Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DU RER D
LA PIÈCE DU RER D

LA PIÈCE DU RER D

Pièce n°1832
Écrite par Jad de Salicande
Explorée par Jad de Salicande
Fait partie de la saga << < Chutes prophéties et assimilées > >>

Je lève mon pied pour continuer à marcher… et je le repose. Je regarde autour de moi et il n’est plus possible de faire un pas de plus. En fait, je me rends compte que j’ai failli marcher sur les chaussures luisantes d’un cinquantenaire au crâne dégarni en train de regarder des images mouvantes dans un rectangle noir (est-ce un niveau de magie que je parviendrais à produire si jamais je suivais la formation classique des magiciens ?). Je ne peux même pas tourner ma tête pour essayer de voir ce qu’il se passe derrière moi car cela provoque un tiraillement dans mon cuir chevelu, comme si mes cheveux étaient coincés quelque part… ce qui signifierait qu’ils auraient atteint une taille conséquente, ce que je me refuse à croire.

Devant moi, donc, une cinquantaine de personnes assises sur des sièges hideux, et une vingtaine de personnes debout dans des allées. Beaucoup d’entre elles sont en train de regarder un écran avec des images dessus, et je me demande si je suis en train d’assister à une réunion entre magiciens. Au fond de l’allée, il y a un escalier et j’ai l’impression que c’est ma seule voie de sortie.

« Titre de transport, s’il vous plaît ». Je sens la pression se relâcher sur mes cheveux et je remarque deux choses lorsque je retourne ma tête : premièrement, l’allée se termine aussi par un escalier de ce côté-ci, et je vois une porte fermée qui semble m’indiquer la sortie de cette pièce. Deuxièmement, un monsieur avec un brassard orange avec marqué dessus « RATP CONTRÔLE » demande ces fameux titres de transports en haut de l’escalier.

Un concert de soupirs et de plaintes retentit dans la pièce à ce moment-là : « Encore eux ? Quelle idée de faire ça en heure de pointe, je suis sûr qu’ils vont me faire rater ma correspondance à Châtelet ».

Mon cerveau oublie vite de comprendre ce que cette phrase veut dire lorsqu’il se rend compte qu’une rangée de vitres est située de part et d’autre de la pièce et qu’il a accès à des informations sur le monde extérieur via mon appareil visuel. Un monde extérieur mouvant, tout d’abord, ce qui signifie que je suis dans un moyen de transport en commun (je me rappelle vaguement d’avoir étudié ça à l’école, lorsque j’étais encore à l’école primaire), mais surtout un monde éclairé à la lumière du jour ! Cela faisait très longtemps que je n’avais pas eu accès au monde extérieur, depuis que j’avais visité le désert, et voir ça me fait immédiatement monter les larmes aux yeux. Quelques secondes plus tard, une fois que ma vision a repris sa netteté habituelle, je me rends compte que l’extérieur que je vois est gris — des bâtiments au ciel en passant par la fumée qui se dégage de certaines cheminées énormes, mais je ne m’attarde pas sur l’atmosphère pesante qui se dégage de cette vision : je suis à deux doigts de pouvoir prendre un bol d’air frais !

Il ne me reste plus qu’à sortir d’ici, signifiant que je dois stopper ce train d’une manière ou d’une autre.

Soudainement, une voix féminine sortie de nulle part prononce cette phrase « Prochaine station : Paris Gare du Nord. Next Stop : Paris Gare du Nord. Proxima parada… »

Mon attention se détourne quand je me rends compte que la source de lumière de la voiture dans laquelle je me trouve est devenue artificielle : les vitres ne me permettent plus de voir le monde extérieur, mais seulement un tunnel sombre, éclairé à intervalle régulier mais pas suffisamment à mon goût. Les gens du wagon s’agitent et commencent à rassembler leurs affaires pour se lever. Les personnes à côté de moi se lèvent et pour laisser passer le monsieur chauve je me retrouve devant une place sur laquelle je m’empresse de m’asseoir car j’ai la nausée.

Ma respiration s’accélère, je n’arrive plus à me concentrer sur rien, mes mains deviennent moites comme si j’avais essayé de lancer un sort — alors que je n’ai plus essayé depuis la dernière pièce. C’est une fois que j’entends une alarme sonore que je me rends compte que les personnes sont sorties mais trop tard, j’entends les portes se refermer.

Pendant une dizaine de secondes, j’ai l’espoir qu’on sorte de ce tunnel et que je puisse enfin quitter ce train et respirer de l’air frais mais le train continue son cheminement dans les voies. Ma nausée s’intensifie alors, même si elle ne m’avait jamais quittée, et les personnes à côté de moi commencent à remuer dans leurs sièges, mal à l’aise. Le monsieur au brassard orange m’adresse alors la parole « Tout va bien monsieur ? Nous allons bientôt arriver à Châtelet, vous vous sentez suffisamment en forme pour sortir du RER ? » et c’est à ce moment-là que je me sens défaillir.

Je ne m’évanouis pas cependant, et je sens que les gens autour de moi se sont écartés pour que je puisse m’allonger.

« Respirez monsieur, ça va aller, on arrive à la station dans une minute à peine ». J’essaie de lui répondre mais ma bouche ne s’ouvre pas, et je sens que le train freine. Puis plus rien.

Quelqu’un me donne une claque. Je ne sais pas pourquoi mais ça me donne suffisamment de force pour ouvrir les yeux et voir le récipient d’eau et les fruits secs que me tend une femme âgée qui, avec le monsieur au brassard, est restée dans le train. Celui-ci semble s’être vidé et d’autres personnes avec des brassards sont rassemblées pas très loin.

« Ça fait combien de temps que vous n’avez pas mangé ? Vous avez pu vous reposer cette nuit ? Vous voulez que j’appelle le 115 ? »

Je ne comprends pas pourquoi cette dame me pose toutes ces questions, et pourquoi le 115 pourrait m’aider dans cette situation, mais j’accepte son eau et ses fruits secs sans un mot. Je me sens quand même mieux, déjà parce l’extérieur n’est plus un tunnel mais une sorte de quai où des dizaines de gens sont amassés, et surtout parce que je sens une aura que je connais, certes diffuse pour le moment mais dont l’intensité s’accroît de plus en plus.

Annalayan

J’ai l’impression de me baser sur un mouvement intestinal pour affirmer ça (et je me demande si la conséquence de mes nausées sera ce sentiment pour le restant de ma vie) mais cette impression devient rapidement une certitude et je me lève brusquement devant l’air ébahi des personnes qui m’ont aidé.

Je monte les escaliers et franchis la porte du RER en n’ayant qu’un seul objectif : retrouver la fille du vent.

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