LE BATEAU DES PIRATES MALPOLIS
LE BATEAU DES PIRATES MALPOLIS

LE BATEAU DES PIRATES MALPOLIS

Pièce n°1804
Écrite par Etincelle

L’aventure de Jeanne-Ginette

Je sors du tableau et je me retrouve dans une pièce sombre, humide, et excessivement poussiéreuse. L’odeur de vieux bois moisi assaille mes narines ; roulis, bruit des vagues qui se fracassent, pas de doute, je suis dans la cale d’un navire. Ma main se pose d’instinct sur mon pschitt nettoyant et mon verni à bois, puis j’abandonne : il vaut mieux essayer de trouver les responsables pour leur expliquer – avec la pédagogie qui me caractérise – leurs responsabilités, plutôt que de tout faire à leur place. Mais bon dieu ! j’entends d’ici le bois mal entretenu se fendre. Pestant entre mes dents, je me lance dans l’ascension d’un escalier grinçant.

Je débarque sur un pont beaucoup plus lumineux (mais pas plus propre). Malheureusement, ce n’est pas ma chère, tendre, magnifique Juliette qui m’attend, mais une troupe d’hommes avec de sacrés accoutrements. Ils m’observent d’un air plutôt méfiant ; je m’approche d’eux en les scrutant à mon tour.

-On se tient plus droit, jeune homme ! Et si vous décidez de sortir votre chemise de votre bas, faites-le au moins complètement, il faut assumer. Et vous, resserrez-moi ce cache-œil, il pourrait glisser à tout moment. Vous êtes complètement décoiffé ! Regardez plutôt votre voisin, son bandana convient parfaitement. Je salue d’ailleurs votre choix de couleurs, jeune homme, ce rouge et ce bleu se répondent parfaitement, c’est très harmonieux. Et cela fait un excellent rappel de couleurs avec la plume du couvre-chef de votre voisin.

Le pirate me sourit, mais l’éclat doré de ses dents gâche un peu l’harmonie colorimétrique, tant pis. Ledit voisin, en revanche, fronce les sourcils.

-Excusez-moi, mam’zelle, c’pas qu’vous dérangez, mais là v’z’êtes sur not’bateau, et on vous a pas vraiment invitée. Donc on aurait deux p’tites questions, permettez : primo, z’êtes qui, deuzio, pourquoi on devrait vous garder à bord plutôt qu’vous jetez à la mer, m’voyez ?

Immédiatement le sang me monte à la tête, quelle audace ! Quel manque de politesse ! Trop de choses sont à rectifier :

-Je vous salue bien, je luis réponds sèchement. Vous apprendrez, très cher, qu’appeler une jeune femme mademoiselle est misogyne et arriéré ; que si vous ne désirez pas recevoir d’hôtes, vous devriez verrouiller votre cale mieux que cela ; que je me nomme Gigi, diminutif de Jeanne-Ginette. Et enfin je me permettrai de vous retourner la question : pourquoi nous devrions vous garder, vous, à bord de ce navire, qui manque pourtant très nettement d’entretien ! Il m’est avis que je serais bien plus utile ici que vous, et je suis prête à parier que vous ne savez pas même repriser des chaussettes !

Son expression ne se détend pas ; nous nous défions un moment du regard, puis, caressant sa longue barbe, il se retourne et s’éloigne, en grommelant :

-D’accord, comme vous v’lez. J’demand’rai au Boiteux de vous apporter mes chaussettes.

Je soupire, mais ce n’est visiblement pas à lui que je vais enseigner les bases d’un entretien décent. Au moins, je peux m’installer confortablement sur un petit tabouret, garni d’un joli napperon brodé aux initiales de l’être aimé, tandis que les matelots commencent à m’apporter leur linge à recoudre. J’en embauche deux ou trois pour m’assister, tandis que je confie à deux autres l’entretien de la cale, vraiment, je ne me remets pas de cette odeur. Nous sommes très efficaces, je ne suis pas mécontente. Je suis en train de broder une petite fleur sur le cache-œil que je viens de réparer, quand soudain un des pirates m’interpelle.

-Eh, m’dame ! Vous pouvez v’nir voir dans la cale ? Y a un p’tit problème.

Je soupire et redescends dans une cale parfaitement rutilante. Mais là, le matelot m’indique une planche qui commence à se détacher de la coque du navire. Doux Jésus, ce bâtiment est une ruine ! Je sors mon marteau et des clous de mon sac à main pour replacer la planche correctement. C’est parti pour un peu de menuiserie ! Justement, un matelot m’appelle à la barre – en fort mauvais état, mais pas très compliqué quand on s’y connaît. Un autre me demande de réparer le nid-de-pie, en haut du mat. En grimpant le long du cordage, je repense avec émotion à mes sessions de bricolage avec Juliette – c’est ma voisine, je ne sais pas si j’ai déjà parlé d’elle. Avec du métal, elle était imbattable, mais le bois c’était aussi quelque chose. C’est elle qui m’a appris à me servir du marteau, je songe tendrement… C’est avec elle que j’ai utilisé une scie sauteuse pour la première fois…

En haut du nid-de-pie, je constate que nous nous dirigeons vers une grotte qui me parait idéale pour le mouillage. Je demande au matelot à la barre de nous y conduire, de toutes façon je n’ai plus grand-chose à leur apprendre. Je garde mon plumeau, ils pourront bien s’en fabriquer un en récupérant quelques plumes de chapeau ; mais je leur laisse quelques clous malgré tout, au cas où. J’ai fini par leur trouver une certaine sympathie, à ces pirates.

Une fois le navire amarré, je saute sur la pierre.

-Au revoir, jeunes gens, au plaisir. N’oubliez pas, la serpillère c’est toutes les semaines grand minimum.

-Au r’voir m’dame ! Merci pour les clous, et vous perdez pas trop !

J’agite mon mouchoir, et je me dirige vers un rocher. Je remarque un curieux interstice, et la pierre qui le recouvre roule immédiatement sous mes doigts. Devant moi se déroule un long conduit, qui me paraît très propice aux glissades. J’agrippe fermement mon sac à main et mon nécessaire à thé, et hop ! je saute dans le toboggan.

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