Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
L’AUTEL AU RITUEL
L’AUTEL AU RITUEL

L’AUTEL AU RITUEL

Pièce n°1834
Écrite par Sol'stice
Explorée par Loan

Tout danse. Les pensées dans ma tête, les flammes dans les braseros, leurs doigts sur ma peau, leurs murmures dans ma tête. La fille devant moi. Elle danse et avec elle les tissus et les rubans vaporeux qui lui servent de vêtements. Elle danse et ses cheveux volent autour d’elle. Elle danse et ses pieds nus claquent sur les dalles du sol. Elle danse. Hypnotisante. Depuis le temps que je la cherche et elle est là, juste devant moi. A portée de bras, si seulement j’avais la volonté de le tendre. Elle danse, comme le bord de ma vision et les aberrations chromatiques qui l’habitent. Tout danse, tout tourne. Comme la certitude que mes idées ne sont pas tout à fait claires, mes pensées, pas tout à fait miennes. Mais la beauté de sa danse me vole mon souffle et toutes mes préoccupations, elle en efface presque les murmures. Je voudrais me lever, l’appeler. Mon corps ne me répond pas. Pas besoin de liens pour m’empêcher de me bouger, quelque substance qui court dans mes veines et me brouille l’esprit suffit, comme les murmures, comme leurs mains effleurant ma peau dénudée, sans même avoir besoin de recourir à la force. De toute façon, il n’y a qu’elle qui m’intéresse, elle et sa danse. Alors – combien de temps ? – je la regarde, j’en oublie de cligner des yeux, j’en oublierais de respirer si mon corps n’agissait pas de lui-même pour sa survie. Et j’oublie de penser au danger, à l’étrangeté de ceux qui m’ont amené là et m’entourent, à leurs desseins qui me sont inconnus, à la pierre tiède de l’autel sous mon dos, aux tracés de leurs doigts laissant une empreinte humide et une lueur bleuté sur mes bras, mon ventre, mon visage. Non, il n’y a plus qu’elle qui existe, elle qui danse sur les murmures, elle qui pourrait être la mort et m’embrasser. Ça m’est égal.

Sans bouger, je tombe. Je chute de mon sommeil, de mon demi-éveil qui m’enfermait. J’ouvre les yeux dans un sursaut, le cœur à mille à l’heure, surpris de le sentir battre si fort sans ma poitrine. J’étais, quelque part, persuadé de ne jamais me réveiller. Je ne bouge toujours pas, j’attends que la panique et la surprise refluent. Au-dessus, loin au-dessus de moi, le plafond de pierre se perd dans la pénombre. Je m’aperçois du silence. Les murmures se sont tus. Je suis seul. Lentement, précautionneusement, je m’assois sur l’autel dont la pierre s’est refroidie. La tête me tourne légèrement. La faute à la faim, la soif, ou les effets secondaires de ce qu’ils ont pu me donner. Mais d’eux, autour de moi, il n’y a plus de traces. Les foyers sont éteints et les colonnes de pierre s’alignent à l’infini dans toutes les directions, comme un temple assoupi. Ma propre respiration me semble terriblement bruyante, comme le sang à mes tympans. Il n’y a plus de traces de la danseuse non plus. Quelle est la part de réel dans les hallucinations que j’ai eues ? Ai-je rêvé de tout ? Ou n’ai-je rien imaginé ? Est-ce bien là la réalité ou une farce des méandres de mon esprit ? Je frissonne. Je n’ai plus mes habits, rien que le strict nécessaire, et je sens encore le contact de leurs peaux sur la mienne, sans pour autant en garder aucune trace. Je m’attendais presque à ce qu’une lame m’ait ouvert d’en haut jusqu’en bas, que mon sang ait abreuvé la roche claire, la tachant de mon sacrifice. Ma propre passivité face à ce qui aurait pu m’arriver m’effraie, autant que mon incapacité à me défendre de quoi que ce soit. Maintenant que la tête me tourne moins, prenant appuis de mes mains sur la roche de l’autel, je me laisse glisser au pied de ce dernier. Les dalles sont lisses sous les plantes nues de mes pieds. Je m’avance de quelques pas entre les braseros, là où elle dansait. Sur le sol, des traces sombres, grises, marquent là où ses pieds l’ont foulé. Preuve de son existence. Non ? Je m’approche d’un des brasero et, sans savoir trop ce que je fais, trempe un doigt dans les cendres froides. Combien de temps ai-je été inconscient ? Depuis quand me suis-je enfoncé sous la tombe ? Tandis que les questions tournent dans mon esprit, machinalement, je frotte la poudre grise entre mes doigts, l’étalant sur ma peau. Une brève lueur bleuté me fronce les sourcils mais un bruit derrière moi me fait me retourner dans un sursaut. Quelqu’un est là ? Ami ? Ennemi ? Est-ce l’un d’eux qui, entre deux murmures, s’est rappelé sur le tard qu’ils avaient oublié la conclusion sanglante de leur étrange rituel ? Mais il n’y a personne. Le son se répète, provient de sous l’autel, creux. Il se répercute dans les enfilades de colonnes tandis que je m’approche précautionneusement. Un mouvement, dans ce qui ressemble à une petite cage… Mon lutin ! Je me précipite vers lui, le rebord dur de la légère marche qui surélève l’autel me rentre dans les genoux quand je m’accroupis devant lui.
 — Hey, le salué-je.
Ma présence semble le ravir, il s’agite de plus en plus fort en sautillant contre les barreaux de sa prison. J’entreprends d’ouvrir cette dernière, trouvant sans réelle difficulté comment en faire sauter le verrou. Le lutin s’en éjecte aussitôt, caracole autour de moi. L’agitation de ses bras et du bout de son chapeau-capuche semble vouloir me raconter mille choses que malheureusement je ne comprends pas. Cependant il y a en bien une que je devine.
 — Je suis d’accord, il faut qu’on parte d’ici, et le plus tôt sera le mieux.
Deux fermes hochements de tête de sa part font tinter le grelot de sa coiffe. Avant de me relever, j’avise une pile de tissus à côté de la cage dans le renfoncement et ai la surprise de reconnaître mes vêtements. Je les enfile en vitesse, non sans m’interroger sur le but de les garder ici, ainsi que mon compagnon de voyage, si je n’étais pas censé survivre au rituel. Mais s’il était autre, lequel ? A nouveau un éclat bleu attire mon regard mais le temps que je sorte de mes pensées, il s’est estompé. Avec un haussement d’épaules, mais tout de même une pointe de méfiance, je finis de lacer mes chaussures. Puis j’invite le lutin à gagner la cachette de ma poche et me relève.
 — Bon… par où à ton avis ? lui demandé-je en tournant sur moi-même.
En absence du moindre indice, je finis par choisir une direction au hasard. Quand faut y aller… les premiers pas sont peu sûrs. Je passe quelques rangées de colonnes sans que rien ne semble changer autour de moi, me retourne vers l’autel immuable qui pourtant s’efface déjà dans la grandeur de la pièce. Inspire un grand coup. Reprends ma marche.

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2 commentaires

  1. Une pièce très poétique ! A la lecture, ton style, que je ne saurais pas mieux décrire que « rond » se prête très bien à l’idée de danse.
    Je ne me souviens plus : développes-tu le personnage de Loan depuis longtemps ? Est-ce qu’il y a un lien avec Analayann ou pas du tout ?

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