LA PIÈCE PRESQUE VIDE DANS LAQUELLE ON FAIT DES RÊVES ÉTRANGES
LA PIÈCE PRESQUE VIDE DANS LAQUELLE ON FAIT DES RÊVES ÉTRANGES

LA PIÈCE PRESQUE VIDE DANS LAQUELLE ON FAIT DES RÊVES ÉTRANGES

Pièce n°2066
Écrite par Lev
Explorée par Lou
Fait partie de la saga << < Cercles Concentriques > >>

Pièce du Casteltober 2025 - Jour 1 : éveil

J’ai erré toute la journée. Poussé porte après porte. Traversé des pièces vides balayées par le vent et des pièces encombrées dans lesquelles je peinais à aligner un pas devant l’autre. Échangé quelques mots insignifiants avec des personnages dont j’ai déjà oublié les visages. Chuté un certain nombre de fois — j’ai les genoux écorchés et d’innombrables bleus au tibias. J’ai mangé, bu. Marché encore. 

La pièce dans laquelle je me trouve maintenant est plutôt vide. Du moins, pas très remplie. À peine habitée. 

Une vieille pendule de grand-mère bat dans le silence. La régularité de son tic-tac est inutile : ses aiguilles sont brisées, elle ne donne plus l’heure. Par les fenêtres entrouvertes pénètre un vent léger et froid qui charrie une odeur de charbon et le lointain écho d’un chien qui aboie. Il fait sombre. Dehors, le ciel est lourd d’orage.

Je me suis assise à la grande table plantée au centre de la pièce. Le bois est usé, marqué par le temps et les coups de couteau. Quatre chaises sont disposées autour. J’ai enfoui mon visage dans mes mains. Mes paupières étaient lourdes, alors je n’ai pas lutté. Je me suis assoupie.

L’image d’un village blotti au creux d’une vallée fumante de brume. Le jour se lève : un soleil clair et diaphane s’élance au dessus des champs, des haies et des forêts. Il ne fait pas froid, tout juste frais, l’air est humide, chargé de rosée. 

Cette image me serre le coeur. Il ne me semble rien reconnaître de ce paysage mais, pourtant, chaque détail m’est intimement familier. Les toitures d’ardoise et — ponctuellement — de brique ; le tracé sinueux des routes et des chemins ; la courbe douce des collines. Il me semble savoir ce que recèle chaque parcelle de forêt, chaque carré de champ. Je pourrais identifier chaque son : ce qu’on entend, là-bas, n’est-ce pas les cloches accrochées au cou des vaches de… De qui, déjà ? Un chien aboie au loin. Je sais — je devrais savoir — son nom. Tout m’échappe à mesure que je crois pouvoir reconstituer les morceaux. 

La châtaigneraie là-bas… C’est dedans que se trouve — elle est à — 

Non, rien y fait. 

Je me tiens près d’une maison. Enfin, pas tout à fait. Je suis partout et je suis nulle part. En une fraction de seconde, je flotte au-dessus de la vallée, j’observe tout de très loin ; et, si je voulais, je pourrais être sur le toit de cette église, au sommet de cette colline, au creux de ce ruisseau ou encore sous terre, dans le terrier de cette taupe endormie. Mais dès que mon cerveau divague, dès que je relâche mon attention, je me retrouve ici, invariablement, sur ce chemin en terre, à côté de cette maison de ferme flanquée de vieilles granges. Au-dessus de sa porte, une treille sur laquelle un pied de vigne et une glycine se livrent à un combat silencieux. 

Cet oiseau perché sur le faîte du toit. C’est un jeune queuerouge. La tête tournée vers le village, il me fixe de son oeil noir.

Son regard me traverse. Il me blesse sans que je sache pourquoi. Il y a dans cette pupille sombre quelque chose de dur et d’accablant. Il semble dire : tu as tout oublié, n’est-ce pas ?

Sifflement, trille, bruit de papier froissé, tu tu tu, battement d’ailes. Il s’en est allé. 

Quand je me redresse, il fait plus sombre encore que tout à l’heure. Le tic-tac s’est tu. J’ignore quelle heure il est, ou combien de temps j’ai dormi. Torpeur, état de demi-conscience qui suit le sommeil profond. J’aimerais me rendormir, mais j’ai soudain très froid. 

Des bourrasques de vent font claquer les battants des fenêtres. La pluie s’engouffre à l’intérieur en longs traits glacés. Toujours engourdie par le sommeil, je me lève pour les fermer. Les gonds gémissent, la poignée tourne, le vent se tait. Mon pied heurte un objet léger qui roule sur le parquet avant de s’immobiliser contre un pied de chaise. 

Je me penche pour le ramasser. C’est un coquillage, couleur d’os, lisse et étrangement tiède au toucher. Je le porte à mon oreille — un réflexe qui transcende même l’amnésie la plus profonde. 

Mais je n’entends pas la rumeur des vagues sur la grève. Seulement un léger battement, à peine audible mais d’une parfaite régularité. Le tic-tac de la pendule. 

Je repose le coquillage sur la table avant de quitter la pièce. 

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2 commentaires

  1. Oh, un coquillage croisé et abandonné !

    Très belle description de rêve. J’ai l’impression de n’avoir encore jamais lu aussi précisément cette distorsion de l’espace et du temps dans le rêve et, souvent, ce mécanisme où quoi que l’on fasse, on revient toujours au même point… avec des actions à l’effet très limité. C’est fort !

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