Pièce n°1822
Écrite par shwaan_fehish
Explorée par Rus
Après avoir ouvert la porte, je soupirais déjà de soulagement à la vue de ce qui se cachait derrière. C’était un jardin, dans la court d’une résidence immobilière typique de l’architecture du XIVe arrondissement de Paris, avec sa géométrie anguleuse, ses pierres granuleuses couleur de grès et ses détails orangeâtres. Un ciel bleu sans nuages baignait l’endroit dans une lumière chaude de fin d’après midi, et le soleil étalait l’ombre de quelques érables dispersés, octroyant de longues plages de fraicheur à la quarantaine d’habitants installés là. Ceux-ci avaient disposé aux quatres coins de la court un certain nombre de stands, où l’on pouvait acheter nourriture et boissons, se faire maquiller ou tirer le tarot. Tout cela ressemblait à une sorte de kermesse festive ou une joyeuse fête des voisins. Tous arboraient un sourire béat et inaliénablement sincère, et des enfants couraient dans l’herbe et se roulaient par terre. « Sales bobos d’m***e » dis-je, « On s’croirait dans une pub Ricoré! Pourquoi y sourient tous comme ça, ces golios? J’suis mort? J’suis en enfer? » Je me félicitais pour cet astucieux choix de mots, car en effet l’ambiance de la fête avait tout l’onirisme d’un délire de mourant. Si l’on voulait pousser plus loin le propos dans l’antre brumeuse (fumeuse) des croyances, je dirais que je traversais une sorte de rêve post-mortem. Et pourtant, j’avais l’impression d’y faire intrusion. Visiblement ce rêve n’étais pas le mien. En poursuivant ma progression entre les tables drapées de blancs et ces insupportables rires, je remarquais que personne ne s’était rendu compte de ma présence. Des danseurs tourbillonnants me frôlaient de part en part sans la moindre attention portée à mon égard. Moi je m’écartais brusquement comme emporté par des vagues, mais eux, c’était comme s’ils me traversaient; comme s’il existaient physiquement pour moi là où moi je n’existais pas physiquement pour eux. Etourdis par ces culbutes, je m’allongeais auprès d’un des érables et me passais les mains dans les cheveux pour me ressaisir. Mais alors que j’aurais dû voir passer devant mon visage mes mains, avant que celles-ci ne se déposent sur mon crâne: rien. Je sentais pourtant distinctement le contacte de mes doigts sur mon cuir chevelu et entre mes mèches grasses, mais c’est comme si mes bras, en fait non, mon corps entier était devenu invisible. Qu’il est abominable de ne plus voir son propre corps! J’avais beau sentir le contacte de l’herbe avec mes fesses et de l’arbre avec mon dos, me restait quand même cette sensation de déséquilibre et de chute permanente. Il me fallu fermer les yeux, j’avais envie de vomir. Sous l’abîme de mes paupières, je me sentais sombrer dans le vide sidéral. Seul les battements de mon coeur en perpétuelle accélération résonnait à mes oreilles. Je respirais du néant et mes pensées se dissipaient au fur et à mesure qu’il pénétrait mon être. En seulement quelques secondes, j’avais complètement disparu.
« Pourquoi ils sourient tous, jsuis en enfer ? » ce raccourci de l’extrême !
Ohlala, dangereux de mourir, on ne sait pas ce que nous réserve le Château pour la suite ! Très belle description de la disparition en tout cas, avec beaucoup de caractère
Rus est insupportable et drôle et un brin attachant à la fois, j’adore ! Et quelle bonne idée que ce jardin post-mortem !