Pièce n°1802
Écrite par Alké
Explorée par Alké
C’est par un temps grognon et couverte de boue jusqu’au menton que je fis la rencontre du château, ou, plus précisément, de son mur d’enceinte, qui s’élevait si haut que je n’en voyais pas le bout. Sa pierre – quelle pierre exactement ? je ne saurais le dire, je suis botaniste, pas géologue –, là où je posais la main, était aussi râpeuse qu’une langue de chat. Je la caressai un peu, comme si, en l’apprivoisant, je pouvais en apprendre plus sur ce qu’elle renfermait. Mais je ne fis que me griffer la peau.
Accrochées sur la pierre, des racines-crampons desséchées indiquaient qu’un lierre avait un jour poussé ici. Couvait-il lui aussi l’espoir d’entrer dans le domaine ? J’entrepris de longer le mur, à la recherche d’un passage. J’esquivai des touffes d’orties brûlantes, dérapai dans la terre trempée. Les abords du château étaient pentus. La pluie ruisselait sur ma capuche avant de se perdre dans la prairie, entre silène enflé et plantain lancéolé. Jusqu’ici, la flore n’avait rien d’exceptionnel.
Nez rivé au sol, j’aurais presque pu la manquer. Un son à mi-chemin entre le frottement et le raclement m’extirpa de mes pensées. Devant moi, le mur était tout déformé, fissuré, vergéturé comme un corps qui a grandi trop vite. On aurait dit que quelque chose, de l’autre côté, forçait le passage en s’y appuyant de tout son poids. La pierre présentait un énorme renflement. En m’approchant, je compris que c’était de là que venait le frottement. Le processus était encore en cours. Le mur s’effritait sous la poussée, sa matière granuleuse s’émiettait dans la boue.
Mon premier réflexe aurait été de partir en courant, ne sachant quel monstre pouvait surgir de là, si un drôle de bouton n’avait soudain éclos sur le mur. Car ce n’était pas n’importe quel bouton. Un bouton de porte.
À croire que quelqu’un m’attendait. Je ne pouvais plus me défiler : résolument, j’actionnais la poignée et tirai la porte vers moi. Rien ne se passa. J’ai oublié de dire que je prends toujours les portes à l’envers. La poussant donc, elle s’ouvrit en grand, et je bénis le réflexe qui me fit me baisser à temps pour éviter la chaise que quelqu’un avait projetée contre moi. Rectification : pour éviter la chaise qui avait vraisemblablement bondi d’elle-même contre la porte, et qui, ayant atterri sur ses quatre pieds, courait désormais à toute allure vers la forêt. Un troupeau de chaises lui aurait emboîté le pas si la porte ne s’était pas refermée toute seule dans mon dos pour se fondre littéralement dans le mur.
Si j’étais préparée à l’idée de rencontrer des meubles vivants, je ne m’attendais pas à me retrouver dans l’équivalent d’un terrier enfumé. Les chaises n’étaient pas seules dans leur élan. Des tables, des armoires et même des tapis se jetaient contre le mur de toutes leurs forces pour – quoi ? Faire avancer la pièce dans laquelle ils se trouvaient ? Quitter le château ? Les murs se dilataient et se rétractaient, comme atteints de chenillote. Je me dépêchai de rejoindre celui d’en face pour éviter de finir écrasée. Le plus étonnant, c’est qu’aucun de ces meubles ne se brisait sous les impacts répétés. Quelques échardes volaient, certes, le miroir d’une commode avait éclaté en cent mille morceaux, mais c’était tout. De quel bois étaient-ils donc faits ?
Cette agitation me donnait le tournis. Laissant la pièce à son insurrection, je m’empressai de tourner un nouveau bouton qui était apparu sur le mur contre lequel je m’étais réfugiée, et poussai le battant, qui s’ouvrit du premier coup. En conditions extrêmes, on apprend vite.
Super pièce, j’ai hâte de découvrir tes aventures de botaniste !
Une chaise a réussi ce dont rêvent tous les aventuriers 😮
Elle s’est échappée du château !!!
Le texte est sympa, la dernière scène où Alké s’adapte pour ouvrir la porte du premier coup était top 🙂