Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DU PSYCHOLOGUE
LA PIÈCE DU PSYCHOLOGUE

LA PIÈCE DU PSYCHOLOGUE

Soudain, la porte s’ouvrit et apparut un petit homme bedonnant à la fine moustache. Il resta un instant bouche bée devant le campement d’aventuriers qu’était devenu sa respectable salle d’attente. Il nota mes yeux vairons, avisa les mèches de cheveux humides aux pieds de mon fauteuil, se tourna vers Livian qui ronflait, dévisagea Yann et eut un mouvement de recul en voyant ses yeux à la lueur rouge et ses canines, suivit du regard les traces d’humidité et les flaques pour finalement sursauter en constatant que Ahna le menaçait d’une des nombreuses armes présentes.
-… Au suivant, finit-il par articuler.
Avant que quiconque puissent émettre une remarque, je poussai Livian.
-Livian !
-Quoi ?
-C’est à toi.
Il se leva, tenta de ramasser ses affaires mais je posai le pied dessus. Il haussa les épaules et suivit l’homme dans la pièce à côté. Aussitôt, je me tournai vers les autres.
-J’ai des trucs plutôt incroyables à vous dire alors écoutez moi sans m’interrompre.
J’étais fière d’être une des deux personnes au monde à pouvoir donner un ordre à Ahna (Yann étant la deuxième). Je leur racontai ce qui s’était passé lorsqu’on était tombé de la cascade. Ma rencontre avec la Mort, qui en fait était toujours autour de nous et que j’avais juste réussi à voir de plus près, l’existence de l’Ordre Supérieur, qui nous laissait notre libre arbitre mais intervenait parfois, le fait qu’on puisse négocier un rab de vie ou un droit d’entrée pour la Bibliothèque, où se trouve tout le savoir existant, passé, présent et futur, en passant un marché avec l’Ordre soit en possédant un objet particulièrement intéressant, soit en acceptant de remplir une mission (mais il y a déjà une « présélection » pour ça) soit en étant comme moi une Interprète. Je leur racontai leur prise en otage pour que je sois forcée d’accepter et leur dévoilait ce qui m’avait été confié. Pour finir, je racontai ce que la Mort m’avait dit au sujet de Livian.
Ahna avait un air songeur. Ils ne remettaient bien sûr pas en doute ce que j’avais dit.
-Toi, tu as une idée derrière la tête.
Elle se retourna vers le mur.
-Non, je ne vois rien.
Yann pouffa.
-C’est une expression. Une façon de parler.
Ahna avait plus de mal avec les expressions que les insultes. Elle haussa les épaules.
-Bref, j’étais en train de penser qu’il ne fallait pas dire ça à Livian. En tout cas, pas avant d’avoir éclairci cette histoire de « prince des ténèbres ». Et pour le faire parler, j’ai une idée.
Elle ne put pas préciser car l’homme revint et elle se leva pour le suivre. Avant même que Yann et moi eussions pu entamer sérieusement une discussion, il réapparut, rouge et ébouriffé, je me demandai ce qu’Ahna avait encore fait et Yann le suivit.
Je me retrouvai seule à attendre et en profitai pour terminer ma « coiffure »(oui, les guillemets sont plus que nécessaire). Quelques instants et un magazine inintéressant plus tard, et c’était mon tour. Je pris mon sac, celui de Livian, précédai l’homme dans la pièce et examinai l’endroit pendant qu’il refermai la porte. Elle était carré, plus chaleureuse et la lumière était plus tamisée que dans la salle d’attente. En face, toujours une autre porte. A gauche, une bibliothèque recouvrait le mur. À droite, un bureau recouvert de papiers et un fauteuil en cuir sombre. Là aussi des lambris au mur et de la moquette, mais celle-ci plus épaisse et plus foncée (ou était-ce juste l’éclairage?). Le plafond était haut et un lustre y était accroché. Et au centre de la pièce, ce qu’en réalité j’avais remarqué en premier, un divan rouge foncé, un siège sur lequel reposait un carnet et un stylo à la tête. Un psychologue ? Vraiment ?
-Allongez-vous, je vous en prie, fit l’autre en s’asseyant.
J’obtempérai. Cette pièce était vraiment un cliché du cabinet de psychologie. Incroyable. Jusqu’à la plante verte en pot sur le bureau était cliché.
-Je suis le docteur Schulss.
Un nom vaguement allemand. Bien sûr. C’était prévisible.
-Je vais vous poser quelques questions et vous faire passer quelques tests visant à évaluer votre… santé mentale (Santé mentale ? Oh, ce Château est un amour). Le diagnostic ne sera cependant que très superficiel et les résultats à prendre avec des pincettes.
-Évidemment, répondis-je. Le docteur s’agita et sortit… non. Des tâches d’encre. Je songeai un instant à fausser les résultats en prétendant voir un chien, une maison et une famille heureuse mais décidai d’être honnête. Après tout, il ne risquait pas de me faire interner dans… disons un Château malveillant aux pièces innombrables dont le seul but est de nous tuer, si j’échoue, non ?
Il me fit donc passer ses test et répondre à des questions, et je répondis sincèrement, l’esprit ailleurs. J’avais un peu étudié la psychologie et tout ceci me semblait… grotesque ? Évident ? D’une stupidité incommensurable ? Oui, plutôt la dernière.
Lorsqu’il m’annonça que la séance était terminée (encore une chose totalement cliché), je me levai et m’en allai résolument. Je tenais la poignée lorsqu’il m’arrêta.
-Mademoiselle ?
-Oui ?
-J’aimerai vous confier ceci, dit-il en me remettant quatre enveloppes dans les main (d’où est-ce qu’il les sortait?). Ce sont vos résultats et ceux de vos compagnons. À vous de voir ce que vous en ferez.
Il me sourit, je le remerciai et sortis. Je me retrouvai dans un couloir gris, qui faisait un coude quelques mètres plus loin et au bout duquel j’entendais les voix de Yann et Ahna. Certainement en train de se chamailler. J’hésitai un peu puis décidai d’ouvrir les enveloppes. Je m’assis par terre et commençai par celle sur laquelle il y avait mon nom (que je ne lui avais pourtant pas dit).
« Lætitia : intelligente. Peut toutefois manquer d’empathie et avoir une tendance au machiavélisme : n’hésite pas à manipuler les autres pour des fins personnelles.
Pas de troubles graves détectés »
Je haussai les épaules. C’était certainement vrai. J’ouvris l’enveloppe de Yann.
« Yann : sensible, très réceptif à ce que ressent l’autre. Légèrement névrosé, tendances paranoïaques. N’extériorise pas. Un peu lunatique/bipolaire : probablement dû à sa transformation en vampire.
Pas de troubles graves détectés. »
C’était encore certainement vrai, mais Yann est loin de se résumer à trois lignes sur un bout de papier. Je passai à Ahna.
«  Ahna’ïlemthyvaplenftsam, dite Ahna (où avait-il dégoté son nom complet?) : froide insensible, pouvant aller jusqu’à la cruauté. Sincérité absolue, objective, pragmatique. Absence d’égoïsme, vision personnelle de l’honneur. Sociopathe.
Troubles graves détectés »
Tout cela, je le savais déjà. Ahna est une guerrière et tout ce qu’il disait sur sa cruauté ou je ne sais quoi n’est vraiment pas étonnant lorsqu’on sait comment et où elle a grandi. Mais elle non plus ne se résumait pas à ça. Je terminai par Livian.
« Livian : rusé et intelligent. Orgueilleux, méprisant : narcissique. Semble croire que le monde entier lui veut du mal (xénophobie). Potentiel sadisme.
Troubles graves détectés. »
J’espérai que cette enveloppe m’en apprendrait plus sur Livian, et je fus déçu. Tout cela, je m’en doutai déjà.
J’eus un instant d’hésitation, puis transformai les analyses en confettis. Je les jetai par terre et enfouis le reste des enveloppes au fond de mon sac, avec le journal. Ahna, Yann et moi n’avons pas besoin de ça pour nous connaître, que ce soit nous même ou les uns les autres. Parfois, j’aimerai même qu’on se connaisse moins bien.
Et Livian… Faut-il se méfier d’une personne qui plante un couteau dans l’épaule de votre meilleure amie ? Très certainement. Et être méfiant, c’est un peu notre spécialité nationale, depuis avant même le Château (qui n’a cependant rien arrangé).
Je me relevai et suivit le couloir en direction des voix de mes compagnons.

Autrice : lolo, sous le pseudo « lolo »

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