Pièce n°1814
Écrite par Alké
Je fus surprise de me retrouver à l’air libre. J’étais désormais dans une cour allongée qui devait se situer juste de l’autre côté du rempart, car je le reconnaissais : une paroi immense, une pierre râpeuse. À la différence près qu’ici, il ne pleuvait plus. La pierre était un peu humide, mais pas dégoulinante.
J’avais réussi à entrer dans l’enceinte du château. Je sentis un fourmillement me parcourir tout le corps, comme si un courant électrique me traversait. Peut-être allais-je enfin revoir ma sœur dont j’étais sans nouvelles depuis des mois et des mois. Cela faisait plus de dix ans qu’Aqua errait dans ce maudit château.
Derrière moi, le mur était fortement bombé et tremblotait. La pièce que je venais de quitter parviendrait-elle à s’extraire du château, ou resterait-elle coincée à mi-muraille ? Va savoir.
Je parcourus les lieux du regard. Des pavés, des pavés et encore des pavés, disposés de façon irrégulière. Un tas de compost qui dormait dans un coin. Et partout, de la verdure : des végétaux qui profitaient des fissures, de la moindre parcelle de terre. Puisque j’étais officiellement à l’intérieur du château, je pouvais commencer mon inventaire. Sans perdre un instant, j’ouvris ma sacoche pour dégainer carnet, crayon, petite loupe, et ma Flore des ruines et châteaux forts (un kilo, au bas mot). Par chance, enroulée dans mon écharpe, elle n’avait pas pris l’eau. Je notai :
- giroflée des murailles – Erysimum cheiri
- perce-muraille – parietaria judaica
- chénopode des murs – chenopodium murale
- laitue des murailles – mycelis muralis
- ruine-de-Rome – cymbalaria muralis
- capillaire des murailles – aplenium trichomanes
- doradille rue-des-murailles – asplenium ruta-muraria
Franchement, j’étais presque déçue. J’avais l’impression que le château se moquait de moi. Combien de fois avais-je écrit le mot « murailles » sur ma feuille ? Je préférais ne pas compter. Où se trouvaient les plantes merveilleuses dont ma sœur me parlait dans ses lettres ? La pièce aux chenilles ? Le jardin blanc ? Sans doute étais-je encore trop proche du monde extérieur.
Par acquit de conscience, je vérifiais à la loupe la forme des poils de la pariétaire, mais ils étaient on ne peut plus normaux. Même la capillaire n’avait pas daigné se faire pousser de vrais cheveux.
Me détournant des plantes, je me dirigeai vers le compost. Il contenait des tas et des tas d’épluchures que je me mis en devoir de reconnaître. Que mangeait-on au château ? Étonnamment, toutes ces épluchures semblaient provenir du même légume. Une courge, sans doute, à texture fibreuse et chair verdâtre. Pour qu’il y en ait autant, un véritable festin avait dû être préparé. Malheureusement, elles dataient d’il y a trop longtemps pour que je puisse les identifier correctement. Une moisissure blanchâtre et mousseuse s’était répandue dans la quasi-totalité du compost – et je dois avouer que je ne suis pas très forte en mycologie, alors je laissai tomber après quelques recherches infructueuses.
Je n’avais plus qu’à sortir d’ici. Mais comment ? La réponse s’imposa à moi quand je levai les yeux. Au-dessus du compost, un trou dans le mur, carré, assez large. Un conduit d’où chutaient très certainement les épluchures et qui me mènerait sans doute à la cuisine. Ce n’était pas très séduisant, mais je n’avais repéré aucune porte. Je me résolus donc à escalader le tas d’épluchures moisies, pestant contre la Flore qui, au fond de ma sacoche, me déséquilibrait par son poids. Elle avait l’habitude de se faire tour à tour insulter et câliner.
Pénétrant dans le conduit, je la fis passer devant moi. On ne sait jamais.
Notre narratrice est la soeur d’Aqua 0.O Incroyable ! Le titre Flore des ruines et châteaux forts est d’une poésie géniale, les sonorités sont parfaites. Je suis vraiment hypée par tes énumérations de plante, très poétiques elles aussi, dans leurs variations.
J’adore la fin x) Toujours s’armer d’un livre pour visiter le Château ! Ça fait un bouclier efficace… x)