Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA SEPTIÈME PIÈCE OU L’AUDITORIUM DES NOUNOURS
LA SEPTIÈME PIÈCE OU L’AUDITORIUM DES NOUNOURS

LA SEPTIÈME PIÈCE OU L’AUDITORIUM DES NOUNOURS

Ou la pièce où je dus beaucoup parler

Je me retrouvais dans une pièce plongée dans la pénombre. J’étais sur une sorte d’estrade en demi-cercle et d’épais rideaux rouges encadraient l’ouverture rectiligne donnant sur le reste de la salle. Des marches peu épaisses mais profondes faisaient face aux gradins vides. L’ensemble du lieu était en bois clair et en velours bordeaux.
Edel voletait dans l’ensemble de la salle, éclairant les boiseries sculptées de motifs abstraits. Rien ne semblait dangereux. C’était un auditorium vide. Je m’assis au milieu de l’estrade, et la tension de la pièce précédente retombant, je finis par m’endormir.

Ce fut un brouhaha indistinct qui me tira de mon sommeil. J’ouvris difficilement les yeux, éblouie par la luminosité plus forte que lorsque j’avais sombré. Je me redressai sur les coudes et me retrouvai devant des gradins moins vides que quelques heures auparavant. Edel se tenait sagement à mes côtés, comme impressionné. Je mis quelques minutes à m’habituer à la lumière venant de projecteurs situés au dessus de moi et après ce laps de temps, je restai sans voix devant le public qui me contemplait.
Des dizaines d’ours en peluche aux différentes teintes de marron me fixaient. Le silence gagna rapidement les gradins. Lentement, je me redressai pour finir debout, au centre du demi-cercle formé par les marches.
Un ours au tissu élimé se leva et s’avança de quelques pas.
-Bonjour, étrangère ; bonjour étrange garçon. Vous êtes ici dans notre auditorium, l’auditorium que nous ne pouvons quitter et que l’on hante depuis plusieurs siècles.
Ses deux yeux en perles noires semblaient tristes. Sa voix était grave et lente, presque essoufflée.
-Je ne sais pas si vous savez l’ennui que nous pouvons ressentir. Nous pourrions vous indiquer la porte qui vous permettrez de sortir. Mais nous le ferons que si vous nous contez votre histoire, seulement la partie qui s’est déroulée entre les murs. Si vous acceptez, nous vous fournirons trois objets ou informations pour vous permettre de continuer votre voyage. Si vous refusez, vous pourrez chercher la porte par vos propres moyens au risque d’errer éternellement et de nous rejoindre. Le choix est votre, désormais.
Il se rassit, avec quelques difficultés qui semblaient liées à son âge.

J’avais le choix entre revivre mon aventure, riche en émotions et pouvant me faire basculer dans la folie – je n’avais aucun doute sur mon équilibre psychologique à cet instant – et risquer de rester pour l’éternité dans cet auditorium.
Mon voyage devait-il être vain, rendant toutes ces souffrances inutiles en devenant prisonnière de cette pièce ? C’était hors de question. En réalité, avais-je réellement le choix ?
-J’accepte.
A peine avais-je fini de parler que des nounours afflués d’un gilet jaune s’agitèrent. En quelques secondes, un micro à pied et une chaine au dossier haut avaient été installés à côté de moi, un écran de toile blanche descendue dans mon dos et plusieurs nounours avaient pris place sur les marches avec des instruments de musique.
Le vieux nounours se releva :
-Nous allons vous écouter. L’écran et les musiciens sont là comme supports, ne vous en préoccuper pas. ils sont reliez à vos souvenirs et vos sentiments par une sorte de magie. C’est indolore, ne vous inquiétez pas.
Un accord légèrement dissonant vibra derrière moi. Les lumières de la salle baissèrent jusqu’à s’éteindre complètement. Je ne voyais que les yeux du vieux nounours grâce aux projecteurs braqués sur moi qui s’y reflétaient. Une série de coup contre le sol retentirent.
-Ça va être à vous. bonne chance, murmura le porte-parole des ours en peluche avant de disparaitre complètement.
Le silence était oppressant. Premier coup. Je déglutis. Deuxième coup. J’inspirai. Troisième coup. J’avança ma main vers le micro.
-Que faites-vous ici, à m’écouter bavarder des paroles sans queues ni têtes? Car, bien qu’elles aient eu corps à un moment donné, elles ne sont aujourd’hui que des esquisses de pensées emmêlées et troublées par les aventures que j’ai vécu dans ce château maudit et magnifique… Alors, je repose ma question… Que faites-vous ici? … Je ne le sais pas vraiment mais je vais vous conter, le début de mes aventures conté, vu que je vois que certains semblent attendre cela… Alors, comme beaucoup d’aventuriers l’avaient fait avant moi et comme beaucoup le feront avant moi, j’ai poussé la porte du château aux cent milles pièces. La beauté du hall me saisit, me laissant immobile, là, dans le Cathédrhall…
Parler.
Revoir la beauté des Dragons des Temps Perdus.
Revivre la douleur de leur perte.
Rencontrer de nouveau l’enfant de lumière.
Descendre une nouvelle fois les escaliers de cristal dans le noir. Sacrifier deux souvenirs à une porte.
Parcourir le hall des échos.
Echapper au tigre.
Faire face aux formes noires polymorphes.
Ne pas s’arrêter de parler.
Je laissai les larmes couler sur mes joues, sans chercher à les stopper.
Derrière moi, la musique s’accordait à mes paroles et à mes émotions.
Je ne savais pas ce qui se passait sur l’écran et je ne cherchais pas à le savoir.
Je dus parler plusieurs heures. Et puis j’arrivai à la fin de mon aventure :
-Edel voletait dans l’ensemble de la salle, éclairant les boiseries sculptées de motifs abstraits. Rien ne semblait dangereux. C’était un auditorium vide. Je m’assis au milieu de l’estrade, et la tension de la pièce précédente retombant, je finis par m’endormir. La suite, vous la connaissez.

Il y eut un silence, puis un applaudissement timide suivi d’une salve frénétique.
Les lumières se rallumèrent. Je pus voir plusieurs peluches s’essuyer les yeux, leur tissu mouillé. Tous battaient des mains. Je ne savais pas trop où me mettre, je me contentai de rester debout devant eux, mon micro à la main.

Le vieil ours se leva difficilement.
-Merci de votre récit. Nous mesurons ce qu’il vous a coûté.
L’assemblée applaudit encore plus fort.
-Nous allons vous indiquer la sortie, mais avant cela, vous pouvez nous demandez trois choses utiles pour la suite de vos aventures et nous vous exaucerons.
Le silence se rétablit peu à peu, tandis que je réfléchissais.

De quoi aurais-je besoin ?
De sommeil, assurément, mais c’était quelque chose que l’on ne pouvait pas m’offrir.
De manger. Là, il y a peut-être quelque chose à tenter. Et de toute façon, si je ne mange pas prochainement, je risque de m’écrouler.
Des informations sur le château. Pour savoir ce qui s’y passait.
Peut-être quelque chose pour Edel. Une lampe ou quelque chose dans le genre pour ne pas qu’il me claque entre les mains. Je m’y étais attachée, à mon enfant de lumière.
Des armes, éventuellement. J’étais partie avec un bagage certes léger mais pas vide, mais rien qui m’a été utile jusqu’à maintenant.
Et pourquoi pas des médicaments…
Une liste commença à s’édifier dans ma tête et je repris la parole :
-J’aimerais que mon compagnon de voyage et moi ayons de quoi recharger notre énergie, comme de la nourriture pour moi et une lampe torche pour lui. Par exemple.
-C’est votre premier vœu ?
J’acquiesçai en silence. Le vieux nounours me regarda longuement avant de reprendre la parole :
-C’est une formulation compliquée, mais compréhensible. Nous allons vous apporter cela.

Quelques minutes plus tard, trois nounours se matérialisèrent entre le porte-parole des peluches, tenant dans les mains une sorte de sac doré, bordé de fils multicolores. Ils me le tendirent. Je restai quelques secondes sans bouger, ne comprenant pas. Pourquoi un sac alors que j’avais demandé de la nourriture ?
L’ours de tissu me faisant face me le tendit de nouveau, me regardant timidement avec ses yeux en boutons bleu marine. J’avançai la main et toucha du doigt le drap doré avant de me saisir plus fortement du sac. L’ours me murmura un merci avant de disparaitre. Mon interlocuteur privilégié reprit la parole :
– C’est un sac d’abondance. Il peut vous fournir de la nourriture – et que de la nourriture – adaptée à toutes les espèces de l’univers. J’espère qu’il donnera à votre… compagnon ce dont il a besoin. Il suffit de penser fortement à quoi vous voulez et de prononcer « cornu copia ». par contre, je vous préviens, il lui faut le temps de se recharger, ce temps étant proportionnel à la quantité et la rareté de ce que vous avez demandé.
-Merci, merci beaucoup, murmurai-je les doigts crispés sur le sac.
C’était un cadeau magnifique. Et tellement, tellement utile.
Le vieil ours reprit la parole :
-Quel est votre second vœu ?
Question difficile. Médicaments ou informations ? armes ou sommeil ?
-J’aimerai avoir de quoi me défendre, moi et mon compagnon.
Mon interlocuteur sourit et fit un signe.

Quelques secondes plus tard, cinq ours se matérialisèrent devant moi.
Le premier tenait une épée argenté longue entre ses mains. Les projecteurs se reflétaient sur la lame, faisant ressortir des gravures que je ne comprenais pas.
Le deuxième tenait une lance fine et effilée, gravée de lignes végétales, élégante.
Le troisième était derrière un bouclier haut d’environ quatre-vingt centimètres et large comme un torse. Une silhouette dorée stylisée de dragon pourfendant les cieux d’un bleu nuit s’étalait sur sa longueur.
Le quatrième avait un cylindre doré tenu par des cordons bordeaux. Des runes complexes s’entrecroisaient sur la surface. C’était un cylindre de foudre.
Le cinquième, enfin, portait une sphère en verre remplie d’une fumée d’un bleu nuit. Un globe d’obscurité.
-Il vous faut choisir, demoiselle, entre ces cinq présents.
Presque malgré moi, ma main se tendit vers le cylindre de foudre.
-Vous avez fait votre choix, il me semble.
Les quatre autres ours disparurent, le dernier s’approcha de moi et me confia l’arme que mon cœur avait réclamée.
-Votre troisième vœu.
Pourquoi hésiter ? C’est naturellement que je prononçai :
-J’aimerai avoir de quoi nous soigner.
-Vous prenez soin des vôtres, c’est une bonne chose, apprécia la peluche.
Un dernier nounours apparut, tenant une besace marquée d’une croix rouge sur son flanc.
-Les flacons sont incassables, mais n’ont pas des contenus infinis, me prévient le vieux nounours tandis que je le saisissais. Veuillez me suivre, je vais vous montrer la sortie.
C’est à ce moment là que je me rendis compte que la salle s’était vidée, laissant seulement le porte-parole, Edel et moi.

J’avançai à petit pas vers l’ours. Il me désigna son siège et me fit comprendre de m’y asseoir. J’obéis. L’ours s’avança à mon hauteur et souffla :
-Bon voyage.
Puis il se saisit du dossier et lui conféra une secousse vigoureuse. Le siège s’enfonça lentement dans le sol dans le noir. Edel se précipita pour se placer au niveau de ma tête. On descendit dans l’obscurité jusqu’à ce qu’un plancher de bois n’apparaisse. Le fauteuil se posa délicatement. Je me levai et fit quelques pas. Edel voleta autour de moi, dévoilant une porte.

Avant de faire quoique ce soit, ignorant ce qui pouvait se passer derrière le battant, je décidai de prendre le temps de manger. Quelques secondes plus tard, j’ouvris le sac d’abondance. Un éclair m’éblouit un instant. Sur le sol reposaient des galettes de pains et de la viande séchée ainsi que deux pommes. Edel voletait, plus lumineux que jamais.
Je mangeai rapidement, tout en faisant un rapide inventaire de la trousse à pharmacie.

Quand j’eus fini, je plaçai la besace infirmière sur mon épaule droite, le sac d’abondance sur l’autre et accrochai les cordons du cylindre de foudre à ma ceinture avant de faire face à la porte. Je caressai la poignée, échangeai un regard avec mon camarade de voyage et l’abaissai.

Autrice : Ailes d’Anges (Aile 1), sous le pseudo « Ailes d’Anges (Aile 1) »

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