Pièce n°2073
Écrite par Allyss Obsidienne
Explorée par Carlynn Vagamova
Pièce du Casteltober 2025 - Jour 2 : poème
Je gisais sur un sol dur. Sa froideur renforçait la douleur provoquée par les aspérités irrégulières du dallage. Mon dos criait toute son inadaptation à une couche pareille. Ma colonne vertébrale, telle un serpent gelé, se faisait cruellement mordre par une jointure entre deux dalles. En vérité, tout mon corps criait souffrance.
Je gisais sur un sol, sans couleur, sans véritable forme, car le monde n’était qu’obscurité. Je mis du temps à reprendre conscience, d’une part, et à prendre conscience, d’autre part, que mes yeux étaient bien ouverts. En effet, un monde de ténèbres absolues m’accueillait. Je n’avais aucune idée d’où je me trouvais et j’avais la très ferme impression que je n’aurais pas dû être encore vivante.
Les yeux face au vide, je trouvai mon errance soudain tout à fait terrifiante. La solitude s’était un peu apaisée depuis ma communion avec l’étoile, certes, mais je désespérais de trouver quelqu’un à qui parler. M’adresser aux morts était inutile. Je voulais surtout que quelqu’un me réponde. Que quelqu’un me dise où aller, où trouver refuge, pour qu’enfin cette fuite en avant cesse.
Il fallait que je bouge. Je n’allais pas éternellement rester effondrée là. Je commençai par déplier les doigts, que je sentis blessés. Probablement à cause des éclats de verre ou de ma chute. Malgré la douleur, je m’appliquai à les remuer pour tenter de retrouver une forme de mobilité. Mes mains déplaçaient la poussière accumulée sur le sol et en étudiaient les caractéristiques. Les dalles semblaient gigantesques, cependant une chose m’intriguait : elles semblaient ciselées, mais pas à la manière régulière d’un motif de décoration, plutôt sans ordre ni logique. La pulpe de mes doigts suivait les incurvations, les tailles droites et les angles sans que je parvienne à visualiser ce à quoi cela pourrait ressembler si la vue m’était accordée. Parfois, un vide ; puis les incisions lithiques reprenaient. Je finis par comprendre que ces motifs étaient organisés en lignes qui se succédaient les unes après les autres. J’avais l’impression de toucher du doigt quelque chose de signifiant, d’important, mais comment savoir, dans le noir complet ? D’aucuns avaient appris à vivre sans le sens de la vue mais ce n’était pas (encore) mon cas. Face à l’obscurité, mes connaissances ne valaient rien.
Je dus mobiliser toute la force physique que je possédais pour parvenir à rouler sur le flanc. Tout mon corps était douloureux. Je sentis l’esprit de l’étoile, discret, insuffler à mon esprit un peu de courage. Chaque fois que je sentais sa présence, j’étais partagée entre deux sentiments : le soulagement intense de ne pas être seule et la tristesse en voyant à quoi l’étoile était réduite. Son esprit me paraissait si faible, si ténu, en comparaison avec ce qu’était une étoile de son vivant. L’être, la chose, qui avait commis le crime de l’emprisonner n’avait pas seulement brisé son corps, il avait également réduit son âme à néant.
Je compris vite que mon état ne se résumait pas à quelques égratignures. J’avais probablement quelques côtes cassées, en témoignait la douleur qui pulsait dans ma cage thoracique à chaque inspiration. Mon pied gauche soutenait à peine que je le pose au sol ; la première fois m’arracha un grognement, la deuxième un cri. Aucune idée de comment j’allais faire pour avancer dans des conditions pareilles. À la troisième fois, des obscénités m’échappèrent.
– Enfoiré de Château ! Tue-moi si c’est ce que tu veux !
Je ne savais pas véritablement à qui je parlais ainsi. Je savais que j’étais dans un château qui semblait avoir une conscience propre, je le sentais au plus profond de ma chair depuis que j’avais eu le malheur de pénétrer en ces lieux. Mais je n’en savais guère plus.
J’essayai de marcher, sans grand succès. Je finis à quatre pattes et évoluai vers je ne savais où, dans l’espoir de trouver un mur, quelque chose de concret qui indiquerait que cette salle n’était pas juste une étendue sans fin. Le noir avait cela de terrible qu’il se refermait sur nous comme un voile juste devant les yeux mais s’ouvrait sur un espace d’immensité indéfinissable qui donnait le vertige. Je n’avais jamais su trouver l’équilibre entre les deux, perpétuellement terrifiée par cette absence de repères. Le sol n’en devenait que plus rassurant, même si s’y accrocher désespérément contribuait à ma déchéance. La reine de Vega à quatre pattes dans le noir, cela avait de quoi être un spectacle désolant. Mais il y avait un moment que j’avais cessé d’y prêter attention. Mes ennemis n’étaient plus là pour m’observer tandis que cette entité-château en avait la capacité en permanence. La question ne se posait même plus.
– Je sais que tu m’entends. Je sais que tu me vois. Je ne sais pas qui tu es mais je sais que tu es là.
Mes mains, mes genoux, mes orteils s’attachaient à parcourir ces dalles bizarrement sculptées, dans une direction qui, je l’espérais, était à peu près rectiligne.
– Je ne saurais pas dire pourquoi je le sais, mais je le sais. Je ne comprends pas comment la chose est possible mais tu es bien là. Dans ces foutues dalles, dans l’air, je ne sais pas, mais tu es partout. Alors montre-toi une bonne fois pour toutes !
Je m’assis. Ou plutôt, me recroquevillai en position fœtale, les genoux entourés de mes bras, la tête enfouie dans tout ce fatras de membres amaigris et osseux. J’avais froid.
– Carlynn…
Je relevai aussitôt la tête avec un hoquet de surprise. La voix – du moins est-ce comme ça que je décrirai ce phénomène pour l’instant – était effrayante et se réverbérait sur des parois invisibles.
– Carlynn…
Où fuir ? Après tout, je l’avais cherché. Je l’avais provoqué. Ça ne pouvait être que lui.
– Carlynn, tu ne dois pas…
Trouver qui tue les étoiles ici-bas…
Ni tenter de rejoindre celles…
Qui sont au-dessus de toi…
Car tu risquerais le trépas…
Et la souffrance éternelle.
Je tombai.
Merci pour cette belle lecture ! Comme le dit Didou, ça faisait longtemps qu’on avait pas vu le Château intervenir directement, il doit un peu s’ennuyer pour se mettre à la poésie…
Tu as fait un super travail sensoriel sur cette pièce, la recherche est impressionnante.
Oh ! Je crois que c’est la première fois que je vois une pièce avec le Château qui est présent pour de vrai. Ça m’a tellement surpris que Carlynn s’adresse à lui et encore plus qu’il lui réponde ! C’était vraiment prenant.
Le début m’a un peu terrifié, on sent que Carlynn ne va pas vivre beaucoup de moments joyeux mais comme la première fois les descriptions sont sympas à lire.
J’aime beaucoup le poème de fin même si boh, je me doute que Carlynn va quand même tenter de trouver qui tue les étoiles et du coup risquer la souffrance éternelle…
Oups, oui, pour l’instant Carlynn n’est vraiment pas heureuse. C’est le temps qu’elle rencontre des gens, qu’elle se remette de ses blessures, je commence à envisager qu’elle soit sauvée par des personnes (plus ou moins bien intentionnées). Ça lui redonnera des forces pour ensuite, effectivement, se lancer dans une lutte acharnée pour libérer les étoiles… x)