LA SALLE A MANGER FAMILIALE
LA SALLE A MANGER FAMILIALE

LA SALLE A MANGER FAMILIALE

Pièce n°1831
Écrite par Najcha

Najea

Kof kof kof –

Je crachouille de l’eau pendant plusieurs longues minutes, allongée sur un sol de carrelage froid. Je me trouve dans un espace sombre, saturé d’objets. Mon souffle retrouvé, je tâtonne : ici, une balayette, là, des tuyauteries… trois moutons de poussière qui jouent à colin-maillard… et, sur la droite, des lamelles d’une drôle de matière qui laissent filtrer la lumière. Cette fois, la direction n’est pas difficile à trouver.

Mon souffle retrouvé, je sors de ma cachette. Mes yeux papillonnent, éblouis.

– Dépêche-toi de t’installer, tu es en retard, fait une voix, glaciale.

Instinctivement, je baisse la tête et me rembrunis. Je me dirige à vue vers le siège vide le plus proche, tire la chaise (« Tu pourrais la soulever, quand même ! »), m’assieds et pose les mains sur la table. Face à moi, une immense famille de brocolis noyés dans une sauce blanche. Je comprends qu’il n’est pas question de protester et commence à les enfourner machinalement. Il me faut deux ou trois minutes pour être oubliée et enfin oser relever la tête.

Je suis attablée au sein d’un foyer troll, pour qui les brocolis semblent donner un peu de vigueur au teint. Au bout de la table, la matriarche fusille du regard tout ce qui bouge… et ce qui ne bouge pas. Je sens son attention orientée vers une troll adolescente, placée sur sa droite, qui tourne ostensiblement le dos à l’assemblée. La jeune fille semble se tresser les cheveux en maugréant divers injures. Elle sursaute à chaque remontrance mais ne bouge pas.

Comme un aimant face à son opposé, la trollesse se tient aussi loin que possible de son voisin. Bien qu’elle n’ait pas touché à son contenu, je remarque que l’assiette qui lui appartient a été déportée vers la gauche.

Au premier regard, le troll qui se tient à côté d’elle me paraît un jeune homme affable. C’est le seul à intervenir entre les récriminations de la marâtre, tantôt pour une blague… tantôt pour provoquer l’adolescente, que je devine être sa sœur. Avec ses larges bras et sa chevelure, il occupe tout l’espace. Tout son espace, certes, mais surtout celui de son cadet, dont la tête dépasse tout juste de la nappe. L’autre touille son assiette, le décoiffe, lui accorde tantôt une caresse, un guili, tantôt une grattouille et une drôle d’étreinte, décalée dans cet environnement si stricte.

La matriarche ne dit rien.

Croisant le regard du jeune troll, je reçois un clin d’œil. Je frissonne. L’affabilité de cet homme me glace et m’emplit d’un brouillard diffus, saturé de malaise.

A l’autre extrémité, je remarque enfin le père qui ronflote, les pieds sur la table, un brocoli coincé entre deux orteils. Lui non plus n’a reçu aucune remarque depuis mon arrivée.

Une branche plus granuleuse que les autres me fait tousser. Je sens ma gorge qui se coince, et, avec le brocoli qui peine à descendre, des restes d’eau de ma précédente aventure qui remontent vers mon gosier. Je m’étouffe sous les remontrances de la matriarche et, n’y tenant plus, m’enfuis en quête d’un évier.

La porte de la salle à manger se referme alors que j’entends encore :

— Il n’est pas question de quitter la table avant d’avoir fini son assiette !

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