouffre dans l’escalier.
Auteur-ice : Bluebird.
Cette pièce a été rédigée lors d’un atelier d’écriture.