… as …
Oui, j’ignorais qui s‘amusait à nous faire tourner en bourrique… Et qui s’était ennuyé au point de s’éclater à échanger tous les panneaux indicateurs du Château. En tout cas il avait dû y passer un temps fou. Après la « bibliothèque » qui donnait sur une menuiserie aux pantins maléfiques, c’était le tour de la porte « menuiserie », que nous venions de franchir, de nous faire tourner en bourrique. En bourrique, c’était le cas de le dire, vu que nous atterrîmes dans une gigantesque écurie. Des centaines d’équidés tournèrent soudainement la tête pour nous regarder. De magnifiques équidés. Magnifiques si on passait outre leurs yeux qui formaient tout un camaïeux de rouge. Somptueux et flippant en fait. L’Oublieuse commença à trembler. Sur son front pâle, une goutte de sueur perla, puis tomba sur le sol crasseux, recouvert de paille souillée et de crottin malodorant. Ses genou commencèrent à jouer des castagnettes, mais elle ne pipa mot, et quand le magicien qui avait voulu la zigouiller dans la pièce précédente posa une main sur son épaule et lui demanda si ça allait, elle ne répondit toujours rien, se contentant de tourner vers lui son regard translucide.
—On ferait mieux d’avancer, elle n’a pas l’air en super état là…murmura Jad
—Bonne idée mais n’avançons pas trop vite, elle a l’air au bord de la crise d’angoisse…
Jad attrapa le bras gauche de l’Oublieuse, tandis que je me plaçai à droite en épousant le plus fidèlement possible sa silhouette fluette. Nous commençâmes à marcher.
L’écurie était très sombre et morbide, comme un couloir d’hôpital abandonné. Des néons usés clignotaient au plafond grisâtre. Les boxes étaient tous remplis, de toutes les races de chevaux existantes…
Et inexistantes, me dis-je en apercevant un gigantesque Pégase à la robe impeccablement lustrée qui étendait ses longues ailes blanches dans un box deux fois plus grand que les autres. Un peu plus loin, un immense cheval squelettique au sens premier du terme, à la tête de dragon, doté d’une longue queue, et d’ailes de chauve-souris, darda vers nous ses yeux de feu. Nous nous regardâmes tous les trois, Jad, l’Oublieuse et moi-même. Inutile de parler pour comprendre que nous le voyions tous les trois. Ce Sombral nous liait encore un peu. Nous avions apparemment tous les trois vu la Mort. De près.
Nous vîmes de tout. Des centaures endormis, un box-bocal avec un hippocampe, un hippalectryon, licornes, hippogriffe, un helhest, et même un box marécageux où un aughisky nous souriait. Aucun de nous ne se risqua à s’arrêter.
L’Oublieuse continuait à s’enfoncer dans ce qu’il semblait être une bonne crise de panique qui n’allait tarder à exploser. Nous ne voyions pas le bout des écuries et je commençais à stresser à l’idée de croiser les palefreniers qui entretenaient aussi vaillamment les chevaux, tout aussi soignés que les lieux étaient délabrés.
Jad s’arrêta.
—On ne va nulle part. Ça sert à rien de continuer, la sortie est ailleurs. Forcément.
Nous étions arrêtés entre des palominos et des chevaux de Przewalski. Assis par terre, nous réfléchissions intensément, sans résultat. Soudain, je levais la tête et remarquai un détail qui nous avait échappé : sur les box, des ardoises qui auraient dû indiquer le nom des chevaux étaient presque tous vierges. Presque, parce que sur certains étaient griffonne une lettre. J’en fis la remarque à Jad.
—Mais bien sûr, j’aurais dû y penser plus tôt ! Ca doit faire un anagramme
—Possible, mais on marche depuis des heures…Trouver toutes les lettres et les remettre dans l’ordre ça va pas être de la tarte
—T’oublie que je suis magicien
Et, se levant, il ânonna :
— Için kendinizi koyun !
Aussitôt, devant nos yeux, apparurent l’intégralité des lettres de toutes les ardoises du couloir. 82 lettres à remettre dans l’ordre. Jad fronça les sourcils
—Elles ne se remettent pas dans l’ordre…C’est pas normal…Elles doivent être protégées par un sort…Bon bien si on veut trouver le message on a intérêt à s’y mettre…
Voyons…Nous avions cinq C, douze E, six I, neuf N, trois S, quatre R, un V, trois T, quinze A, un B, quatre D, un Y, deux G, deux M, quatre H et trois U. Je réfléchis. N DL N ESNCENIR AREIHIBINAHE EARNMI S DL A’R TT HUUG EMAGVAN AUAANT SC LD AIEE AC YDEEAEACHACENA ? Non
CLTA AMRSEHC,M DEAUNEA’UN G AIAARCDSN,TA E HENUINN EELNIHACA LANIDEATSVE EA RRY!DB G E NIC AEIAH ? Non plus
AY EE’DCTRUSNHNI,DEBEMDA CA C ENI IA!CE ERS IASVRNEA ,ANRN AEN AGUNAI EATHMH D AEEA ACAL IHGLLNTU ? Toujours pas
CECI NE SERVAIT A RIEN BANDE DE CRETIN, IL N’Y A AUCUN ANAGRAMME LA DEDANS, AHAHAH ! SIGNE LE CHATEAU ? Ah ! Enfin quelque chose qui avait du sens
Mais pour ce que ça voulait dire, nous n’étions pas vraiment avancés en fait. Je fis part de mon résultat à Jad qui grogna de dépit.
—Fichu Château, il n’a que ça à faire de nous faire tourner en bourrique ?
Nous nous relevâmes. Nos pas, plus lents, étaient las et fatigués. J’avais faim.
Soudain, une ultime goutte de sueur tomba du front de l’Oublieuse pour aller s’écraser sur le sol, et ce fut littéralement la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Elle se mit à hurler et à courir, entraînant Jad qui ne put faire autrement que de suivre sa course. Quant à moi…Ben je n’eus pas le choix, et ses pas entrainèrent les miens. Sur notre chemin, les chevaux endormis commencèrent à se réveiller et à s’énerver. Ils tapaient en rythme de notre course et cela faisait courir l’Oublieuse encore plus vite. Dès qu’elle vit un box vide, elle s’y précipita.
Box dont le sol s’écroula soudainement, et nous fit chuter sur un nouveau sol.
—Bah voilà on l’a trouvée la sortie, baragouina Jad
—Et un élément de mon passé m’est revenu, murmura l’Oublieuse
—Lequel ?
—Je suis hippophobique
Il y eu un grand silence, silence interrompu par un énorme fou rire collectif. Fou rire qui cessa net dès que nous ouvrîmes les yeux.