Pièce n°1838
Écrite par Najcha
Explorée par La psy ambulante
Sur mon sac à dos, un patch, écrit en grosses lettres or : « la psy ambulante ». Il faut dire qu’à moins de vouloir rester coincé dans une unique pièce – donc de disparaître rapidement de la surface visible du Château -, tout le monde se doit d’être ambulant, ici.
Dans mon sac à dos, mon matériel de travail : un calepin, cinq crayons de bois scrupuleusement taillés et mes trois armes de prédilection (deux gros bouquins que je n’ai jamais pris le temps d’ouvrir et un taille-crayon). Je trimballe aussi avec moi un caddie en tweed qui accueille les paiements de mes patients. J’ai abandonné les soixante écus réglementaires depuis longtemps : ici, il est difficile de trouver trois êtres qui ont recours à la même monnaie, et encore plus des êtres qui acceptent d’utiliser cette monnaie. Je pratique donc le troc : plus encombrant, mais plus utile.
Armée de mon attirail professionnel, je pénètre donc dans une nouvelle pièce, à la recherche de mon patient suivant.
C’est une jeune exploratrice qui se présente à moi. Elle est installée sur un tabouret, devant un évier dont elle laisse le robinet couler. Elle semble essoufflée. Je m’apprête à dégainer mes leçons de sobriété énergétique, avant de me raviser : ce n’est pas le meilleur moyen de créer une alliance thérapeutique.
– Bonjour, Madame… ?
– Vous êtes qui ?!
De l’agressivité, je note. C’est un réflexe fréquent chez les explorateur-ices que je prends en consultation. Toujours en hypervigilance.
– Je suis la psy ambulante et, si vous êtes venue à moi, c’est que nous avons un travail à mener ensemble.
J’adore le mot travail. Il rappelle astucieusement à mes patient-es que je dois être payée. Et j’adore être payée. Ma patiente hausse un sourcil et se remet à toussoter sans plus m’accorder d’attention.
– Comment vous appelez-vous ?
– Mon hôte s’appelle Najea.
Son hôte ? Schgling. Dans ma tête, des diagnostics potentiels sont rayés, d’autres apparaissent. Je souris. Je suis payée plus, quand je pose des diagnostics.
– Votre hôte ?
– Ben, oui. L’exploratrice dont je possède le corps, là.
Elle désigne son enveloppe charnelle. Pas glorieuse. Un démon ? J’en serais un, je choisirais mes possédés plus stratégiquement.
– Vous… possédez souvent des gens ?
– Non, juste elle. Avant ça, j’étais enfermée dans une urne funéraire. Donc je gagne au change, vous voyez.
– Fort bien. Mais vous, l’être de l’urne funéraire, comment vous appelez-vous ?
Elle toussote quelques instants, gênée.
– Je ne me souviens plus.
– Pensez-y.
J’hésite à sortir ma phrase fétiche (« On va en rester là ») mais je suis curieuse d’en savoir plus – et je n’ai pas encore posé ma question favorite.
– Et votre mère ?
– Ma mère ?
– Oui, votre relation avec votre mère.
– Ma mère, pfff… voilà bien longtemps que je ne l’ai pas vue. Entre ma vie dans le Château, ma mort dans le Château et cette possession… pas sûre qu’elle compte pour grand chose dans mon existence actuelle.
Moi, je suis certaine du contraire. Elle marque un temps.
– Par contre, la mère de la pièce précédente, ah celle-là !
– Celle-là ?
– Je suis bien contente de ne pas avoir à la recroiser.
– Qu’avez-vous ressenti à son égard ?
– Je ne saurais même pas dire. C’était glaçant, paralysant même. Elle semblait à la fois tout contrôler, sanctionner le moindre écart, et en même temps les relations entre ses enfants semblaient tellement bizarres et décalées. Donc je suis partie.
– Comme de chez votre mère.
– Mais non ! s’exclame-t-elle en me lançant un regard scandalisé.
– On va en rester là.
Voilà une séance comme je les aime : efficace, pas trop gore ni déconcertante, prénom-parents, je me sentirais presque en vacances.
– Comment voulez-vous me payer ?
– Vous payer ? Mais je n’ai rien demandé !
– Et moi, sachez que je hante tous les patients qui partent en courant. Réfléchissez.
Elle fouille dans une besace, dont elle semble découvrir le contenu, avant de me présenter un pot d’encre même pas entamé. Je prends.
– Bonne journée, Madame …, commencé-je en me préparant à partir.
Et je me rends compte que ma patiente n’a toujours pas de prénom.
Hahaha elle est géniale cette pièce ! Hâte de lire les prochaines consultations de cette psy – je rêve qu’elle analyse mon explorateur lorsque je l’aurai un peu plus développé !
Mais avec un grand plaisir !