Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA CINQUIÉME PIÈCE OU LA SERRE DU TIGRE
LA CINQUIÉME PIÈCE OU LA SERRE DU TIGRE

LA CINQUIÉME PIÈCE OU LA SERRE DU TIGRE

Pièce n°1296

Ou la pièce où il y avait enfin de l’action.

J’arrivais en volant dans la pièce suivante, mon petit bonhomme de lumière toujours lové contre ma poitrine. Je me trouvais devant une jungle luxuriante. Du vert de partout. Un vert sombre au travers duquel je ne distinguais rien. Heureusement que je n’étais pas au niveau du sol, car je me remettais à peine de la sorte de tornade du Hall aux Echos qu’une masse de muscle se jeta sur le battant de bois à une hauteur toute à fait honorable. Un animal aux yeux verts perçants, aux pattes puissantes et aux griffes longues comme des dagues, mesurant au bas mot plus d’un mètre cinquante au garrot et atteignant plus de quatre mètres de long, rassembla ses membres sous lui après m’avoir repéré. Je m’élevais grâce à quelques coups d’ailes. Les griffes du tigre fouettèrent l’air à l’endroit où je me trouvais précédemment.

Mon élévation fut rapidement stoppée par une épaisse vitre contre laquelle s’écrasait le soleil à l’extérieur et les cimes des arbres à l’intérieur. Du sol monta un rugissement puissant empli de rage. Je repris mon souffle avant de remarquer de profondes rayures dans le verre.
Le tigre pouvait atteindre le plafond.
Je partis à tire d’ailes, sans réfléchir, m’enfonçant dans la jungle. Les branches me griffaient les bras, le visage. Mes ailes se cognaient, s’emmêlaient dans le feuillage. L’enfant de lumière me suivait, toujours gracieux. Les arbres étaient rapprochés, ils se mélangeaient, formant pratiquement une masse compacte dans laquelle il était difficile d’avancer. Quand je fus fatiguée de me débattre, je me posais sur une branche, repliant mes ailes. Je ne m’en étais pas servi aussi longtemps depuis plusieurs mois. Ça me rappelait trop de mauvais souvenirs. Je secouais la tête pour chasser mes vieux démons et écoutai les alentours. La forêt était silencieuse. Trop silencieuse, même. Le tigre ne devait pas être loin.

Mon petit bonhomme s’avança devant moi, flottant avec légèreté, dégageant une douce lumière. Il était tout de même bien plus en forme que dans la troisième pièce. À cette pensée, mon ventre gargouilla.
-Je me trouve à manger et après, on parle, ça te va ? murmurai-je.
Il hocha la tête et virevolta pendant que je descendais de mon perchoir. Le sol de la forêt était fait d’une terre meuble et brune. Les fougères étaient plus hautes que moi pour la plupart. L’air était chaud et humide, la lumière faible. Je me mis en marche, faisant attention à chaque bruit. L’enfant de lumière se baladait de droite à gauche, s’éloignant parfois hors de ma vue. Je devais lui trouver un nom. Enfant De Lumière. EDL. Les mêmes initiales que les DEL – ou LED – soit les Diodes Electroluminescente utilisées sur la Terre rationnelle – non magique. Il y avait quelque chose à creuser là-dessous. Ma réflexion fut interrompue par l’occupant de mes pensées qui me faisait des gestes incompréhensibles. J’haussai un sourcil. Il pointait du doigt un buisson énergiquement en alternant avec des grimaces et des visages emprunts de terreur. Il finit par me foncer dessus, essayant de prendre ma main et de m’entrainer vers un arbre, à l’opposé du buisson qu’il pointait, paniqué.
-Qu’est ce que… ?
A l’instant où je prononçais ces mots, les feuilles du buisson bougèrent. Je n’attendis pas de voir ce qui en sortait pour me précipiter vers l’arbre qu’indiquait mon compagnon et y grimpa rapidement, à moitié en me hissant avec mes mains, à moitié en volant. Quelques branches plus haut, je repris mon souffle.
-Désolée… je ne … comprenais … pas…
Un raclement contre l’écorce me rappela les griffures sur la vitre. Le prédateur pouvait atteindre le plafond. La hauteur ne me mettait pas à l’abri. Je devais fuir, mais où ? Comment semer un chasseur pareil ?

Une patte orangée pourvue de griffes s’écrasa sur ma jambe, me forçant à réagir. Cinq rayures sanguinolentes s’étaient dessinées sur le côté de mon mollet. Le tigre se trouvait juste en dessous de moi. Il tendit de nouveau une patte, visant ma cheville. Je l’évitais me projetant, soutenue par mes membres ailés, jusqu’à l’arbre d’à côté. Il rugit avant de replier ses pattes arrière. Je n’attendis pas qu’il saute sur mon refuge temporaire et passa sur un autre arbre, me perdant une nouvelle fois dans le feuillage.

Ma course s’arrêta sur le haut d’un arbre, près de la vitre. Le tigre devait avoir regagné le sol. Au cours de cette fuite, j’avais enrichi ma collection de blessures par trois entailles parallèles sur mon bras gauche, obtenues lors d’un procédé douteuse mais efficace : alors que celui qui avait décidé que je serais son prochain repas se jetait sur moi, certain de m’avoir, j’avais pris appui sur le tronc d’un arbre et m’était projeté sur le côté du tigre puis lui était passé derrière. Voyant ma manœuvre, le tigre s’était retourné et avait tenté de m’agripper, n’accrochant heureusement que légèrement mon bras. Ceci faisant, il loupa son atterrissage sur l’arbre suivant, rencontra violemment son tronc et tomba. Je ne m’étais pas attardée et avait mis le plus de distance possible entre moi et l’animal.

Je maintenais ma main sur les griffures, relativement peu profondes, attendant que la sensation de brûlure passe. Mon petit bonhomme me tournait autour, l’air désolé. Je lui souris et désignai les fruits qui se trouvaient juste au dessus de ma tête :
-J’ai choisi l’arbre pour pouvoir manger, cette fois-ci.
Il battit des mains et effectua une sorte de looping. Délaissant ma blessure, j’attrapai une sphère rouge d’une dizaine centimètres de diamètre. Je l’ouvris pour constater que de nombreuses parois séparaient de petites graines. La chaire était ni charnue, ni filandreuse. Après avoir mangé un fruit complet, j’en attrapais un autre tout en commençant à parler :
-Comme je te l’ai dis dans l’autre pièce, tu es sorti d’une ampoule sous mes yeux, et tu m’as suivi alors que tu étais endormi.
Il hocha la tête et m’indiqua du doigt :
-Moi ? je suis une Ange Lunaire. Une Reine si tu tiens vraiment à le savoir, mais mon royaume n’a pas besoin de moi pour le moment. On est ici dans le Château des Cent-Milles Pièces. Je suis ici pour deux raisons : l’explorer et trouver des archives du Royaume des Anges qui devraient s’y trouver. Apparemment, tu es lié d’une façon quelconque à moi, vu que tu restes à proximité de moi quand tu dors. Est-ce que tu as un nom ?
Il haussa les épaules. En mangeant, j’avais eu une révélation, dans la lignée de ma précédente réflexion à ce sujet :
-Que dirais-tu d’Edel ?
Il réfléchit quelques secondes avant d’acquiescer.
-Ça te va, Edel ? bon, sinon, de quoi te nourris-tu ? Je veux dire, de quoi as-tu besoin pour survivre ? comment reprends-tu des forces ?
Il eut l’air interrogatif.
-Dans la pièce juste après t’avoir trouvé, tu as failli t’éteindre. On était dans une pièce noire et je ne te voyais presque plus à la fin. Tu as repris des forces… ou plutôt de la lumière, dans le Hall.
Il écarta les mains dans un signe d’ignorance avant que son regard se porte sur le plafond de verre qu’il s’empressa de m’indiquer. Je levai la tête pour voir le soleil.
-Avec la lumière ? Tu absorbes la lumière ? C’est probable, très probable, même.

J’attaquais un quatrième fruit quand un rugissement retentit. Très proche. Trop proche, même. Je me levais sans bruit et parti à l’opposé de la position du tigre, signalée par son rugissement. J’hésitais entre retourner au sol pour chercher une sortie ou rester en hauteur où le prédateur était moins agile. Je finis tout de même par me laisser glisser sur le sol, quelques arbres plus loin. Je me déplaçais lentement, faisant attention à ne pas faire de bruit – le tigre chassant principalement à la vue et à l’ouïe. Je me faufilai entre les troncs épais, éclairée par Edel, avançant toujours tout droit. L’humidité, retenue par les feuillages, me prit à la gorge.
Au bout d’un long moment de marche, je me retrouvai face à un mur suintant d’eau. Reprenant les bonnes habitudes, je me mis à le longer. Ce n’est que plus tard que j’aperçus le panneau de bois que je cherchais, à quelques pas de moi. Je m’y dirigeai, soulagée de quitter cette atmosphère étouffante. Mais je n’avais pas fait trois pas que le craquement d’une brindille attira mon attention. Je me jetai au sol, m’écrasant sur du bois. Le tigre passe au dessus de moi, visant à la base mes cervicales. Il atterrit lourdement sur le sol et se retourna, tandis que je me relevai, tenant un large panneau comme un bouclier devant moi. Il vola en éclat au premier coup de patte, ce qui eu l’avantage de me protéger quelques secondes de plus. J’en profitai pour m’élever d’un coup d’ailes pour passer par-dessus l’animal. Je me jetai sur la porte et l’ouvrit, la passant, évitant ainsi la dernière attaque du tigre. Edel m’ayant suivi, je repoussai le battant, enfermant le carnivore dans sa serre.

Autrice : Ailes d’Anges (Aile 1), sous le pseudo « Ailes d’Anges (Aile 1) »

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