Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
STATION DE CONTRÔLE RATP CENTRE-PARIS
STATION DE CONTRÔLE RATP CENTRE-PARIS

STATION DE CONTRÔLE RATP CENTRE-PARIS

Pièce n°1823
Écrite par un gars
Explorée par Devhinn
Fait partie de la saga << < Chutes prophéties et assimilées > >>

Carnet de Devhinn
Pièce perdue n°18 (soit la 62ème pièce)

Ma tête tourne de trop de volontés contraires. L’adrénaline d’il y a quelques secondes s’est écrasée contre un retour à la réalité étourdissant et un béton froid et granuleux.

L’encadrement d’une porte se dessine dans la pénombre. Les murs sont sombres, le plafond aussi. La seule source de lumière, blanchâtre, provient d’un bureau qui occupe la moitié du petit espace, sur et au-dessus duquel se trouvent de nombreux écrans d’ordinateurs et une console. Plusieurs voyants lumineux s’y activent dans un lent canon de verts et de oranges.
Le reste de la pièce, où je me trouve, est encombré de deux chaises rembourrées et d’une table basse, qui accueille un paquet de chips et deux bières en bouteille.

– Ismail, tu fais chier.

La voix vient du bureau. Deux chaises à roulettes me tournent le dos, dont une est occupée. Je ne discerne rien d’autre que de courts cheveux clairs, et les branches d’une paire de lunettes.
Une brève seconde, le corps inconnu se penche du côté du bureau qui n’est pas le sien, et appuie sur un bouton, me laissant voir une mâchoire taillée dans un visage que les stries du temps n’ont pas épargné. Le soixantenaire grogne après avoir accompli cette tâche qui n’appartenait pas à son territoire bureautique, une LED passe du orange au vert. Je note l’inscription « STATION DE CONTRÔLE RATP CENTRE-PARIS » gravée dans le mur sur une longue plaque bleue.

L’homme renifle, son regard planté dans les écrans qui enchaînent des images de vidéosurveillance à n’en plus finir. Sur chaque quart de télévision, des formes humaines s’agitent quand il s’agit de quais et de couloirs, se tassent quand empilées dans des rames de métro.

– À peine t’es en pause y a déjà 2 conneries sur le RER B. Passe les chips.

Debout, je saisis le cylindre cartonné sur la table et lui tend. Il engouffre sa main à l’intérieur et en ressort quelques tuiles jaunâtres. L’homme grogne, bouche grassement remplie, lance une insulte contrariée qui ne semble pas destinée à Ismail, puis se jette sur une excroissance au milieu du bureau. Un micro. D’une voix soudain mielleuse, il entonne :

– Mesdames, Messieurs, votre attention s’il vous plaît. Suite à un malaise voyageur sur le réseau, votre rame de RER B direction Saint Rémi les Chevreuses, sera terminus Châtelet-les-Halles. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée.

Le voyant rouge du micro s’éteint sitôt qu’il le lâche. L’homme reprend son ton de voix aigre.

– Vivement qu’ils les automatisent celles là aussi, quelle emmerde…

Craquements de chips. Quelques quartiers d’écrans affichant ce qui doit être le RER B montrent des gestes d’agacement, et même une femme qui pleure à côté d’agents de contrôle. Sur un coin de cette image, précisément, un élément me fait tiquer.

– Regarde les s’agiter maintenant. Tu changes un paramètre et le monde s’écroule pour des dizaines de personnes.

Une jeune femme, jusque là avachie sur deux fauteuils, se lève difficilement au milieu des usagers fébriles. Sa posture est celle d’une personne âgée et sa démarche celle d’un enfant de huit ans. Elle sort quelques secondes de mon champ de vision.

L’image est tellement dé-saturée, mais j’aurais juré…

– J’ai l’impression d’être Dieu, des fois.

L’homme s’esclaffe en inversant la tendance de quelques LEDs cramoisies, déverrouillant des portes, lançant des messages automatiques. Dans le lointain, une voix féminine avise des maintenances prochaines sur la ligne 4.

J’alterne entre les caméras qui scrutent cette rame, et laissent trop souvent la place à d’autres métros partout dans Paris.

– Non mais qu’est-ce qu’y foutent sur la B encore…

Bingo. En deux boutons, le soixantenaire fait réapparaître tout le RER. Les gens se pressent vers les portes conjointement, prêts à se déverser dans leur nouveau terminus. Sur les quais déjà bien remplis s’amassent les tenues sombres d’agents de contrôle, au point où c’en devient sacrément inquiétant. Je ne perds pas de temps :

– Dis voir, on est loin de Châtelet ?
– Boh, tu prends l’escalier de service et t’y es en trente secondes à peine. Châtelet a jamais été aussi simple, s’esclaffe-t-il.

S’ensuit un drôle de silence, tandis que les portes du RER B libèrent la foule, silence durant lequel l’homme cesse de farfouiller au fond du paquet de chips, et se tourne lentement.

– Minute garçon, quand est-ce que…

Je saisis le premier objet à portée, et lui assène sur le crâne.

Une second plus tard, je brandis haletant le micro filaire allumé au dessus d’un soixantenaire sonné, et dans ma vision périphérique tout le monde se couvre les oreilles. Je pose mon arme et m’apprête à l’utiliser sous sa fonction première, quand j’aperçois que la femme vacillante a disparu de la porte, où ne reste que de petites tâches sombres, et un vieillard peinant à suivre le monde. Je passe aux images du quais, et repère facilement malgré la déferlante humaine la silhouette de tout à l’heure, se frayant un chemin difficile dans la cohue. Mais surtout, je vois la nasse de ces « agents » se resserrer petit à petit, laissant fuir comme une passoire les bords de la foule, mais gardant bien en son centre le sujet de mes craintes.

– Putain mais t’es qui d’abord ?

Le vieux, au sol, se tient le front d’une main rougie par le sang, et tente vainement de se relever.

– Je suis désolé, j’ai pas le temps, merci monsieur.

C’est plus ou moins ce que je réponds, remarquant ensuite le micro encore allumé. Revenons en au nécessaire. Sur ma droite, un enchevêtrement de lignes colorées semble décrire le réseau métropolitain, et j’abandonne vite la possibilité de le déchiffrer.

Je me racle la gorge, et, hésitant :

– Mesdames, Messieurs, votre attention s’il vous plaît. Suite à un… Une maintenance technique, nous vous informons que nos agents sont présents aux abords du quai de Châtelet direction Rémi les… les chèvres, euh… Et resteront en action jusqu’à ce que la situation soit rétablie. Nous vous remercions de votre compréhension et… Vous prions de ne pas paniquer et de vous fondre dans la masse pour sortir. Veuillez nous excuser… et, voilà.

Je lâche le micro, saisis une casquette bleue brodée « RATP », et quitte la pièce vers l’escalier de service. Derrière moi, j’entends crier :

– Je ferai un rapport ! Ah, putain le con ça fait mal…

Partager...

Un commentaire

  1. Waouh super chouette cette pièce ! Tu as ravivé toute ma curiosité pour les centres de contrôle des transports en commun *-* Je me suis vraiment laissée prendre dans la narration (alors que, andouille que je suis, je lis les dernières pièces publiées de la plus récente à la plus ancienne, donc je n’ai pas encore lu celle d’Ombre), c’était un plaisir !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

CHÂTEAU CENT MILLE PIECES

GRATUIT
VOIR