Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE AUX TRÈFLES À QUATRE FEUILLES (ET AU RIRE INCONTRÔLÉ)
LA PIÈCE AUX TRÈFLES À QUATRE FEUILLES (ET AU RIRE INCONTRÔLÉ)

LA PIÈCE AUX TRÈFLES À QUATRE FEUILLES (ET AU RIRE INCONTRÔLÉ)

Accrochée aux pas d’Analayann, qui court du plus vite qu’elle le peut, nous tentons de rattraper Devhinn. Je sens les émotions qui se dégagent de lui, et ça n’augure rien de bon. Son dégoût et sa honte le font courir à une vitesse folle, et l’espoir de le rejoindre diminue à chaque instant. Mais on essaye tout de même. Pas le choix.
De ses poings auxquels sa honte donne une fureur et une force colossale, il brise la porte qui s’était dessinée sur le mur du fond, et sur lequel j’avais eu à peine le temps de déchiffrer un « passage interdit, danger ». Si même le Château nous met en garde contre le danger d’une pièce… Il va falloir nous armer de courage. Et de chance. De beaucoup, beaucoup de chance
Et de la chance, je crois un instant que nous allons en trouver tandis que nous franchissons à notre tour la porte brisée, et que nous atterrissons dans un champ. Un champ de gigantesques trèfles à quatre feuilles. Je souris brièvement, repensant à cette tradition ancestrale et enfantine que mon Accompagné.e ne manquait pas de mettre en œuvre, à savoir retourner des collines entières de pelouse afin d’y trouver un précieux trèfle, symbole de chance et d’aubaine.
Mais nous ne sommes pas dans une pelouse ordinaire, à l’herbe calme et fraîche. Car même si la douceur des trèfles caresse nos pieds fatigués, nous ne nous trouvons pas à l’extérieur, mais dans un Château aux intentions plus que douteuses. Je sens des gouttes sur ma main, et sors de mes pensées.
Analayann pleure.
Je lui caresse doucement le bras, mais elle ne fait que se recroqueviller un peu plus, physiquement ainsi que mentalement. Les bribes de pensées qui me parviennent me retournent le cœur, mais je m’oblige à ne faire aucun commentaire, ni dans ma tête ni à haute voix. Je dois lui laisser un peu de temps pour digérer. Mais malheureusement, le temps, nous allions bientôt en manquer

Elle ouvre la bouche pour parler, mais quelqu’un lui coupe le sifflet. C’est la voix de Devhinn, qui nous appelle, nous semble-t-il, de très loin.
« Ombre ! Analayann ! Je suis désolé, tellement désolé ! Où êtes-vous ?
Ces mots brisent un silence un peu trop profond à mon goût. Et ils le brisent d’une manière brutale. Trop brutale. Dans un bruit de froissement, et alors même que j’aperçois une silhouette se diriger vers nous, les trèfles se mettent à nous menacer. L’expression est absurde, je me rends compte de suite, mais paraît pourtant parfaitement adaptée à la situation. J’imagine des trèfles tenir des couteaux ou nous parler méchamment, et je me mets à rire, alors que la situation ne s’y prête absolument pas.
J’en oublie tout. J’en oublie que les trèfles grandissent, commencent à former une cabane au dessus de nos tête, j’en oublie que Analayann court droit devant elle, malgré la douleur qu’elle ressent, autant physique que psychique, j’en oublie ses vociférations, ses larmes.
Je suis pliée en deux d’un rire complètement fou. Analayann finit par s’arrêter, et tombe au sol en hurlant un nom : Devhinn.
Pendant ce temps là, je suis au sol aussi, mais pas pour la même raison : je suis effondrée de rire. Elle finit par se rendre compte d’où provient le rire, à savoir de ma personne et non pas du Château comme elle le pensait.
—Ombre ? Ombre tout va bien ? Ris-tu ou pleures-tu ?
Je n’arrive pas à lui répondre tant je ris. Elle finit par se rendre compte que c’est l’hilarité qui me plie ainsi, et je sens qu’elle est vexée. Je n’en ai cure à cet instant : je ris.
Il ne me reste plus beaucoup de place dans mon esprit pour penser, mais suffisamment pour que tous les signaux se mettent à clignoter. Alarme, alarme, je ne pense presque qu’à rire, mais suis encore suffisamment lucide pour me rendre compte que quelque chose cloche. Que mon fou rire n’est pas naturel. Et que pire encore, il est invoqué par quelqu’un ou quelque chose.
Invoqué, quel drôle de mot non ?
Même le mot « non » me fait rire.
Je ris de rire autant, je ris d’avoir autant pleuré, je ris de ma décision d’être venue dans ce château, je ris d’avoir fait des rencontres aussi retournantes, et au bout d’un moment je ris sans la moindre raison. Je ne peux juste pas m’en empêcher, ahah, tout me paraît si cocasse !
Ahahah !
Sauf que, haha, je commence à avoir du mal à respirer, à trouver, quelle drôlerie, de l’espace dans mes poumons, que c’est drôle !
Ahahah !
J’halète et étouffe sans même m’en rendre compte, c’est si amusant !
Analayann a dû également comprendre que mon rire (ahahah !) n’était pas naturel. Entre la forêt de trèfles qui nous entoure et nous étouffe (aaaaahahahahah !) et mon rire, je suffoque.
Ah, ahahahahah ! Je n’arrête toujours pas de rire, alors que le reste de mon cerveau est partagé entre deux informations : de un mon rire (eheheh) est en train de me tuer (mourir, quelle idée cocasse !) et de deux, Analayann est déchirée entre deux options : continuer à chercher Devhinn, dont les vociférations de plus en plus lointaines me font rire de plus belle, au risque que je meurs de rire (non mais vraiment mourir de rire, ahahah).
Ou bien trouver une sortie pour me sauver la peau.
Le cœur déchiré, renonçant pour moi (que la vie est risible !) à tant de chose que Devhinn pourrait lui apporter, elle se dirige vers la porte qui orne le bout du tunnel de trèfles. Nous la franchissons, elle le cœur lourd, moi au bord de l’explosion de rire, ahahah ! Une main, alors que nous sommes à moitié engouffrées dans le passage, attrape l’épaule d’Analayann. Nous franchissons la porte à trois, et nous nous retrouvons de l’autre côté.
Et soudain je n’ai plus du tout, mais alors plus du tout envie de rire.

Auteur : … sous le pseudo « Ombre »

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