Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA SALLE D’ATTENTE, REFLETS ET MIROIRS
LA SALLE D’ATTENTE, REFLETS ET MIROIRS

LA SALLE D’ATTENTE, REFLETS ET MIROIRS

Carnet de Devhinn
Pièce perdue n°9 (soit la 53ème pièce)

Au moins le sol et le plafond de cette pièce ne se rapprochent pas au fur et à mesure de nos pas. Je ne sais pas ce qu’il y avait dans cette cage, mais c’est sans doute mieux. Il n’y a pas d’autre porte sur ces murs blanchâtres. On réglera ça ensuite.

Maintenant que nous reprenons notre souffle, je prends le temps de m’asseoir sur l’une des nombreuses chaises rembourrées qui font le tour du lieu, pour observer ma nouvelle camarade de route inopinée. J’ai pour ainsi dire traîné Analayann jusqu’ici. Elle, reste plantée là où je l’ai lâchée. Elle semble tout à fait perdue, ou plutôt même ne veut pas s’approcher de moi. J’en viens à me demander…
– Pourquoi tu as sauté pour me rejoindre ?
Elle lève la tête vers moi, mais ne semble pas tout à fait vouloir croiser mon regard.
– J’ai… J’ai pas eu le temps de décider. J’ai glissé sur le rebord.
Son ton est froid. Si ça n’est pas au point de me blesser, je ressens le besoin de parler.
– Analayann… Je vais être tout à fait honnête avec toi, je suis absolument sûr que je t’ai fais quelque chose de mal dans le passé, mais je ne sais pas quoi. J’ai oublié comme tu a dis. Cela fait quelque temps que j’ai remarqué ça. Je ne me rappelle presque de rien avant que je ne sois à nouveau entré dans ce Château, et même de cette partie là j’ai l’impression qu’il me manque des tas de morceaux pour recoller tous les bouts. Je n’en sais pas plus que toi sur mon nom comme je n’ai plus aucun souvenir de ma famille. Je ne sais plus qui je suis, et j’en oublie un peu plus chaque jour. Je n’ai quasiment plus rien sinon cette marque sur le bras.

Je retire la partie droite de ma veste et révèle la rune. ϔטּאּϠ
– Et tout ce qu’elle veut dire c’est que je suis mort une fois. Je crois que tu as une marque aussi, alors peut-être que ce n’est pas comparable, mais je pense que nous sommes tous les deux dépassés par énormément de choses. Tu vois ?
Analayann bouge à peine la tête à la fin de mon monologue. En mon for intérieur j’ai l’impression que tout ce que je viens de dire lui est passé au dessus de la tête, or cela me frustre beaucoup de parler tout seul depuis tout à l’heure alors que j’essaie bel et bien d’arranger la situation.

Je crois.
Toujours est-il que je me lève…
– Bon écoute, j’aimerais comprendre ce qui nous arrive, mais là soit tu es devenue sourde, soit tu te fous complètement de ce qu…
CLAC

**

Le bruit m’a sonné quelques secondes et fait tomber à la renverse. Je me retrouve assis à côté de la table basse remplie de magasines au centre de la pièce. Il me semblait pourtant l’avoir dépassée.

Ma tête tourne un peu mais je me replace sur mes jambes.
– Qu’est-ce que c’était ?
L’inquiétude transparaît dans la voix d’Analayann à quelques mètres de moi, elle aussi assise derrière la table basse qui s’est renversée.
La salle est plus grande. Une… Deux tables. Je mets longtemps à comprendre, jusqu’à me tourner et à voir de l’autre côté de la pièce une porte identique à celle de laquelle nous venons.
– On dirait que l’endroit s’est dédoublé…

Disant cela, je remarque comme un filigrane transparent au centre des deux côtés de la pièce. Le point de symétrie. Elle et moi chacun d’un côté. Et l’impression étrange que la porte initiale est en train de s’effacer. Puis lentement, chaque centimètre de la pièce en partant de ce mur s’évaporant avec elle pour ne laisser qu’un blanc à vous déchirer la rétine.

– Analayann, viens de ce côté dépêche-toi ! La pièce… Oh merde.

Je cours vers la porte symétrique derrière moi avec un mauvais pressentiment, tire sur la poignée, et pousse un soupir de soulagement en voyant que la porte accepte de s’ouvrir. Me retournant, je constate cependant qu’Analayann est seulement en train d’essayer de se lever au milieu des magasines éparpillés, et que la ligne invisible qui gomme tout sur son passage se rapproche dangereusement d’elle.
Je reviens vers elle hâtivement. Au niveau du filigrane, une demi-seconde d’hésitation bloque mon avancée, avant que je ne le traverse…

Je me retrouve déséquilibré en voulant contourner la table par la gauche, et tombe de tout mon côté droit, sans comprendre. Je me cogne contre le meuble ce qui ramène également Analayann au sol.
Je comprends rapidement ce qui se passe, sans pour autant pouvoir l’expliquer. En passant de l’autre côté de la pièce, ma gauche est devenue ma droite, et inversement. Mais mon cerveau est persuadé de n’avoir rien changé. En peinant à me remettre sur pied, je constate trop tard que mes toutes mes affaires ont été projetées vers l’avant, effacées instantanément. Seul l’arc court que je tenais dans l’autre main s’est arrêté avant la ligne, mais plus de flèches pour l’alimenter.
Analayann est toujours au sol, et ses mouvements semblent lui demander des efforts que je ne comprends pas. Mais la ligne avance, je dois mettre une main devant mon visage pour ne pas être ébloui. Il faut partir. Je lui tend la main – pas celle que je voulais – une seconde, face à elle.

Mais elle ne bouge pas. Ne semble même pas me voir.

Perplexe, je viens la saisir par les épaules, l’aide tant bien que mal à se relever, saisit l’arc au passage, et amorce le retour de mon côté.

C’était donc ça.
Elle a perdu la vue.

Je ne dis rien, me concentre sur nos pas, en supposant qu’elle a le même problème directionnel que moi. Ce n’est pas le moment de toute façon. Je comprendrais plus tard. Elle respire, paupières closes, comme si elle attendait que tout s’arrête. La table derrière nous commence à être gommée, alors que nous passons de nouveau le filigrane. Je manque de nous faire tomber tous les deux en récupérant le sens correct de mes mouvements. Soutenant Analayann, je constate que l’endroit est de plus en plus lumineux à cause de la blancheur qui s’agrandit derrière nous. Je suis obligé de plisser les yeux, sinon de les fermer, pour continuer à marcher si je ne veux pas perdre un sens moi aussi. L’espace de quelques secondes, nous avançons tous deux sans savoir quand exactement la porte sera passée. Mon bras bute enfin contre l’encadrement, et nous quittons les lieux.

 Auteur : Altixor sous le pseudo « Altixor »

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